La mise au point des techniques a permis l’utilisation de matériaux de plus en plus fiables et de mieux en mieux adaptés quant à leur composition, leur forme et leur dimension, à la fonction qu’ils sont appelés à remplir. Pour ce qui est des prothèses cardio-vasculaires, le tissu reste la matière la mieux adaptée. Cependant, une fois implantées dans le corps du patient, certaines prothèses sont susceptibles de se déchirer. Ceci ne constitue pas le seul risque lié à la sécurité du produit de santé. « L’insertion de matériel synthétique dans un organisme vivant ne se fait pas sans risque, et peut être la cause de complications multiples : on peut citer, de manière non exhaustive, les thromboses, les infections virales induites par la pose d’une prothèse vasculaire textile (…) ou les allergies »[6]. Ces incidents peuvent aussi bien provenir d’un vice caché du produit implanté, que d’une réaction « physiologique » du corps humain. L’opération elle-même, comme tout geste médical, n’est pas non plus exempte de risque et peut être à l’origine d’un contentieux entre le patient et le médecin.
Il y a ainsi trois questions distinctes : la première est relative à la sécurité de l’appareillage. Elle concerne surtout la responsabilité -civile et/ou pénale- du fabricant du produit tenu d’une obligation de sécurité de résultat ; la deuxième a trait à la sécurité sanitaire[7] mise en œuvre par l’ensemble des utilisateurs et des professionnels de santé ; la troisième est liée à la relation directe du médecin avec son patient relativement à l’opération d’implantation : en cas d’incident, il s’agit de rechercher si le professionnel a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité. Il faut en effet considérer que le dommage corporel subi par la victime peut provenir soit de la survenance d’un risque médical lors de la pose de la prothèse[8] ou de tout acte d’investigation accompagnant cette installation, soit de la défaillance du dispositif implanté.
Il est alors essentiel de remarquer que la prévention est la meilleure garantie pour la sécurité du patient. M. Mansart relève ainsi que « La jurisprudence nous offre peu de décisions relatives à la responsabilité du fait de prothèses autres que dentaires. Cette pénurie du contentieux peut trouver deux explications. En premier lieu, il semble qu’il y ait une moindre fréquence des accidents en raison de l’existence d’une (réglementation sanitaire). En effet, le fabricant de prothèses est tenu de respecter les impératifs de sécurité des matériaux imposés par les règles de la sécurité sanitaire. Tout doit être mis en œuvre pour éviter, dans la mesure du possible, chaque incident. A ce titre, la matériovigilance fait partie des dispositifs essentiels de la sécurité sanitaire (…) » (Titre 1). « En second lieu, au soutien de la pénurie du contentieux, on a constaté que bon nombre de patients renoncent à agir en justice parce qu’ils ont bénéficié d’une information sur les risques de la prothèse et s’estiment dès lors avoir accepté qu’ils se réalisent ». « Toutefois, cette protection de l’appareillé ne vaut qu’en amont. En effet, lorsqu’en dépit de toutes ces mesures, un contentieux naît en aval entre l’appareillé et le médecin, les tribunaux font traditionnellement état de l’irréductible aléa médical pour rejeter la demande de l’intéressé »[9] (Titre 2). C’est la raison pour laquelle le patient se rabat finalement sur le fondement de l’obligation d’information en développement constant (Titre 3).
La matériovigilance est la dernière née à ce jour des vigilances sanitaires. Elle a pour objet la surveillance des incidents ou des risques d’incidents pouvant résulter de l’utilisation des dispositifs médicaux. Elle accompagne la mise en place de nouvelles règles de mise sur le marché de ces dispositifs, adoptées par les États membres de l’Union européenne : le marquage « CE » selon les directives européennes.
