par Marion Bauer et Verônica Amori
La particularité du droit brésilien en matière de gestation pour autrui est de ne pas avoir règlementé la question. Ainsi il n’entre, avec évidence, ni dans la catégorie des pays prohibant cette technique, ni dans ceux l’autorisant. Voyons comment les acteurs ont encadré cette méthode de reproduction et les questions que cela soulève.
Le droit brésilien étant muet en ce qui concerne le recours à la gestation pour autrui, les praticiens, confrontés à la réalité sociale, ont fait une application du principe constitutionnel de l’article 5° II qui énonce que « nul ne peut être contraint de faire ou empêché de faire quoi que ce soit si ce n’est en vertu de la loi ». La gestation pour autrui n’étant pas expressément interdite, le Conseil fédéral de médecine (CFM) a établi une résolution pour encadrer cette pratique et donner des indications aux médecins (A). Cependant, face à la carence législative, plusieurs projets de loi ont été imaginés soit pour réceptionner légalement la pratique, soit pour prohiber tout recours à la gestation pour autrui (B).
Le CFM, devant pallier à l’absence législative en ce domaine, a édicté une résolution sur les techniques de reproduction assistée, l’une de ces techniques étant précisément la possibilité de recourir à une mère de substitution (mère porteuse). La première résolution date de 1992 (résolution 1.358/1992[1]), elle a été modifiée en 2010 (résolution 1.957/2010[2]) puis récemment en 2013 (résolution n°2.013/2013[3]). Les dispositions, en ce qui concerne les mères porteuses, restent, à peu de choses près, les mêmes et se trouvent à la section VII de ces résolutions.
Premièrement, les cliniques sont autorisées à recourir à la pratique de la gestation pour autrui seulement en cas de problème médical qui empêche la grossesse ou dans les cas où il y a une contre-indication à la grossesse chez la mère. Ces prévisions empêchent tout recours à cette technique pour des raisons de confort. La résolution de 2013 ajoute expressément la possibilité de recourir à cette technique pour des couples homosexuels.
Ensuite, le CFM exige que la mère porteuse soit un parent de la mère d’intention jusqu’au 4ème degré. A cela s’ajoute une condition d’âge, la mère porteuse ne devant pas avoir plus de 50 ans. Ainsi, le recours à cette technique ne se fait que dans un cadre familial restreint.
Aussi, et c’est l’un des apports de la résolution de 2013, les cliniques de reproduction sont obligées de tenir un dossier très complet, précis, concernant les parties (document sur le consentement, rapport médical avec le profil psychologique de la mère porteuse, contrat déterminant clairement la question de la filiation de l’enfant, démarches administratives pour établir la filiation de l’enfant envers ses parents génétiques faites pendant la grossesse etc.).
Enfin, la dernière exigence est la gratuité. Selon le CFM, le « prêt » temporaire de l’utérus ne peut pas avoir un caractère lucratif ou commercial.
Lorsque ces conditions sont strictement observées, cela permet aux médecins de mettre en œuvre cette technique de reproduction qui implique la participation de plusieurs personnes[4]. Cette autorisation n’ayant aucune valeur légale, des difficultés vont se poser. Pour clarifier la situation, des projets de loi ont tenté d’apporter des solutions.
Le premier projet de loi (90/1999) reprenait en substance la résolution n°1.358/1992 du CFM. Ainsi, l’article 3° énonçait expressément que cette technique serait acceptable seulement en cas de nécessité médicale, dans les modalités de gratuité et à condition qu’il y ait un lien de parenté jusqu’au deuxième degré (l’extension au 4e degré date de 2013) entre la mère génétique et la mère porteuse. Cependant, ce projet a été modifié en 2001 et beaucoup de modifications au projet originel ont été apportées. Dans ce nouveau texte, l’utilisation de la gestation pour autrui est complètement interdite, y compris dans sa modalité gratuite. Cette modification est vue comme une régression qui causera un immense écart avec les progrès scientifiques[5].
En 2003 un nouveau projet de loi (1184/2003) a été rédigé dans lequel il est prévu, à l’article 3º, l’interdiction de recourir au contrat de mère porteuse. Il prévoit aussi à l’article 19, III, que la personne qui participe à une procédure de gestation pour autrui, soit en tant que bénéficiaire, soit en tant qu’intermédiaire ou exécutant de la technique, encoure pénalement une détention d’un an à trois ans ainsi qu’une amende.
Jusqu’à ce jour, aucun projet de loi n’a été voté, ce qui représente une carence législative préjudiciable dans le système juridique brésilien.
La carence législative pose des difficultés, envers l’établissement de la filiation (A) ainsi qu’à propos des sanctions éventuellement applicables aux participants (B).
Un des problèmes majeurs dû à la carence législative concerne principalement l’établissement de la filiation de l’enfant. L’exigence d’un lien de parenté entre la mère porteuse et la personne qui utilise cette méthode permet, normalement, d’éviter les conflits puisque l’action de « prêter » son utérus est vécue comme un acte d’amour envers la personne de sa famille qui recourt à cette méthode. Cependant, sur un plan purement formel, des difficultés apparaissent. La question est de savoir si, malgré les nouvelles prévisions de la résolution de 2013, l’hôpital où l’enfant est né peut délivrer valablement un document avec uniquement le nom de la mère génétique comme si c’était elle qui avait accouché. Malgré l’encadrement prévu par les résolutions, l’intervention du juge sera inévitable en cas de conflit dans la mesure où, sur les documents de l’hôpital, figure le nom de la mère qui a accouché alors que c’est la mère génétique qui demande au registre civil l’établissement de la filiation à son nom.
