par Ahmad ALKHUDHAIR, Norah ALSHATTI et Eman ALHAMOUD
Au Koweït et en République Arabe d'Egypte, le contrat de mère porteuse n’a jusqu’à ce jour pas été traité par la justice. Ni la loi ni la jurisprudence n’ont abordé cette question. Il convient donc d’étudier ce contrat au regard des conditions de validité du contrat, plus précisément au regard de l’objet et de la cause du contrat. Dans la première partie, il sera opportun de traiter de la prohibition du contrat de mère porteuse en droit koweïtien et égyptien (I). Dans la seconde partie nous analyserons la réception des contrats de mère porteuse conclus à l’étranger (II).
En raison de l'absence de règles juridiques sur le contrat de mère porteuse, la doctrine tant au Koweït qu’en Egypte s'est contentée d'interdire la conclusion de contrats de mère porteuse, se référant pour cela aux règles et dispositions générales de formation du contrat[1]. Les doctrines koweïtienne et égyptienne se sont fondées sur l'illégalité de l'objet (A) et de la cause (B) du contrat de mère porteuse.
Pour ce qui est de l'illégalité de l'objet, la doctrine égyptienne se réfère à l'article 81 de la loi civile qui dispose que « toute chose non exclue d'une transaction par sa nature et par le fait de la loi, peut être soumise à la loi des finances ». Seules les choses peuvent faire l'objet de contrats, et comme le corps humain n'est pas considéré comme chose, il est donc exclu de la sphère des transactions et ne peut pas être un objet de transaction. Les composantes du corps humain sont en dehors de la sphère des actes juridiques. Donc le corps humain ne peut pas faire l’objet d’un accord, que la transaction soit avec ou sans contrepartie. L'agissement pour le bonheur de l'autre et l'absence d'intention de profit ne peuvent permettre de passer outre l'illégalité d'un contrat dont l'objet est le corps humain[2]. Ainsi, la doctrine égyptienne considère que l'objet du contrat de mère porteuse est contraire à l'ordre public en se fondant sur l’article 135 de la loi civile égyptienne, équivalent de l'article 172 du code koweïtien. La doctrine tire cette notion d’ordre public des textes de loi eux-mêmes nourris par les éminentes lois théologiques islamiques considérées comme les sources principales pour légiférer en droits égyptien et koweïtien[3]. Quant à la doctrine koweïtienne, elle se base sur l'article 22 du Code civil puisqu'il prévoit que « les choses évaluables peuvent faire l'objet de droits financiers ». Si l'objet n'est pas évaluable, alors il ne pourra jamais faire l’objet d’un contrat ; ce qui est le cas du corps humain ou toute partie de celui-ci. La note explicative du code civil[4] a clarifié la notion de “choses évaluables” en disant que ce sont les choses qui ne sont pas exclues des transactions par leur nature ou par la loi[5].
Concernant l’illégalité de la cause, la doctrine égyptienne se fonde sur la violation incriminée à l'article 136 du Code civil égyptien qui dispose que « si la cause contrevient à l'ordre public ou à la moralité, alors le contrat est nul ». C’est également la position de la doctrine koweïtienne qui se fonde sur l'article 176 §1 qui prévoit que « le contrat est nul en l'absence de cause ou si la cause est illégale ». Comme la cause d’un contrat de mère porteuse réside en l'obtention d'un enfant et l’établissement de sa filiation avec une autre femme que sa mère biologique (la mère porteuse), il a forcément une cause illégale. En effet, les règles de la filiation relèvent de l'ordre public et il n'est pas permis d’y déroger en créant un lien de filiation entre l'enfant et une autre personne que sa véritable mère. Ainsi les droits koweïtien et égyptien ont tenu compte des deux réalités de la gestation et de l'accouchement pour démontrer que la mère porteuse est la mère de l’enfant et que l’établissement d’un lien de filiation à l’égard de la mère commanditaire (lorsque l’embryon résulte de l’ovule de la mère commanditaire) comporte une violation caractérisée des règles légales relatives à la filiation et porte atteinte à l'état civil de l'enfant[6]. En conséquence, ce contrat est nul de nullité absolue tant en droit koweïtien qu’en droit égyptien.
