par Héloise Masson , Charlotte Frisdal, Hicham Didou et Elodie Murat
L'Espagne subit ces dernières années une crise démographique. Cette crise de la démographie doit avant tout se comprendre au regard du contexte dans lequel se situe l'Espagne. Malgré une phase de progression dans les droits sociétaux sous la présidence de M. Zapatero (faisant par exemple de l'Espagne le troisième pays à ouvrir le mariage aux couples homosexuels en 2005), l'empreinte du catholicisme est tout de même restée dans les mœurs. Cette influence a ainsi conduit le gouvernement de Mariano Rajoy à présenter un projet de loi le 20 décembre 2013 destiné à limiter le droit à l'avortement.
Les débats autour de la question de la gestation pour autrui reflètent ainsi une Espagne qui se veut à la pointe des droits dont peuvent se prévaloir ses citoyens, tout en restant marquée par son rôle de foyer du catholicisme. La gestation pour autrui est désignée sous les termes espagnols de : «maternidad subrogada», “gestación por sustitución”, “vientre de alquiler”,“maternidad intervenida”, “maternidad disociada”, “gestación por contrato”, “madre sustituta” ou enfin “madre de alquiler”. Selon l'institut européen de bioéthique, il s'agit d' « un ensemble de situations dans lesquelles une femme, la mère porteuse, accepte de porter et de mettre au monde un enfant à la demande d’un couple». Cette pratique est avant tout une «aide» médicale pour les femmes souffrant de pathologies les empêchant de mener une grossesse à terme, mais aussi et en corrélation sociale avec la loi autorisant le mariage homosexuel de 2005, une technique permettant aux couples de même sexe de donner naissance à un enfant.
L'Espagne a fait le choix, dès 1988, de prohiber la gestation pour autrui. La question du recours à une mère porteuse concerne le domaine médical, mais touche également au cadre social du pays et doit, dans cette mesure, être encadré par le droit. Il convient donc de déterminer comment est ce que le droit espagnol parvient à régir le phénomène de la gestation pour autrui. Si sur le territoire national espagnol, le principe est celui de la prohibition des contrats de mères porteuses (I), le droit doit faire face au phénomène de la réception des contrats de mère porteuse conclus à l’étranger (II).
Le principe d'interdiction sur le territoire national de la conclusion des contrats de mère porteuse, rappelé dans la loi du 26 mai 2006 (A), trouve son fondement dans le cadre légal relatif au respect de la dignité humaine (B).
La loi n°14/2006 du 26 mai 2006, dite loi sur les techniques de reproduction humaine assistées, est entrée en vigueur le 28 mai 2006. Elle a été suivie d'un décret royal 906/2007, du 6 juillet 2007, (modification du Décret Royal 15/1997, du 21 mars 1997) réglementant la Commission Nationale de Reproduction Humaine Assistée. Il s'agit d'un organisme collégial, permanent et consultatif dont le but est d’aider et d’orienter le recours à des techniques de procréation assistée, ainsi que de contribuer à l’actualisation et à la diffusion des connaissances scientifiques et techniques en la matière et d’établir des critères fonctionnels et structurels des centres et des services concernés. Cette Commission préconise la légalisation de la gestation pour autrui pour les femmes qui pour des raisons physiologiques ne peuvent pas porter d'enfants.
La loi du 26 mai 2006 autorise la conception d’un enfant avec don de gamètes ou d’embryon, les bénéficiaires pouvant être mariés ou non, mais elle prohibe le clonage et la gestation pour autrui1. C'est au terme de l'article 10 alinéa 1 intitulé « Maternité de substitution » de la loi de 2006, que la gestation pour autrui est expressément interdite.
L'article est rédigé comme suit:
«1. Sera nul de plein droit le contrat par lequel est convenue la gestation, à titre onéreux ou gratuit, d'une femme qui renoncera à la filiation maternelle en faveur du cocontractant ou d'un tiers.
2. La filiation des enfants nés à l'issue d'une maternité de substitution sera déterminée par l'accouchement.
3. Le père biologique conserve la possibilité de revendiquer la paternité, conformément aux règles de droit commun.»
Des sanctions sont prévues en cas de manquement aux dispositions de cet article. La conclusion d'une convention de gestation pour autrui est sanctionnée fortement en Espagne, que se soit à l'encontre des parents ou du personnel médical. Ils encourent une peine d'amende allant de 10000 à 1 million d'euros ainsi que la fermeture de l'établissement y ayant concouru.
