Autriche

La capacité de contracter une vente des personnes protégées

 par Charles-Edouard Sachs, M2 Droit comparé

 

I. Régimes de protection

Le §21 alinéa 1 de l’Allgemeines bürgerliches Gesetzbuch (ABGB), le code civil autrichien, distingue deux catégories de personnes placées sous la protection particulière de la loi : les mineurs de dix-huit ans et les personnes qui pour une autre raison que leur âge ne sont pas autonomes[1].

 

A.   Les mineurs

Les deux notions fondamentales du droit autrichien qui touchent aux mineurs sont l’Unterhalt (l’obligation de subvenir aux besoins de l’enfant) et l’Obsorge.

La notion d’Obsorge instituée aux §§90 et suivants ABGB recouvre à la fois certains aspects de l’autorité parentale et du régime de tutelle des mineurs en droit français. Il impose aux parents de veiller à la santé de l’enfant et à son éducation. En outre, les parents doivent représenter l’enfant et le cas échéant administrer son patrimoine dans son intérêt. Dans le cas où l’enfant n’aurait pas de parents, de grand-parents ou de Plegeeltern[2], il appartient au juge de désigner un tuteur conformément aux §§187 à 189 ABGB.

Ce régime de protection prend fin dans tous les cas à la majorité de l’enfant. Comme dans la plupart des autres Etat européens, la majorité juridique est fixée en Autriche à dix-huit ans.

 

B.   Les majeurs

La protection des majeurs ne disposant pas de l’autonomie suffisante pour gérer leur personne ou leurs biens est confiée prioritairement par le droit autrichien à leur famille et à leurs proches. C’est notamment l’objet d’une part de la Vertretungsbefugnis nächster Angehöriger, que l’on peut traduire par « représentation légale spéciale », prévue aux §§284b à 284e ABGB par laquelle le majeur confie à un proche parent le soin de le représenter dans les actes de la vie courante – il ne s’agit ici que d’une aide : le majeur ne renonce pas à sa capacité contractuelle ; et d’autre part de la Vorsorgevollmacht, la « procuration d’incapacité » des §§284f à 284h ABGB par laquelle un majeur organise lui-même sa protection avant d’avoir perdu ses moyens de jugement ou d’expression et désigne un ou plusieurs représentants. La Vorsorgevollmacht s’applique après que la perte de capacité du majeur a été médicalement constatée.

Le principal régime légal de protection organisée est la Sachwalterschaft. Avant 1984 existaient en Autriche deux régimes légaux de protection organisée des majeurs : l’Entmündigung, l’interdiction judiciaire pour démence, et la Vormundschaft assimilable à la tutelle. Une loi de juillet 1984 a remplacé ces deux régimes par l’institution de la Sachwalterschaft, également désignée Kuratel, profondément modifiée en 2006.

La Sachwalterschaft s’adresse principalement aux majeurs atteint d’un handicap psychique (les §§269 à 272 ABGB concernent d’autres situations particulières qui ne nous intéressent pas ici) ne disposant pas d'une autonomie suffisante. Elle a pour objet de limiter la capacité de l’intéressé et de désigner un représentant légal afin de sauvegarder ses intérêts. Il appartient au juge  compétent (le Bezirkgericht, le tribunal d’arrondissement) de déterminer la nécessité de cette protection, de nommer un Sachwalter, un curateur, et de définir son mandat. Celui-ci peut être limité à une affaire déterminée, à un domaine plus large, voire être général. Pour les actes les plus graves, sauf cas d’urgence, le Sachwalter doit requérir l’autorisation du juge à peine de nullité[3].

 

II. Capacité

La capacité des co-contractants (Geschäftsfähigkeit der Partner) est une des quatre conditions de validité du contrat de vente que retient le droit autrichien avec le libre consentement (Freiwilligkeit), la licéité tant de l’objet que de la cause (Erlaubtheit), et l’existence de l’objet (Möglichkeit des Geschäfts).

 

A.   Les mineurs

Le droit autrichien établit parmi les mineurs une triple distinction entre les enfants de moins de sept ans qui sont entièrement incapables (geschäfthunfähig)[4] puis, parmi les autres mineurs de dix-huit ans dont la capacité d’exercice des droits civils est restreinte, entre ceux qui ont atteint ou non l’« âge de raison » (Mündigkeit) c’est-à-dire quatorze ans[5].

 

1° Les mineurs de sept ans

Les §§865 et 151 al.1 ABGB posent le principe de l’incapacité des mineurs de sept ans (Kinder) à conclure un contrat sans le consentement exprès ou tacite de leur représentant légal.

