par Geoffrey Bourquin
Si aujourd’hui la gestation pour le compte d’autrui est interdite, celle-ci n’a pour fondement que l’indisponibilité du corps humain, cette dernière méritant ainsi d’être justifiée.
Initialement à défaut de statut juridique du corps humain dans son ensemble, ou de dispositions légales quant à son utilisation, de par la conception de ce dernier comme confondu avec la personne, sa disposition fut encadrée par le principe de dignité de la personne humaine qui joue un rôle primordial dans notre système juridique. Le principe de dignité permet de caractériser et fonder l’ingérence de l’éthique dans le droit positif, dans le débat juridique. De valeur constitutionnelle[1], ce principe de dignité, partie intégrante de nos mœurs et du droit positif en vertu des lois de la bioéthique de 1994, est désormais une disposition juridique qui permet de mettre en avant dans un système juridique la sacralité du corps humain, conception qui découle de l’influence du droit romain et canonique, par le monothéisme, sur notre droit civil.
Si la disponibilité du corps humain, de ses éléments ou produits, fut encadrée par le principe de dignité et la mise en place de lois éparses telles que la loi du 21 juillet 1952 sur l’utilisation thérapeutique du sang humain, de son plasma et de leurs dérivés, la loi dite « Neuwirth » en 1972 mettant en place les moyens de contraception, la loi dite « Veil » de 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), la loi 22 décembre 1976 loi dite « Caillavet » relative aux prélèvements d’organes ou encore la loi du 20 décembre 1988 dite « Huriet-Sérusclat » sur la protection des personnes dans la recherche biomédicale, ce n’est qu’en 1991 que fut consacré le principe d’indisponibilité du corps humain. En effet il a été consacré par la jurisprudence de la cour de cassation, statuant en Assemblée Plénière, le 31 mai 1991, à travers laquelle est affirmée qu’une convention de gestation pour le compte d’autrui est nulle, celle-ci violant le principe d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes. La transcription de ce principe dans une disposition légale ne fut effective qu’en 1994 par une des lois de la bioéthique, à savoir la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain créant, par exemple, l’article 16-1 du code civil déclarant que « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial » et suivants. Les trois lois bioéthiques se sont avérées une nécessité, des gardes fous, en réponse à une importante évolution des techniques scientifiques, de la médecine conjuguées à l’émancipation des libertés individuelles.
Même si désormais certains peuvent militer en faveur d’une commercialisation du corps humain, dans le commerce juridique, d’autres sont partisans du « caractère immuable du principe d’indisponibilité du corps humain »[2]. La réalité dessine une direction vers une disposition encadrée du corps humain, mais il n’en demeure pas moins vrai que la doctrine civiliste prône l’éternelle idée que le corps humain est la personne[3], pour lutter contre « le mercantilisme de la société industrielle»[4]. D’étymologie « mercante » signifiant marchand, le mercantilisme caractérise un commerce, loin du sens civil, axé sur le gain. Ainsi défendre l’idée que le corps humain serait une chose, favoriserait inéluctablement sa commercialisation ou du moins qu’il soit objet de propriété, puisque le droit confère à toute chose la possibilité d’être appréhendée.
L’évolution relative à la détermination du statut du corps humain, qui inéluctablement est le fondement du principe d’indisponibilité de ce dernier, découle du fait que l’économie a rattrapé le droit[5].
Si d’un point de vue éthique le principe d’indisponibilité du corps humain est une avancée majeure, une consécration de la protection de l’Homme face aux évolutions scientifiques notamment, ne devant pas se limiter à être un cobaye, il n’en demeure pas moins vrai qu’il fut l’exemple d’une incompréhension juridique. Nous avions pu constater que le principe tel qu’entendu en 1991 n’avait de vocation à être appliqué que dans en son caractère absolu, aucune convention relative au corps humain ne pourrait être valablement établie. Ainsi qu’en est-il des lois relatives au don du sang, de gamète, de la possibilité de se soumettre à des expérimentations ? On détermine de facto aisément la relativité d’un tel principe face à la réalité du XXe siècle et du XXIe.