Les arguments des partisans de la légalisation ou de la prohibition sont nombreux. Il convient de se concentrer sur les motivations légales qui ont conduit le législateur à prohiber la gestation pour autrui.
On peut d'ores et déjà indiquer que les règles de filiation et l'état civil des personnes relèvent de l'ordre public et ne sont pas disponibles. Ceci semble donc exclure la possibilité de conclure des contrats de mère porteuse. De plus, l'article 1275 du Code civil espagnol dispose: «Los contratos sin causa, o con causa ilícita, no producen efecto alguno. Es ilícita la causa cuando se opone a las leyes o a la moral.» Ainsi les contrats dont la cause est illicite, c'est à dire contraire aux lois ou à la morale,ne produisent pas d'effet. Une autre disposition est à prendre en compte. Il s’agit de celle relative à l'objet du contrat. L'article 1271 du même code dispose: «Pueden ser objeto de contrato todas las cosas que no están fuera del comercio de los hombres, aun las futuras. Sobre la herencia futura no se podrá, sin embargo, celebrar otros contratos que aquéllos cuyo objeto sea practicar entre vivos la división de un caudal y otras disposiciones particionales, conforme a lo dispuesto en el artículo 1056. Pueden ser igualmente objeto de contrato todos los servicios que no sean contrarios a las leyes o a las buenas costumbres.» Comme en droit français, l'objet du contrat doit être licite. La question est alors de savoir si l'objet et la cause d'un tel contrat sont illicites au regard de la morale. Une réponse est apportée par la Constitution espagnole qui prévoit un titre 10.1 sur la dignité de la personne: « La dignidad de la persona, los derechos inviolables que le son inherentes, el libre desarrollo de la personalidad, el respeto a la Ley y a los derechos de los demás son fundamento del orden político y de la paz social.» Cette disposition constitutionnelle prévoit un principe fondamental de respect des droits inhérents à la personne humaine et notamment à son développement personnel. Il s'agit là du fondement de l'ordre politique et de la paix sociale. Le principe du respect de la dignité de la personne, norme supérieure inscrite dans la Constitution, empêche donc la mise à disposition du corps humain. L'être humain ne saurait être assimilé à une chose. Or, en l'espèce la mère porteuse occupe la fonction instrumentale de «chose». Elle n'a qu'un rôle d'acteur passif dans la vie de l'enfant à naître, à l'inverse d'une mère qui porte un enfant par besoin naturel et par volonté de participer à son développement tout au long de sa vie. La place de l'enfant est également reléguée au rôle de «chose» objet du contrat, car il devient la prestation attendue du couple commanditaire; ce qui est «du» par la mère porteuse.
Par conséquent, c'est d'une part en considération du principe de l'indisponibilité de l'état civil des personnes, et d'autre part et surtout conformément au principe de respect à la dignité humaine que le législateur espagnol a prohibé la gestation pour autrui. Dans les pays qui interdisent la gestation pour autrui, les couples sont alors tentés d'aller à l'étranger pour recourir à cette pratique. De nombreux couples espagnols se rendent ainsi en Amérique du Sud dans cette perspective.
Dès 2009, les juridictions espagnoles ont été amenées à se prononcer sur la question de la reconnaissance en Espagne d'un enfant conçu à l'étranger par l'intermédiaire d'une mère porteuse. Si la question a pu sembler réglée pendant plusieurs années (A), une décision récente du Tribunal constitutionnel espagnol vient remettre en cause la jurisprudence établie (B).
Les juridictions espagnoles se sont prononcées à l'occasion d'une affaire dans laquelle un couple espagnol de même sexe souhaitait obtenir la transcription de l'acte de naissance étranger de deux enfants jumeaux nés d'une gestation pour autrui pratiquée en Californie. La Cour Suprême de Californie avait reconnu la qualité de père au couple espagnol avant la naissance des enfants et elle avait alors ordonné l'expédition des certificats de naissance en Espagne.