La matériovigilance comporte notamment le signalement, l’enregistrement, l’évaluation et l’exploitation des informations communiquées dans un but de prévention. Elle est mise en œuvre dès lors qu’un dispositif médical s’avère, ou risque de s’avérer dangereux. L’autorité compétente agit, le plus souvent, à la suite d’un signalement d’incident ou de risque d’incident émanant d’un déclarant, conformément aux obligations qui lui incombent du fait des lois et règlements en vigueur. Après évaluation des informations communiquées, elle apporte alors la réponse appropriée aux faits signalés. Mais l’autorité qualifiée peut aussi intervenir de sa propre initiative si elle juge que la sécurité sanitaire est en cause. Elle peut agir à la suite du recueil d’informations de notoriété publique (comme par exemple d’un article de presse faisant état de la dangerosité de telle pratique, d’informations obtenues dans le cadre du contrôle des conditions de mise sur le marché d’un dispositif marqué « CE », des conclusions d’un dossier de matériovigilance qui nécessitent d’engager des investigations dans un autre secteur, etc.).
Des raisons majeures militent en faveur de l’existence et de la formalisation de cette surveillance : l’utilisation d’un dispositif médical, comme tout autre produit de santé, n’est jamais exempte de risque. Ce risque peut être connu par avance, et il n’est alors acceptable qu’au regard du bénéfice médical attendu. Le plus souvent, les événements indésirables surviennent de façon inattendue en mettant en cause, soit le dispositif lui-même, soit les conditions de sa mise à disposition de l’utilisateur, soit son utilisation, soit la conjonction de ces causes. Si la sécurité des patients, des utilisateurs, voire des tiers est menacée, il convient alors de réagir, tant au plan local, qu’au plan national voire international, dans le cas où l’incident ou le risque d’incident peut se produire pour les mêmes causes à un autre endroit. L’assurance collective contre ces risques nécessite une organisation nationale et des règles de fonctionnement adaptées : la matériovigilance a précisément pour objet la surveillance de ces événements inattendus et les actions qu’il convient d’engager pour les faire cesser ou éviter qu’ils ne se reproduisent.
Les prestations médicales en milieu hospitalier sont devenues largement tributaires des techniques médicales, plaçant ainsi les dispositifs médicaux au cœur de la problématique de la qualité et de la sécurité des soins. Nous assistons ainsi à une intensification du recours aux dispositifs médicaux dans les pratiques médicales modernes, caractérisées à la fois par l’usage de techniques éprouvées et l’émergence continue d’innovations dont il convient de mieux apprécier les risques directs ou indirects.
Le traitement des maladies cardio-vasculaires est particulièrement concerné par cette problématique. L’augmentation de l’espérance de vie conjuguée à l’utilisation de nouveaux matériaux et aux incertitudes des avancées technologiques, engendre une multiplication des incidents ou risques d’incidents liés aux implants de prothèses cardio-vasculaires. Il est nécessaire d’évaluer les risques pour les limiter ; il en va de l’intérêt général.
Dans cette optique, nous nous proposons d’exposer ce qu’est la matériovigilance, dans un premier chapitre intitulé : la notion de matériovigilance ; puis, dans un deuxième temps, nous présenterons l’organisation concrète du système national sous la forme d’un deuxième chapitre intitulé : la mise en œuvre de la matériovigilance.
La matériovigilance s’inscrit dans un contexte législatif et réglementaire d’ores et déjà très abouti (section 1). La réglementation est pourtant en constante évolution, suivant en cela la modernisation des techniques et l’arrivée sur le marché de nouveaux produits. C’est elle qui fixe le champ d’application de la surveillance sanitaire (section 2).
Section 1 : Le contexte normatif de la matériovigilance
La sécurité des équipements médicaux est une préoccupation déjà ancienne du ministère de la santé ; une circulaire datée de décembre 1953 encourageait déjà le signalement par les établissements de santé, des incidents causés par le matériel médical. C’est néanmoins la transposition en droit national (B) des directives européennes relatives aux dispositifs médicaux (A), qui est à l’origine de la matériovigilance telle qu’elle existe aujourd’hui[10].