Les contrats de mère porteuse peuvent cependant être conclus dans un pays étranger. C’est pourquoi il convient d’examiner les règles juridiques relatives à la filiation de l’enfant issu d’un tel contrat (A) avant de voir la position des droits koweïtien et égyptien sur ces contrats lorsqu’ils sont conclus à l’étranger (B).
1. La preuve du lien de parenté du nouveau né avec la mère porteuse
Le fait d'être né d’une mère porteuse justifie à lui seul l’établissement de la filiation de l'enfant. Cette naissance est considérée comme une approbation par la mère du lien de parenté puisqu'elle est celle qui a porté et mis au monde l’enfant. Il s’agit d’un mode d’établissement incontestable qui découle du certificat de naissance. La mère qui a porté un enfant et qui l'a enfanté est la mère réelle de cet enfant.
2. La preuve du lien de parenté entre l'enfant et la mère commanditaire
Il ne peut être établie aucune filiation entre l'enfant et la mère commanditaire car, même si l'enfant est issu de son ovule, elle n'est pas celle qui l'a porté et l'a mis au monde. Ceci reste valable même s'il était mentionné dans le certificat de naissance que l'enfant est issu de l'ovule de cette femme[7].
3. La preuve du lien de parenté entre l'enfant et l'homme qui a donné le sperme servant à féconder l'ovule
La filiation paternelle du nouveau-né est fonction du statut de femme mariée de la mère porteuse. Si cette dernière est mariée, l'enfant aura un lien de filiation à l’égard de son mari, comme étant le mari de la mère réelle de l'enfant; sauf si ce conjoint renonce à la paternité du nouveau-né. Si la mère porteuse n'est pas mariée, le père ne sera pas l'homme donneur de sperme. En effet on appliquera les textes relatifs à la « filiation adultérine » et l'enfant n’aura qu’une filiation maternelle[8].
Dans ce cas, en raison de l’absence de lien de marital entre le donneur de sperme et la mère porteuse, nécessaire pour qu’il y ait procréation entre l'homme et la femme, la réception par la mère porteuse d'un ovule fécondé par le sperme d'un autre homme que son mari est illégale[9].Par conséquent, l'enfant sera adultérin alors même que les conditions définissant le crime d'adultère ne sont pas réunies, puisque la composante matérielle de l'adultère ainsi que la composante morale n’auront pas été réalisées[10].
Quant à la possibilité d’établir un lien de filiation après la naissance au moyen d’une adoption de l'enfant par les “co-producteurs” de l'ovule fécondé, ceci n'est pas permis par la loi koweïtienne. Cela violerait la loi islamique clairement exprimée à l'article 167 du Code koweïtien relatif à l’état des personnes.
Cette situation n’a jamais été rencontrée par les juges. Cependant, si tel devait être le cas, la solution serait probablement la suivante : ce contrat serait annulé de même que les obligations des parties au contrat. On reviendrait alors à la situation d'avant l'établissement du contrat. Avant que l'insémination de l'ovule fécondé dans l'utérus de la mère porteuse ait eu lieu, il n’existerait alors aucune obligation pour celle-ci de respecter le contrat. Mais après l'insémination, il ne serait pour autant autorisé aucun avortement, même si cette situation s’avèrerait basée sur un contrat déclaré nul. En effet l'avortement est un crime selon les textes de loi relatifs à la protection du fœtus dans le ventre de sa mère[11].
Suivant cette hypothèse, l’enfant qui naîtrait vivant aurait alors la personnalité juridique ainsi qu’un lien de filiation à l’égard de la mère porteuse, comme nous l'avons démontré plus haut, qui serait alors considérée comme étant sa mère aux yeux de la loi. L’enfant aurait également un lien à l’égard de son mari, si elle est mariée. Il pèserait sur cette mère toutes les obligations d'une mère et l'enfant bénéficierait de tous les droits par rapport à cette mère et son mari, si ce dernier n'a pas renié l'enfant. Ces droits concerneraient l’héritage, la protection, et la pension, puisque ces obligations sont liées à la reconnaissance de la filiation[12].
