Belgique

L'acquisition de la propriété par possession en Belgique

par Léa Kronenberg, Master droit privé 2011/2012

Loi perpétuelle et naturelle de raison et de morale selon Pothier, « la prescription s’analyse comme un retour du droit au fait, comme une érection du fait en droit »[1]. En effet, cette institution issue du droit romain va permettre dans certaines hypothèses, de déduire d’une situation factuelle des conséquences juridiques. A la prescription extinctive qui est un mode d’extinction d’un droit : « résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps »[2], bon nombre de systèmes juridiques lui oppose la prescription acquisitive usuellement dénommée « usucapion ». Il en est ainsi du droit civil belge dont la parenté avec le droit français de l’usucapion est manifeste.

Cette identité de régime trouve une justification historique, les provinces belges incorporées à la France en 1795 s’étant vues appliquées le Code civil napoléonien par la loi du 21 mars 1804 qui contenait la réunion des lois civiles en un corps de lois.

La prescription acquisitive va permettre au possesseur d’un bien d’en acquérir la propriété ou un droit réel après l’écoulement d’un certain laps de temps. Cela résulte des termes mêmes de l’article 2219 du Code civil belge en vertu duquel la prescription est un « moyen d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps, et sous les conditions déterminées par la loi »[3].

- Le régime de la prescription acquisitive en droit belge

Elle est de deux types ; ordinaire, reposant sur une possession de trente ans ou abrégée, reposant sur une possession de dix ou vingt ans.

  • Conditions d’application

La prescription suppose qu’il y ait possession. Celle-ci peut être définit comme « le fait (pour une personne) d’accomplir sur une chose les actes correspondant à l’exercice d’un droit de propriété ou d’un droit réel, en se comportant comme si l’on était propriétaire d’un bien ou titulaire d’un droit réel portant sur ce bien »[4].

Par conséquent, la possession suppose un élément matériel, le corpus possessionis et un élément intentionnel, l’animus possessionis résidant dans l’intention du possesseur d’agir pour son propre compte comme s’il était propriétaire de la chose (et qui le distingue du simple détenteur).

Tout comme en droit français, la possession doit être non viciée conformément aux dispositions de l’article 2229 du Code civil c’est-à-dire continue, non interrompue, paisible, publique et non équivoque[5].

Concernant les biens susceptibles de possession, la prescription acquisitive ne peut concerner que : « les droits portant sur un bien susceptible de possession régulière, à savoir les droits de propriété ou de copropriété, d’usufruit, d’usage, d’habitation, de servitudes, de superficie et d’emphytéose »[6].

A contrario, la prescription acquisitive ne peut être fondée sur les actes de pure faculté ou de simple tolérance[7].

Les biens frappés d’inaliénabilité sont susceptibles d’être acquis par prescription dès lors qu’ils restent dans le commerce.

En ce qui concerne l’exigence de bonne foi du possesseur, celle-ci n’est requise qu’en matière de prescription acquisitive abrégée. En effet, en vertu d’un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 16 janvier 2002 : « la prescription trentenaire ne requiert ni juste titre, ni titre d’ailleurs, ni bonne foi de celui qui se comporte comme le propriétaire d’un bien immobilier ». Précisons qu’en vertu de l’article 2268 du Code civil, la bonne foi du possesseur est toujours présumée. Il suffit qu’elle ait existé au moment de l’acquisition (art. 2269 du Code civil).

A cette condition supplémentaire en matière de prescription acquisitive abrégée, s’ajoute celle de l’existence d’un juste titre du possesseur ayant fait l’objet éventuellement d’une transcription. Le juste titre est un acte translatif ou constitutif de droit réel dont la preuve incombe au possesseur. Elle se fait en principe par écrit.

  • Durée

Le point de départ des prescriptions trentenaire et abrégée est fixé au jour de la prise de possession. Notons toutefois que l’opposabilité du juste titre concernant une mutation immobilière entre vifs dépend d’une transcription qui doit être opérée.

La prescription ordinaire fait acquérir la propriété d’une chose à son possesseur au terme d’un délai de trente ans alors que l’usucapion abrégée dont le délai varie de 10 à 20 ans ne joue qu’à l’égard du possesseur de bonne foi titulaire d’un juste titre qui a acquis un immeuble ou un droit réel immobilier a non domino[8].

Ce délai sera de dix ans si le véritable propriétaire à l’origine de l’interruption de l’usucapion est domicilié dans le ressort de la cour d’appel dans l'étendue de laquelle l'immeuble est situé. Il sera de vingt ans si ce dernier habite en dehors de ce ressort[9].

- Les effets de la prescription acquisitive en droit belge

  • Mise en œuvre de l’usucapion

La prescription ne s’opère pas de plein droit. Elle doit être opposée par le possesseur via des conclusions formelles permettant d’attester de la conformité de la possession aux prévisions légales. La propriété lui étant irrémédiablement acquise dès lors que l’exception de prescription est invoquée, celle-ci ne sera opposable aux tiers qu’à compter de la transcription sur les registres hypothécaires de la décision judiciaire établissant cette prescription acquisitive.

  • Rétroactivité de l’usucapion

L’acquisition de la propriété par la prescription est rétroactive. Ainsi, le possesseur est réputé être le propriétaire de la chose au jour de son entrée en possession.

Notons enfin que la possession possède comme en droit français, un rôle probatoire comme l’indique les termes de l’article 2279 du Code civil belge dont la similitude avec le droit français est apparente : « En fait de meubles, la possession vaut présomption de titre. »

 

Bibliographie :

- Traité de Droit civil, Les biens, Jacques Ghestin, 2e édition, 2010

- Précis de droit civil belge, René Dekkes, Tome Premier, Introduction- Les personnes- Les biens- La transcription – La prescription, 1954, Bruxelles Etablissements Emile Bruylant

- Code civil belge : www.ejustice.just.fgov.be

 

 


[1] Traité de Droit civil, Les biens, Jacques Ghestin, 2e édition, 2010, p.239

[2] Article 2219 Code civil français

[3] Similitude avec la définition retenue en droit français puisque l’article 2258 du Code civil issu de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 définit l’usucapion comme : « un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

[4] Cité par Chronique de jurisprudence en Droit des biens, Pascale Lecocq, Université de Liège, Volume n°104 octobre 2008, p.64

[5] Cela résulte également des jugements du tribunal de première instance de Bruxelles du 25 mai et du tribunal de première instance de Nivelles du 2 octobre 2003

[6] Cour d’appel de Liège du 26 mai 1999

[7] Article 2232 Code civil belge

[8] Article 2265 du Code civil belge

[9] ibid