Confrontée à la question de la reconnaissance de la filiation sur les registres d'état civil espagnols, la Direction générale des registres et du notariat (DGRN) a rendu une résolution le 18 février 2009 autorisant l'inscription à l'état civil des deux jumeaux, en tant qu'enfants du couple espagnol de même sexe résidant en Espagne. La DGNR a contrôlé la légalité de la force probante des certificats de naissance étrangers, de sorte qu'elle s'est simplement prononcée sur la reconnaissance de la validité extraterritoriale des décisions étrangères en Espagne. La question de fond de la filiation restait donc ouverte pour les tribunaux. Le Tribunal de première instance de Valence, saisie par le Parquet, s'est donc prononcé le 17 septembre 2009 en annulant l'inscription de la filiation des jumeaux.
Face à ces solutions contradictoires, et afin de garantir l'uniformité des solutions et une certaine sécurité juridique, la DGRN a rendu une Instruction le 5 octobre 2010 destinée à déterminer les conditions d'inscription sur le registre d'état civil espagnol des enfants nés à l'étranger et issus d’une gestation pour autrui. En principe une telle inscription ne peut se faire que sur production d'une décision établissant la filiation de l'enfant prononcée par un tribunal internationalement compétent. La reconnaissance de cette décision en Espagne implique de suivre la procédure d'exequatur. A titre exceptionnel, il y a un contrôle incident, sans procédure spéciale d'exequatur, lorsque la résolution judiciaire étrangère dérive d'une procédure de juridiction gracieuse. L'Instruction précise enfin qu'un certificat d'état civil étranger ou la simple déclaration accompagnée d'un certificat médical relatif à la naissance du mineur dans lesquels l'identité de la mère porteuse n'apparaît pas ne sont pas des documents recevables pour l'inscription de la naissance.
Cette possibilité de transcrire sur les registres d'état civils espagnols la naissance survenue à l'étranger revient ainsi à reconnaître indirectement la gestation pour autrui en Espagne contrairement à ce que prévoit l'article 10 de la loi de 2006. Dès lors se pose la question des droits conférés à cette nouvelle forme de parentalité. En Espagne, il a ainsi fallu déterminer si les parents d'un enfant né à l'étranger par GPA, dont la filiation a été transcrite en Espagne, peuvent bénéficier des prestations sociales. En l’espèce la filiation établie à l’égard des deux pères produisait effet. Un couple homosexuel marié en Espagne et parent d'une fille née par GPA aux Etats-Unis, dont la filiation a été reconnue en Espagne, demande à bénéficier des indemnités journalières de la Sécurité sociale versées en cas de congé maternité. Dans un arrêt du 8 octobre 2012, la 4ème chambre sociale du Tribunal Supérieur de Justice de Madrid accorde ces prestations de maternité en étendant à la gestation pour autrui l'application de l'article 133 bis de La Loi Générale de la Sécurité Sociale accordant la prestation en cas de maternité par grossesse ou par adoption. En l’espèce la filiation établie à l’égard des deux pères produisait effet.
Dans une décision plus récente, le Tribunal constitutionnel Espagnol semble remettre en cause cette possibilité de reconnaître la filiation établie à l'étranger d'un enfant né d'une gestation-pour-autrui.
Dans une décision du 10 février 2014, le Tribunal constitutionnel espagnol encadre strictement les possibilités d'établissement de la filiation des enfants nés à l'étranger par gestation pour autrui. Le Tribunal constitutionnel statue en conformité avec la décision du Tribunal de Valence du 17 septembre 2009 qui avait refusé la transcription des documents Californiens établissant un lien de filiation entre un couple homosexuel et un enfant né par gestation pour autrui. Néanmoins la décision du tribunal constitutionnel est ambigüe. Les juges refusent de transcrire sur les registres d'état civil espagnols la décision Californienne établissant le lien de filiation, sur le fondement du principe de l'interdiction de la gestation pour autrui inscrit à l'article 10 de la loi de 2006. La filiation est déterminée par l'accouchement ainsi il est légalement impossible que deux hommes figurent comme géniteurs d'un enfant. Les juges ont cependant affirmé que le couple homosexuel pourra obtenir l'inscription de la filiation de l'enfant sur les registres d'état civil, en effectuant une reconnaissance de paternité pour le père et en recourant aux mécanismes de l'adoption pour le conjoint. Ainsi, après de très longues démarches, la filiation pourra être établie.