A : Le contexte européen
Des directives européennes imposent les obligations minimales que les États membres ont à respecter pour organiser leur propre système de matériovigilance (I). Parallèlement, un Guide européen de la matériovigilance fournit un éclairage synthétique et pédagogique de l’ensemble de la réglementation (II).
I : Les directives
Ces directives européennes instaurent des règles de surveillance des événements indésirables survenant, ou pouvant survenir, lors de l’utilisation de dispositifs médicaux et prévoient les mesures d’interdiction ou de restriction d’emploi en cas de risque pour la santé ou la sécurité des patients, des utilisateurs ou des tiers. Le secteur des dispositifs médicaux est ainsi couvert par trois directives européennes :
- La directive n° 90/385/CEE du 20 juin 1990, sur les dispositifs médicaux implantables actifs[11], modifiée par l’article 21 de la directive n° 93/42/CEE et par l’article 9 de la directive 93/68/CEE du 22 juillet 1993[12] ;
- La directive n° 93/42/CEE, sur les autres dispositifs médicaux du 14 juin 1993[13] ;
- La directive n° 2000/70/CE, modifiant la directive 93/42/CEE, en ce qui concerne les dispositifs médicaux incorporant des dérivés stables du sang ou du plasma humains[14].
Les obligations des États membres, issues de ces textes sont peu nombreuses, ceux-ci disposant d’une large marge de manœuvre pour organiser leur propre système de matériovigilance. Ils doivent au minimum :
- Recenser et évaluer de façon centralisée : tout dysfonctionnement ou toute altération des caractéristiques et/ou des performances d’un dispositif ainsi que toute inadéquation de l’étiquetage susceptible d’avoir entraîné la mort ou une dégradation grave de l’état de santé d’un patient ou d’un utilisateur ; toute raison d’ordre technique ou médicale liée aux caractéristiques ou aux performances d’un dispositif et ayant entraîné un rappel systématique du marché par le fabricant des dispositifs appartenant au même type ;
- Prendre des dispositions réglementaires afin que, le fabricant du dispositif faisant l’objet d’un signalement d’incident ou de risque d’incident, soit informé s’il n’est pas lui-même le déclarant ;
- Informer immédiatement la Commission des communautés européennes et les autres États membres si des mesures sont prises ou envisagées.
Ces prescriptions, complétées par les obligations que les directives imposent aux fabricants, sont recensées et mises en œuvre dans le Guide européen de la matériovigilance.
II : Le Guide européen de la matériovigilance
Afin d’uniformiser la mise en œuvre des dispositions prévues par les directives européennes relatives aux dispositifs médicaux pour chacun des États membres, la Commission des communautés européennes a publié une série de guides pour les sujets nécessitant un éclairage particulier.
Ces guides, encore appelés « lignes directrices » et plus connus sous le nom de « MEDDEV », n’ont pas de valeur réglementaire et suggèrent seulement aux États membres et aux autres acteurs, une interprétation des directives issue de la réflexion des groupes de travail constitués d’experts de chacun des États membres.
Les lignes directrices concernant la matériovigilance[15] proposent un système de vigilance basé sur des signalements provenant plutôt des fabricants de dispositifs médicaux[16].
Ce n’est pas l’option choisie par la France pour organiser le système national de matériovigilance.
B : Le contexte national
La réglementation nationale constitue le droit positif en matière de matériovigilance. En droit français, la directive n° 93/42/CEE a été transposée par une loi et deux décrets (I). Comme au niveau européen, la mise en œuvre de la législation nationale a donné lieu à l’élaboration d’un Guide national de la matériovigilance (II).