D’autres difficultés, sur le fond, se posent en cas de réel conflit entre la mère porteuse et la mère génétique. Il n’y a pas, dans l’ordonnancement juridique brésilien, un article spécifique qui prévoie que la mère soit forcément la femme qui a accouché[6]. Plusieurs modes d’établissement de la filiation sont admis par les juges au Brésil en dehors du mode classique qu’est l’accouchement. Il y a l’établissement de la filiation par le lien génétique qui est facilement constaté par l’examen d’ADN. On remarque une tendance générale des auteurs à défendre l’idée que la mère est la femme avec le lien génétique. L'autre moyen admis est le lien affectif. Selon ce critère, c’est l’intention de maternité de la mère envers l’enfant qui doit établir la filiation.
Il n’y a pas une réponse cadre pour les conflits sur la filiation dans les cas d’utilisation d’une gestation pour autrui, comme nous l’avons vu, la doctrine n’étant pas unanime. La solution est donnée au cas par cas, mais il faut tenir compte du fait que le système juridique brésilien donne beaucoup d’importance aux principes constitutionnels[7] dans la résolution de litiges. Pour cette raison, le principe de l’intérêt supérieur du mineur primera. Cela veut dire que dans le cas d’un conflit relatif à la gestation pour autrui le juge choisira la personne la plus favorable pour l’enfant.
Premièrement, il faut rappeler que la résolution du CFM est une règle adressée aux médecins, c’est une règle de conduite éthique, c’est-à-dire qu’elle n’a pas la force d’une loi[8]. Si les conditions de la résolution ne sont pas respectées par le citoyen il n’y a pas de prévision légale pour sanctionner la conduite. Dans la pratique, si un médecin accepte de mettre en place une gestation pour autrui sans observer la résolution, il risquera de perdre sa licence. Concernant la personne qui recourt à cette technique, si elle recourt à une mère porteuse qui n’a pas un lien de parenté avec elle ou pour une raison de pur confort, a priori, elle n’encourt aucune sanction, parce que les exigences de la résolution du CFM sont adressées aux médecins. Cependant, le problème qui peut se poser pour les personnes privées concerne la condition de gratuité. En effet, les parents commanditaires pourraient être sanctionnés s'ils concluent un contrat de mère porteuse à titre onéreux.
Dans ce sens, il y a une grande discussion qui anime la doctrine sur la pénalisation du contrat onéreux de mère porteuse. Plusieurs auteurs pensent que c’est un délit[9]. Pour affirmer cela, ils invoquent l’article 199 §4º de la Constitution Fédérale[10] qui interdit tout type de commercialisation des organes et tissus du corps humain et l’article 15 de la loi 9394/97 qui prévoit une peine de 3 à 8 ans de réclusion pour l’achat ou la vente de tissus, d’organes ou parties du corps humain. D'autres auteurs relèvent, en revanche, que la pénalisation de la conduite n’était pas prévue par la loi 9394/97, qu’à aucun moment la loi n’énonce que l’action de louer un utérus est un délit. L’idée est que le droit pénal est d’interprétation stricte, c’est-à-dire que les personnes seront punies seulement si le comportement spécial est appréhendé. Dans le cas de la mère porteuse, il n’y a pas d’article spécifique qui énonce que les personnes payant pour ce genre de services seront pénalisées. Pour ces raisons on peut conclure qu’il n’y a pas de consensus sur la pénalisation du contrat onéreux de mère porteuse. En raison de l’adage « in dubio pro reo », la simple existence d’un doute plaide pour sa non-pénalisation.
[4] Les parents commanditaires, la mère porteuse, le cas échéant, une tierce personne donatrice de gamètes (cas implicitement envisagé par la résolution de 2013 en faisant référence aux couples homosexuels, donateur qui ne peut être la mère porteuse -la résolution de 2013, à la section IV article 2, interdisant que les donateurs puissent connaître l’identité des bénéficiaires du don et inversement).
[5]SOUZA, Marise Cunha. As técnicas de reprodução assistida. A barriga de aluguel. A definição da maternidade e da paternidade. Bioética. Revista da EMERJ, v. 13, nº50,2010 P.363.
[6] TEIXEIRA, Ana Carolina Brochado. Conflito positivo de maternidade e a utilização de útero de substituição. Disponible: www.colegioregistralmg.org.br/content/images/artigoacademico/utero_por_substituicao.pdf
[7] Les juges du fond pouvant procéder à un contrôle de constitutionnalité et évincer ainsi une loi qu’ils estiment inconstitutionnelle.
[8] SOUZA, Marise Cunha. As técnicas de reprodução assistida. A barriga de aluguel. A definição da maternidade e da paternidade. Bioética. Revista da EMERJ, v. 13, nº50,2010 P.357.