L'ambiguïté de la décision témoigne de la volonté du tribunal d'exprimer sa réticence d'un point de vue idéologique à l'égard de la gestation pour autrui. Mais malgré ses réticences, le tribunal constitutionnel admet la reconnaissance de la filiation sous d'étroites conditions, probablement par crainte d'une condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme sur le fondement de l'article 8 de la Convention européenne, proclamant le droit de mener une vie familiale normale. La Cour européenne n'a pas encore été amenée à se prononcer en matière de gestation pour autrui, mais elle est particulièrement attachée à la protection de l'intérêt concret de l'enfant.
Adoptée à 5 voix contre 4, cette décision controversée illustre les positions divergentes suscitées par la gestation pour autrui. Ainsi les juges partisans de la transcription de la filiation en Espagne invoquaient la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et la nécessité de reconnaître la réalité sociale. Les voix majoritaires défendaient quant à elles, le maintien de l'ordre public espagnol, la lutte contre la marchandisation du corps humain et dénonçaient la fraude à la loi des citoyens espagnols disposant de moyens financiers.
Bibliographie:
Articles:
-QUINONES ESCAMEZ, A, Instruction du 5 octobre 2010, de la Direction Générale des Registres et du Notariat, sur l'enregistrement de la filiation des enfants nés par gestation pour autrui (BOE, nº 243, 7 octobre 2010, p. 84803-84805), Revue critique de droit international privé, 2011, p 183
-SCOTTI, L, El reconocimiento extraterritorial de la “maternidad subrogada”: una realidad
colmada de interrogantes sin respuestas jurídicas, Pensar en derecho, Facultad de derecho Universidad de Buenos Aires, 2012 p. 267.
- SALVADOR GUTIERREZ, S, Reconocimiento registral de la determinación en el extranjero de doble filiación paterna mediante técnica de gestación pr sustitución, Derecho de Familia, 2012.
- VELA SÁNCHEZ, A-J, La gestación por sustitución o maternid ad subrogada: el derecho a recurrir a las madres de alquiler. Cuestiones que suscita la Instrucción de la DGRN de 5 de octubre de 2010, sobre régimen registral de la filiación de los nacidos mediante gestación por sustitución, Diaro La Ley, Editorial Laley, Nº 7608, 2011.
Articles sur sites internets:
- JOST, E, Mères porteuses: la législation en Espagne. www.doctissimo.fr/html/grossesse/dossiers/meres-porteuses/articles/12353-mere-porteuse-legislation-espagne.htm
- MECARY, C, Le tribunal constitutionnel espagnol rejette l'accès au registre civil de jumeaux nés par gestation pour autrui en Californie, 10 fev. 2014. yagg.com/tag/caroline-mecary/
- MOREL, S, Espagne : une croix sur l'IVG, Le Monde, 6 mars 2014.http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/03/06/espagne-une-croix-sur-l-ivg_4378484_3224.html
- PERAL, M , Los hijos de madres de alquiler no podrán registrarse en España, El Mundo, 5 fev. 2014 www.elmundo.es/espana/2014/02/05/52f19dbf22601dec068b4585.html
- REQUEJO, M:
Another twist in surrogacy motherhood saga, 8 oct. 2010
Surrogate motherhood and Spanish homosexual couple (III), 20 sept. 2010
Spanish Homosexual Couple and Surrogate Pregnancy (II), 14 mars 2009
Spanish homosexual couple and surrogate pregnancy, 29 nov. 2008
conflictoflaws.net
- SCOTTI, L-B, El reconocimiento extraterritorial de la “maternidad subrogada” : una realidad colmada de interrogantes sin respuestas jurídicas. www.derecho.uba.ar/publicaciones/pensar-en-derecho/revistas/1/el-reconocimiento-extraterritorial-de-la-maternidad-subrogada-una-realidad-colmada-de-interrogantes-sin-respuestas-juridicas.pdf
Rapports:
- Ambassade de France en Espagne, Eléments récents d'information sur la bioéthique en Espagne, 2009. www.etatsgenerauxdelabioethique.fr/base_documentaire/international/espagne_bioethique.pdf
- Institut européen de bioéthique, « La gestation pour autrui », 2012, www.ieb-eib.org/fr/pdf/fiche_didactique-fiche-mere-porteuse.pdf
- Sénat, « Étude de législation comparée - La gestation pour autrui », n° 182, 2008. www.senat.fr