I : La législation nationale
La réglementation primaire, issue de la transposition des directives, est sans cesse amendée et complétée par de nouvelles dispositions en fonction de l’évolution du marché et des connaissances. Nous présenterons les textes de référence et la réglementation complémentaire ; il existe ainsi des textes principaux (a) auxquels s’ajoutent des dispositions accessoires (b).
a : La transposition des directives
Les directives européennes relatives à la mise sur le marché des dispositifs médicaux sont des directives dites « totales » qui ont dû être intégralement transposées en droit interne. L’ensemble de la réglementation applicable est aujourd’hui intégré au Code de la santé publique par :
- La loi n° 94-43 du 18 janvier 1994, relative à la santé publique et à la protection sociale[17], modifiée par la loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d’ordre social[18], modifiée par la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998[19] ;
- Le décret n° 95-292 du 16 mars 1995, relatif aux dispositifs médicaux[20] définis à l’article L. 665-3 du Code de la santé publique, modifié par le décret n° 99-145 du 4 mars 1999[21], modifiée par les décrets n° 2004-108 du 4 février 2004 et n° 2004-413 du 13 mai 2004[22] ;
- Le décret n° 96-32 du 15 janvier 1996, relatif à la matériovigilance exercée sur les dispositifs médicaux[23], modifié par le décret n° 99-145 du 4 mars 1999.
L’article L. 5212-2 du Code de la santé publique constitue le fondement de la matériovigilance[24]. Il permet à l’autorité administrative le recensement des incidents et des risques d’incidents graves et des rappels effectués par les fabricants, comme l’imposent les directives européennes.
Des arrêtés et autres décisions administratives pris spécialement pour des dispositifs médicaux précis complètent cette législation.
b : Les dispositions accessoires
Il s’agit de[25] :
- L’arrêté du 24 mars 1997[26], relatif à la forme et au contenu des signalements d’incidents ou risques d’incidents dans le cadre de la matériovigilance ;
- L’arrêté du 3 mars 2003[27], fixant la liste des dispositifs médicaux soumis à une obligation de maintenance et de contrôle qualité[28] ;
Nous citerons également, à titre d’exemple, les mesures de sécurité sanitaires prises par le ministère depuis 1995 pour les implants cardio-vasculaires :
- Le télex n° 954428 du 1er décembre 1995[29], relatif à la suspension d’utilisation des prothèses vasculaires ARTEKNIT enduites de collagène bovin et distribuées en France notamment par la société LG DIFFUSION ;
- L’arrêté du 27 mai 1997[30], relatif à l’interdiction de mise sur le marché des prothèses synthétiques fabriquées par la société GOLASKI, de référence LO-POR Velours, MILLIKNIT et MICROKNIT, et distribuées par la société MEDI-SERVICE ;
- La lettre-circulaire DH/EM1 n° 974444 du 2 juin 1997[31], relative aux risques liés à l’implantation de ces mêmes prothèses ;
II : Le Guide français de la matériovigilance
Il complète le guide européen en rendant compte des spécificités du système de matériovigilance français[32]. Il faut toutefois signaler qu’il n’est pas à jour de toute la réglementation prise après 1998[33].
Section II : Le champ d’application de la matériovigilance
La matériovigilance vise un domaine d’application spécifique quant aux dispositifs médicaux (A) et quant à ses acteurs (B).
A : Le dispositif médical
Les prothèses vasculaires (ou endovasculaires) constituent des dispositifs médicaux soumis à matériovigilance (I). Leur mise sur le marché et leur utilisation doit répondre à une certification de conformité européenne (II).
I : La notion de dispositif médical
L’article L. 5211-1 du Code de la santé publique définit le dispositif médical comme « tout instrument, appareil, équipement, matière, produit, à l’exception des produits d’origine humaine, ou autre article utilisé seul ou en association y compris les accessoires et logiciels intervenants dans son fonctionnement, destinés par le fabricant à être utilisé chez l’homme à des fins médicales et dont l’action principale voulue n’est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens (…) ». Les accessoires des dispositifs médicaux sont également considérés comme des dispositifs médicaux[34].
Tous les dispositifs médicaux –mais eux seuls- relèvent de la matériovigilance, dès lors qu’ils ont été mis sur le marché.