Dans le cas où ni la mère porteuse ni le mari ne possèdait la nationalité du pays, il ne serait pas permis à l'enfant d'entrer sur le territoire, car l'enfant serait alors considéré comme étranger. Si la mère porteuse avait la nationalité du pays, l'enfant pourrait entrer dans le pays et prendre la nationalité de sa mère, tout en considérant qu'il resterait un enfant illégitime. Il serait traité par la loi comme enfant illégitime et en aura les mêmes droits: il pourrait hériter de sa mère et de ses proches uniquement, en vertu de l’article 335 du Code koweïtien relatif à l’état des personnes.
CONCLUSION :
En conclusion, nous espérons que le législateur égyptien et le législateur koweïtien adopteront une réglementation sur le contrat de mère porteuse et encadreront ses conséquences au moyen de textes clairs dans le Code relatif à l’état des personnes ainsi que dans le Code pénal puisque la référence aux règles générales n’est pas suffisante.
BIBLIOGRAPHIE:
- A.Ali, La location d’utérus dans les règles de l’Halal et l’Haram étude doctrinale comparé, bureau universitaire nouveau,2013.( عبد الحليم محمد منصور علي، تأجير الأرحام في ضوء قواعد الحلال والحرام دراسة فقهية مقارنة)
- A.Bhbahani et J.Alnakas, Résumé de la théorie générale des obligations, premier livre, 2ème edition, 2006-2007 (عبدالرسول عبد الرضا و جمال فاخر النكاس ، الوجيز في النظرية العامة للالتزامات،الكتاب الأول)
- H. Abdeldayem, Le contrat de location d’utérus : entre l'interdiction et l’autorisation, Maison de pensée universitaire, Alexandrie, 1ère édition, 2007. ( حسنى محمود عبدالدايم،عقد إجارة الأرحام بين الحظر والإباحة)
- H.Alshmaouï, La location d’utérus : étude comparée, Maison nouvelle université, Alexandrie ,2013 . ( هيام اسماعيل السحماوى، إيجار الرحم دراسة مقارنة (
- M.Abdullah, La location d’utérus : regard juridique et légitimité, mémoire de master2 Droit privé à l'université du Koweït, 2008. (محمد جاسم محمد عبدالله، تأجير الرحم نظرة قانونية وشرعية )
[1] M. Abdullah, La location d’utérus : regard juridique et légitimité, mémoire de master2 Droit privé à l'université du Koweït, 2008, p. 5.
[2] Ibid., p. 47.
[3] A.Ali, La location d’utérus dans les règles de l’Halal et l’Haram : étude doctrinale comparée, Bureau universitaire nouveau, 2013, p. 201.
[4] Le législateur koweïtien promulgue une note explicative lorsqu’il adopte ou modifie une loi. Cette note explique les textes de loi.
[5] A. Bhbahani et J. Alnakas, Résumé de la théorie générale des obligations, premier livre, 2ème édition, 2006-2007, p. 126.
[6] H.Alshmaouï, La location d’utérus : étude comparée, Maison nouvelle université, Alexandrie, 2013, p. 247.
[7] Ibid., p. 566.
[8] H. Abdeldayem, Le contrat de location d’utérus : entre l'interdiction et l’autorisation, Maison de pensé universitaire, Alexandrie, 1ère édition, 2007, p. 255.
[9] A.Ali, La location d’utérus dans les règles de l’Halal et l’Haram : étude doctrinale comparée, Bureau universitaire nouveau, 2013, p. 75.
[10] H. Abdeldayem, Le contrat de location d’utérus : entre l'interdiction et l’autorisation, Maison de pensée universitaire, Alexandrie, 1ère édition, 2007, p. 218.
[11] H.Alshmaouï, La location d’utérus : étude comparée, Maison nouvelle université, Alexandrie, 2013, p. 354.
[12] Ibid., p.628.