La 5ème rencontre du droit pénal franco-allemand organisée au sein de l’université Jean Moulin Lyon 3 par le Professeur Xavier Pin nous a permis d’élargir nos connaissances via l’étude comparative des droits pénaux français et allemand. En voici l’esquisse.
Trois grands axes ont structuré ce colloque. Pacifier, unifier et lutter.
PACIFIER
Prescription à l’allemande ou le recours (contestable) à la complicité pour traiter des crimes nazis en Allemagne – Orane DORNIER, Kiyomi VON FRANKENBERG, Renate VOLLHARDT, doctorantes, Université de Cologne.
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les objectifs des différentes nations n’étaient pas les mêmes. Les anglais étaient préoccupés par la reconstruction, les américains se réarmaient en vue d’une nouvelle guerre éventuelle et les allemands procédaient, autant que faire se peut, au jugement des responsables nazis. Le problème rencontré par la justice allemande de l’époque fut la question de la prescription des crimes nazis dont la justice en empêchait elle-même le jugement via le prisme d’une amnistie cachée. Comme le résume Staschynskij, celui qui agissait sur ordre de l’Etat pouvait, malgré la commission directe du crime, n’être que complice s’il réprouvait l’ordre donné ; et celui qui agissait sur ordre d’une personne était considéré comme dépourvu de toute volonté propre de le commettre. Malgré l’imprescription de tels crimes aujourd’hui, le principe de non-rétroactivité empêche la condamnation de ceux passés.
Juger le vichysme en France –Tall BRUTTMANN, Chercheur rattaché à EHESS, Université Grenoble-Alpes
De l’épuration démarrée en 1944, jusqu'aux grands procès de Touvier, Barbie et Papon, le vichysme n’a pas été réellement jugé et ce, malgré la présence de faits liés à l’antisémitisme dans les procédures instruites. Ce fut en effet la collaboration et non les lois de Vichy qui furent condamnées par les Cours sur le fondement des articles 75 et 86 (anc.) du Code pénal.
Mémoire, justice et droit : la question du principe de légalité – Kevin MARIAT, Doctorant Université Lyon III
Le droit pénal, saisit de l’horreur de la Seconde Guerre Mondiale, est redéfini. Une justice des vainqueurs apparait et plusieurs principes –principe de légalité– sont infléchis afin que la répression postérieure de certains actes, notamment ceux nazis, puisse avoir lieu. « Les pénalistes ont dû avaler des couleuvres pour ne pas passer pour des négationnistes ». L’incrimination de « crime contre l’humanité » est crée en 1945 dans le statut du Tribunal militaire de Nuremberg et une justice pénale internationale fondée sur l’humanité émerge.
UNIFIER
La constitutionnalisation du droit pénal – Antoine BOTTON, Professeur, Université de Toulouse
Le droit constitutionnel colore le droit pénal. La constitutionnalisation du droit pénal était très imparfaite avant l’entrée en vigueur, en 2008, de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Dès lors, quel fut l’effet de la QPC sur le phénomène de constitutionnalisation du droit pénal et peut-on aujourd’hui parler d’une « pénalisation » du droit constitutionnel ? L’activité du Conseil Constitutionnel s’observe tant en droit pénal substantiel, qu’en droit pénal procédural. D’une part, le Conseil Constitutionnel tire deux grands principes de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) applicables au droit pénal substantiel : le principe de légalité, qui permet de juger de la clarté des lois ; et le principe de nécessité, qui impose que peine et sanction soient proportionnelles (individualisation par le juge) et proportionnées (le Conseil Constitutionnel sanctionne les disproportions manifestes). D’autre part, le Conseil Constitutionnel fait de l’article 16 de la DDHC sont principal outil en matière de droit pénal procédural, dont il tire l’équivalent constitutionnel de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (garanties du procès équitable). L’évolution de la loi pénale a dicté celle de la norme de contrôle.
L’européanisation du droit pénal français depuis le traité de Lisbonne – Jocelyne LEBLOIS HAPPE, Professeur, Université de Strasbourg
Le traité de Lisbonne de 2009 a fortement changé le droit pénal, entraînant une perte de souveraineté des Etats au profit des institutions européennes. Cette « européanisation » du droit pénal est due à la mutation des sociétés (criminalité transfrontalière notamment). La compétence pénale de l’Union est une compétence d’attribution mais les Etats ne coopèrent pas toujours loyalement avec elle. On distingue deux types d’européanisation du droit pénal : l’européanisation douce et l’européanisation dure. La première est observée en droit pénal substantiel et fonctionne grâce à l’importante marge d’appréciation laissée aux Etats membres. Par exemple, la responsabilité pénale des personnes morales est reconnue en France mais rejetée en Allemagne. Le législateur européen a donc fait le choix de se tenir en retrait sur ce point en appliquant le principe de subsidiarité. Il lui arrive toutefois d’imposer par moments certains ajustements comme le montre une directive relative à la traite des êtres humains qui a conduit la France à approfondir sa définition en droit interne. La deuxième forme d’européanisation du droit pénal, celle dite « dure », s’observe en droit procédural. Le procès se pense aujourd’hui à l’échelle européenne. Cela est dû à la circulation des personnes et des décisions. Un accord partiel provisoire a été trouvé en juin 2015 concernant la création d’un parquet européen.
LUTTER
L’imprescriptibilité de l’assassinat selon les §§78 et 211 du Code pénal allemand – Alix GIRAUD, doctorante, Université de Postdam
Cette question de l’imprescriptibilité de l’assassinat est liée à la poursuite des crimes nazis et est sujette à débat. Une réforme du Code pénal allemand est envisagée depuis plusieurs années pour des raisons de preuve. L’un des risques serait que les preuves technologiques deviennent vectrices d’une vérité indiscutable.
De l’existence et de l’opportunité d’un droit pénal de l’ennemi – Christian JÄGER, Professeur, Université d’Erlangen-Nürnberg
Les premières discussions relatives à un droit pénal de l’ennemi remontent à 1985 et opèrent une distinction entre le droit pénal du citoyen de celui de l’ennemi. Selon Jakobs, celui qui rejette intentionnellement l’état de droit peut se voir retirer ses droits de citoyen et être combattu par l’Etat. Il rejoint ici la thèse de Hobbes sur le contrat social. Les criminels ne peuvent prétendre à être traités comme des personnes. « Si c’est la mort que vous aimez tant, nous pouvons vous la donner ». Néanmoins, le Professeur Jäger conteste la nécessité d’un tel droit : « le soupçon est toujours accompagné du démon de l’erreur ». Le droit pénal de l’ennemi n’est ni réel, ni souhaitable selon lui ; car cela ne ferait qu’exacerber la haine de la société.