Espagne

L'acquisition de la propriété par possession en Espagne

Par Maxime GRAVERLIER et Thomas HEURTAULT, Master droit privé 2011/2012


Inspiré fortement tant par l’héritage commun du droit romain  ainsi que par la diffusion du code civil napoléonien au début du XVIIIième, le droit espagnol ne semble pas connaître de divergence fondamentale avec le droit civil français quant au régime de la prescription acquisitive. Ainsi, le Tribunal Supremo, plus haute juridiction civile espagnole, estime aux termes d’une conception consensuelle au sein des juridictions d’Europe continentale, que la prescription acquisitive – l’usucapion- constitue l’un des éléments substantiels du droit de propriété, sanctionnant le défaut d’exercice par le propriétaire de ses prérogatives et palliant l’absence de titre du possesseur[1].

Le code civil espagnol semble toutefois avoir privilégié une architecture critiquable. Ce dernier consacre, en son article 609, l’existence de la prescription acquisitive en tant que mécanisme d’acquisition des droits réels, admettant ainsi de facto l’existence de l’usucapion en droit espagnol. Toutefois, cet article est curieusement inséré au sein du quatrième livre du code civil espagnol, traitant des obligations et autres contrats et non au sein du troisième livre, relatif aux différents modes d’acquisition de la propriété.

Qu’il s’agisse d’un bien meuble ou immeuble[2], deux  modalités spécifiques de prescription acquisitive existent en droit espagnol. Il s’agit de l’usucapion ordinaire –régi aux articles 1940 et 1941 du code civil- et l’usucapion extraordinaire ou imparfait  –tel que défini à l’article 1959 du code civil-.

L’usucapion ordinaire permet d’acquérir la propriété d’un bien dès lors que l’on témoigne d’une possession non équivoque, pourvue d’un juste titre, de bonne foi, publique, paisible et ininterrompue. A l’inverse, l’usucapion extraordinaire permet, aux termes d’une solution jurisprudentielle récente[3], d’acquérir la propriété d’un bien, pour peu que la possession ait été ininterrompue et non équivoque (ni la bonne foi, ni un juste titre n’est exigé). Notons que les juridictions espagnoles attachent une importance particulière au comportement du possesseur. En effet, au titre de la condition de non-équivocité, il lui incombe de démontrer qu’il a effectué des actes que seul le véritable propriétaire de la chose devait être en mesure de pouvoir réaliser[4]. De la sorte, les juridictions espagnoles consacrent l’existence d’un élément matériel dans la qualification de l’usucapion.

Signalons également que la durée de possession requise pour pouvoir acquérir la propriété du bien dépend de la qualité de la possession. Ainsi, dans le cadre d’une possession satisfaisant l’intégralité des  critères énoncés aux articles 1940 et 1941 du code civil, la possession doit avoir duré 3 ans pour un bien meuble, et 10 ans pour un bien immeuble appartenant à une personne résidant en Espagne, 20 ans pour une personne résidant à l’étranger. Les délais de possession nécessaires à l’acquisition de la propriété par le biais d’un usucapion extraordinaire ont été doublés, en effet, il est nécessaire de posséder le bien meuble durant 6 ans, 30 ans pour un immeuble.

 



[1] Tribunal Supremo, 10/02/2004, 05/05/2005 et 28/02/2007.

[2] Le domaine de la prescription acquisitive connaît cependant certaines limites en droit espagnol, ainsi, seuls les biens dans le commerce juridique peuvent faire l’objet d’une prescription acquisitive (Tribunal Supremo 30/10/2010 ; n° de Recurso n°1696/2005 ; n° de Resolución 104/2008), à l’exclusion des biens appartenant à une personne de droit public (Tribunal Supremo 26/04/1999).

[3] Tribunal Supremo, 05/02/2010 (n° de Recurso n°109/2006 ; n° de Resolución 8/2010).

[4] Tribunal Supremo, 30/12/1994 et 17/05/2002.