Par exception, le §151 al.3 ABGB[6] prévoit qu’ils puissent conclure des contrats, et plus particulièrement des contrats de vente, liés aux dépenses de la vie courante, d’un montant faible et habituelles pour un enfant de cet âge[7] (par exemple l’achat de sucreries, billet de cinéma ou ticket de transport en commun).

 

2° Les mineurs de sept à quatorze ans

Les mineurs de quatorze ans (unmündige Minderjärige) peuvent quant à eux s’engager dans les liens d’un contrat a) tant que celui-ci n’implique pas d’obligation de leur part (cas par exemple d’un contrat unilatéral), ou b) dans les cas prévus au §151 al.3 ABGB, c’est-à-dire les dépenses de la vie courante. Tout autre engagement est invalide tant qu’il n’a pas été confirmé par le représentant légal. Par conséquent, ils ne peuvent conclure seuls de contrat de vente autres que ceux prévus par le Taschengeldparagraph. La jurisprudence estime ainsi, par exemple, que l’achat par les mineurs de quatorze ans d’appareils électroniques ou d’un vélo n’est pas possible car d’un montant trop important. De plus ils ne peuvent conclure seuls de contrat de vente portant sur des choses qui auraient pour conséquence de leur faire assumer des obligations supplémentaires (un animal domestique, etc.).

 

3° Les mineurs de plus de quatorze ans

Au-delà, les mineurs (mündige Minderjärige) peuvent en principe s’engager librement et disposer des biens qui leur ont été mis à disposition ainsi que de leurs propres revenus tant qu’ils ne mettent pas en danger leurs moyens de subsistance[8]. Hormis cette limite posée par la loi et que la jurisprudence semble interpréter de manière extensive, ils peuvent donc a priori conclure une vente en qualité de vendeur ou d’acheteur. En revanche, comme pour les mineurs de quatorze ans, leur capacité à conclure seul un contrat de vente peut être limitée si son objet entraine des responsabilités importantes (mobylette, etc.). A moins qu’il n’en soit stipulé autrement, ils peuvent également conclure n’importe quel contrat de service. Leur représentant légal peut néanmoins résilier le contrat pour motif grave[9].

 

B.   Les majeurs

Le code civil autrichien distingue parmi les majeurs protégés ceux qui bénéficient du régime de la Sachwalterschaft dont la capacité est seulement limitée, et ceux qui sont par principe entièrement incapables.

 

1° Les majeurs dont la capacité est restreinte

            Le code civil autrichien ne retient qu’un cas dans lequel la capacité contractuelle d’un majeur est limitée : la Sachwalterschaft. Il distingue la capacité de la personne protégée de manière générale et celle dans le domaine de compétence du Sachwalter.

            Dans le premier cas, le majeur se trouve dans une situation similaire au mineur de quatorze ans puisqu’il peut être débiteur d’une obligation mais pour s’engager dans une relation contractuelle – hormis dans le cadre du « Taschengeldparagraph » –, il aura besoin de l’accord de son représentant ou du juge[10] pour conclure un contrat de vente.

Dans le domaine de compétence du Sachwalter, le principe est l’incapacité totale de la personne protégée[11]. Néanmoins, si pour les besoins de sa vie quotidienne la personneelle conclut un contrat d’un faible montant, ce dernier sera réputé rétroactivement valide dès lors qu’elle aura commencé à exécuter ses obligations[12].

 

2° Les majeurs incapables

Le §865 ABGB dispose que toutes les personnes majeures « dépourvus de l’usage de la raison »[13] et qui ne sont pas soumises au régime de la Sachwalterschaft sont incapables d’entrer dans un rapport d’obligation. Il s’agit par principe de toutes les personnes qui ont prévu une Vorsorgevollmacht et après que cette dernière est entrée en application, mais aussi de toutes les autres personnes dont l’incapacité aura été constatée[14] et qui ne seront pas encore soumises à un régime de protection déterminé.

Ces majeurs sont assimilés par le §865 ABGB[15] aux mineurs de sept ans.