C’est ainsi face, d’une part, aux exceptions légales, notamment l’utilisation des produits et éléments du corps humain qui s’inscrit dans un processus de réification du corps humain et, d’autre part à l’évolution scientifique et médicale, que le législateur est intervenu à travers les lois de la bioéthique de 1994 afin de règlementer l’utilisation de ces derniers, en créant l’article 16-1 du code civil. Il pose le principe de non patrimonialité du corps humain, de ses éléments et produits, précisant d’ailleurs à travers les articles 16-5 et 16-6 que « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles » et qu’« aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement de son corps ou à la collecte de produits sur celui-ci ». Force est de constater que le critère de la gratuité permet ainsi d’effectuer des conventions sur le corps humain, ses produits et ses éléments. Désormais le corps est une chose au regard de la summa divisio du droit français, si le corps ne peut être une personne, il serait une chose, comme le statut du cadavre le démontre, mais une chose sacrée. Ce principe s’inscrit dans l’évolution du principe d’indisponibilité du corps humain, en répondant de manière plus efficace aux nécessités actuelles, devenant ainsi la clé de voûte de toutes les conventions relatives au corps humain.
Pour autant si les évolutions ont motivé cette nécessaire évolution du statut juridique du corps humain, la possibilité de solliciter une gestation pour le compte d’autrui (GPA) reste prohibée en France, car si des intérêts scientifiques, médicaux, d’ordre national comme la nécessité des dons militent en faveur d’une disposition limitée du corps humain, de ses éléments et produits, la gestation pour le compte d’autrui qui s’inscrit dans un intérêt purement personnel, ne saurait justifier une telle convention et porterait atteinte au principe de non patrimonialité du corps humain puisque une femme louerait son corps. Cette disposition serait ainsi attentatoire à la dignité de la femme qui ne serait réduit qu’à une chose. A ce titre, l’article 16-7 du code civil instauré par une des lois de la bioéthique de 1994, déclare que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ».
Récemment avec la loi autorisant le mariage homosexuel, le législateur a fait l’économie d’une loi relative à la procréation médicalement assistée, et de facto relative aux contrats de gestation pour le compte d’autrui, ouvrant droit à l’enfant notamment pour les couples homosexuels. Une réflexion doit être menée sur cette thématique pour faire face aux effets qu’elle engendre.
De cette prohibition résultent des problématiques quant aux statuts juridiques des enfants nés de mères porteuses et ce notamment à l’étranger où, selon les législations, c’est légal. En effet, une partie de ces enfants sont des sans-papiers en France. La GPA étant prohibée, ils ne disposent pas d’identité civile, ni carte d’identité, ni passeport ne leurs sont attribués, car les couples se voient refuser par certaines juridictions, et de façon aléatoire, la transcription des actes de naissance étrangers, qui établissent la filiation.
Ces instances s’appuient sur une jurisprudence de la Cour de cassation, qui rejette la demande de transcription lorsqu’elle concerne un enfant né par GPA. Comment le savent-elles ? Ce n’est pas écrit sur l’acte de naissance. « Elles s’appuient sur une suspicion de GPA. Par exemple lorsqu’un couple hétérosexuel français et qui a toute sa vie en France donne naissance à un enfant aux Etats-Unis. Ou lorsque l’acte de naissance comporte le nom de deux hommes, puisque le nom de la mère porteuse n’y figure pas nécessairement », explique Madame Caroline MECARY[6].
Cet arrêt[7] de la Cour de cassation, refusant la transcription de l’acte de naissance d’un enfant issu de d’une GPA, entre toutefois en contradiction avec l’article 18 du Code civil, qui dispose : « est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français ». Si l’un des deux parents d’un enfant né par GPA est français, l’enfant devrait bien être français. Avec cet argument, Madame Caroline MECARY a obtenu le 21 février 2012, devant la Cour d’appel de Rennes la transcription d’un acte de naissance d’un enfant né par GPA en Inde, cet arrêt vient confirmer un jugement du Tribunal de grande instance de Nantes, en date du 17 mars 2011, qui avait ordonné la transcription de l'acte de naissance d'un enfant dont le Ministère public soutenait qu'il était né dans le cadre d'une gestation pour autrui (depuis, le recours aux mères porteuses a été interdit en Inde pour les couples homosexuels et les célibataires étrangers).