 


[1] §21 ABGB : « (1) Minderjährige und Personen, die aus einem anderen Grund als dem ihrer Minderjährigkeit alle oder einzelne ihrer Angelegenheiten selbst gehörig zu besorgen nicht vermögen, stehen unter dem besonderen Schutz der Gesetze. »

[2] §186 ABGB : « Pflegeeltern sind Personen, die die Pflege und Erziehung des Kindes ganz oder teilweise besorgen und zu denen eine dem Verhältnis zwischen leiblichen Eltern und Kindern nahe kommende Beziehung besteht oder hergestellt werden soll. Sie haben das Recht, in den die Person des Kindes betreffenden Verfahren Anträge zu stellen. » Plegeeltern peut être traduit par parents nourriciers ou d’adoption. Le droit allemand connait la même notion.

[3] §275 ABGB: « (2) In wichtigen, die Person des Pflegebefohlenen betreffenden Angelegenheiten hat der Sachwalter (Kurator) die Genehmigung des Gerichts einzuholen. Ohne Genehmigung getroffene Maßnahmen oder Vertretungshandlungen sind unzulässig und unwirksam, sofern nicht Gefahr im Verzug vorliegt.  »

[4] §865 ABGB: « Kinder unter sieben Jahren (…) sind unfähig. »

[5] §21 al.2 ABGB : « Minderjährige sind Personen, die das achtzehnte Lebensjahr noch nicht vollendet haben; haben sie das vierzehnte Lebensjahr noch nicht vollendet, so sind sie unmündig. »

[6] Cette disposition est dite « Taschengeldparagraph », le « paragraphe de l’argent de poche ».

[7] §151 al.3 ABGB : « Schließt ein minderjähriges Kind ein Rechtsgeschäft, das von Minderjährigen seines Alters üblicherweise geschlossen wird und eine geringfügige Angelegenheit des täglichen Lebens betrifft, so wird dieses Rechtsgeschäft, auch wenn die Voraussetzungen des Abs. 2 nicht vorliegen, mit der Erfüllung der das Kind treffenden Pflichten rückwirkend rechtswirksam. »

[8] §151 al.2 ABGB: « Nach erreichter Mündigkeit kann es jedoch über Sachen, die ihm zur freien Verfügung überlassen worden sind, und über sein Einkommen aus eigenem Erwerb so weit verfügen und sich verpflichten, als dadurch nicht die Befriedigung seiner Lebensbedürfnisse gefährdet wird. »

[9] §152 ABGB : « Soweit nicht anderes bestimmt ist, kann sich ein mündiges minderjähriges Kind selbständig durch Vertrag zu Dienstleistungen verpflichten, ausgenommen zu Dienstleistungen auf Grund eines Lehr- oder sonstigen Ausbildungsvertrags. Der gesetzliche Vertreter des Kindes kann das durch den Vertrag begründete Rechtsverhältnis aus wichtigen Gründen vorzeitig lösen.  »

[10] §865 ABGB : « (…) [Die]Personen, denen ein Sachwalter bestellt ist, können zwar ein bloß zu ihrem Vorteil gemachtes Versprechen annehmen; wenn sie aber eine damit verknüpfte Last übernehmen oder selbst etwas versprechen, hängt - außer in den Fällen des § 151 Abs. 3 und des § 280 Abs. 2 - die Gültigkeit des Vertrages nach den in dem dritten und vierten Hauptstück des ersten Teiles gegebenen Vorschriften in der Regel von der Einwilligung des Vertreters oder zugleich des Gerichtes ab. Bis diese Einwilligung erfolgt, kann der andere Theil nicht zurücktreten, aber eine angemessene Frist zur Erklärung verlangen. »

[11] §280 ABGB : « (1) Die behinderte Person kann innerhalb des Wirkungskreises des Sachwalters ohne dessen ausdrückliche oder stillschweigende Einwilligung rechtsgeschäftlich weder verfügen noch sich verpflichten. »

[12] §280 ABGB : « (2) Schließt die behinderte Person im Rahmen des Wirkungskreises des Sachwalters ein Rechtsgeschäft, das eine geringfügige Angelegenheit des täglichen Lebens betrifft, so wird dieses Rechtsgeschäft mit der Erfüllung der die behinderte Person treffenden Pflichten rückwirkend rechtswirksam. »

[13] §865 ABGB : « Personen (…), die den Gebrauch der Vernunft nicht haben . »

[14] La Cour suprême autrichienne retient comme critère déterminant la faculté de la personne à reconnaitre la signification d’un acte juridique mais aussi sa faculté à en saisir la portée, (OGH, 24/10/2012, 8Ob102/12a).

[15] §865 ABGB : «  (…) Personen über sieben Jahre, die den Gebrauch der Vernunft nicht haben, sind - außer in den Fällen des § 151 Abs. 3 - unfähig, ein Versprechen zu machen oder es anzunehmen. »