Pour autant cette décision de la Cour d’Appel de Rennes fut cassée et annulée par la Cour de cassation, arrêt sus énoncé, qui rappel « qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que les éléments réunis par le ministère public caractérisaient l'existence d'un processus frauduleux comportant une convention de gestation pour le compte d'autrui conclue entre M. Y... et Mme X..., ce dont il résultait que les actes de naissance des enfants ne pouvaient être transcrits sur les registres de l'état civil français, la cour d'appel a violé les textes susvisés » à savoir les articles 16-7 et 16-9 du code civil. Ainsi la Cour de cassation détermine sa position en arguant qu’il est impossible de retranscrire les actes d’états civils des enfants nés de GPA à l’étranger où c’est légal, au motif que ces naissances sont issues de procédés interdits en France.
Le 25 janvier 2013 a été publiée une circulaire du ministre de la justice, Madame Christiane TAUBIRA en vertu de laquelle les procureurs et les greffiers doivent favoriser la délivrance du certificat de nationalité française à ces enfants dès lors que le lien de filiation avec un français résulte d’un acte d’état civil étranger à la condition que celui-ci ait force probante au regard de l’article 47 du code civil, ce dernier déclarant que « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Si cette circulaire est une évolution au profit de l’identité de ces enfants, elle ne légalise pas la gestation pour le compte d’autrui, celle-ci restant pénalement sanctionnée, de un an de prison et 15 000 euros d’amende.
Néanmoins malgré cette circulaire, la position de la Cour de cassation reste ferme. Récemment, Le 19 mars dernier, la Cour de cassation[8] a, pour la troisième fois, invalidé la délivrance de la nationalité française à un enfant né à l'étranger d'une mère porteuse. Une décision qui ne ravit pas la chancellerie. La Cour de cassation[9] a rejeté la transcription des actes de naissance d'enfants nés de mères porteuses en Inde et annulé la reconnaissance de paternité faite pour l'un d'entre eux. Elle confirme ainsi la décision prise à l’égard de la décision de la Cour d’Appel de Rennes sus énoncée.
Madame Caroline MECARY avocate impliquée dans ces deux dossiers a indiqué à l'AFP qu'elle allait « conseiller (à ses clients) de saisir la Cour européenne des droits de l'Homme». Elle a estimé qu'en maintenant sa position habituelle de refus de la transcription des actes pour soupçon de GPA, la Cour de cassation aboutissait à une situation « totalement incohérente » par rapport à la circulaire sus énoncée de la Chancellerie, demandant aux tribunaux de ne plus refuser la délivrance de certificats de nationalité française au seul motif qu'ils concernent des enfants nés de mères porteuses.
[1] Le Conseil Constitutionnel à travers sa décision numéro 94-343/344 relative aux lois de la bioéthique du 29 juillet 1994, affirme que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ».
[2] BAUDOUIN Jean Louis Ibid.
[3] Rapport « BRAIBANT », établi par le Conseil d’Etat sur la demande du chef du gouvernement, Michel Rocard, en 1988, relatif à la position de la doctrine française au sujet du droit sur le corps humain.
[4] BAUD Jean Pierre, «l’affaire de la main volée une histoire juridique du corps », des Travaux, édition Seuil, 1993, page 15.
[5] BAUDOUIN Jean Louis Ibid.
[6] Site internet de l’avocate caroline MECARY
[7] Cour de cassation, chambre civile 1, 13 septembre 2013 N° de pourvoi: 12-30138
[8] Arrêt n°281 de la cour de cassation du 19 mars 2014
[9] Arrêt du 13 septembre 2013 n° pourvoi 12-30138