II : La mise sur le marché des dispositifs médicaux
Il faut entendre par mise sur le marché : la mise en vente, la vente, la mise à disposition à titre onéreux ou gratuit, la cession à quelque titre que ce soit, d’un dispositif médical autre qu’un dispositif devant faire l’objet d’investigations cliniques, qu’il soit neuf ou remis à neuf ; l’importation sur le territoire douanier d’un tel dispositif, dès lors qu’il n’a pas le statut de marchandise communautaire.
La mise sur le marché des dispositifs médicaux dans l’Espace économique européen est conditionnée par le marquage « CE ». Toutefois, tous les dispositifs médicaux, qu’ils soient marqués « CE » ou pas, quelle que soit l’ancienneté de leur utilisation, qu’ils fassent ou non l’objet d’investigations cliniques, entrent dans le champ de la matériovigilance.
Le marquage « CE » matérialise la conformité à des exigences essentielles garantissant un niveau de protection élevé en matière de sécurité et de santé, tant pour l’utilisateur que pour le consommateur. Corollairement, le respect des normes harmonisées européennes entraîne présomption de conformité aux exigences essentielles.
La certification est réalisée par un organisme indépendant, appelé « organisme notifié », établi dans l’un quelconque des États de l’Union. En France, nous n’en comptons qu’un, alors que dans d’autres pays d’Europe (Angleterre, Allemagne), ce chiffre est largement supérieur. Cette organisation provoque manifestement un problème économique si l’on considère que l’industriel a le libre choix de faire marquer son dispositif médical dans n’importe quel pays de la Communauté européenne et que chacun d’entre eux pratique des coûts et des délais différents.
A compter de sa mise sur le marché, conformément aux certifications européennes, le dispositif médical fait l’objet d’une surveillance continue de la part des différents acteurs de la matériovigilance.
B : Les acteurs de la matériovigilance
C’est l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS)[35] qui est chargée, en France, de recenser et évaluer de façon centralisée, les incidents et risques d’incidents, dits graves. Pour cela l’agence s’appuie sur différents intervenants situés à l’échelon national (I) et local (II). Le système de matériovigilance fonctionne comme un ascenseur : les signalements partent des correspondants locaux et remontent jusqu’au Directeur général de l’AFSSAPS ; les décisions et demandes d’enquêtes sont prises au niveau national pour être exécutées sur le terrain.
I : L’échelon national
Le sommet de l’organigramme est occupé par une autorité sanitaire déléguée –établissement public de l’État-, placée sous la tutelle du ministre chargé de la santé : l’AFSSAPS (a). Pour assumer son rôle, elle dispose d’un réseau d’experts et de personnels techniques (b).
a : L’AFSSAPS
L’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a été crée par la loi du 1er juillet 1998 instituant un dispositif de veille et de sécurité sanitaire, en réaction au scandale de la transfusion sanguine. Mise en place en mars 1999, l’AFSSAPS a non seulement hérité des compétences de l’agence du médicament, mais elle a aussi reçu des missions élargies à l’ensemble des produits de santé en vue de garantir leur efficacité, leur qualité et leur bon usage.
D’une part, elle exerce des missions propres d’évaluation, de contrôle, d’inspection et d’information débouchant, chaque fois que cela s’avère nécessaire, sur des décisions de police sanitaire prises par son Directeur général, au nom de l’État. D’autre part, elle s’inscrit dans les démarches de santé publique associant divers partenaires (ministère et autres agences) et contribue aux différents plans et programmes de santé engagés par les pouvoirs publics (plan cancer, plan canicule, plan sécurité routière).
Les décisions qu’elle prend au nom de l’État reposent sur des avis fondés et motivés, élaborés en concertation avec les différents intervenants (fabricants, utilisateurs…) et respectant deux principes essentiels : la contradiction et la transparence.
Son Directeur général, M. Marimbert, possède un rôle prépondérant dans le système de matériovigilance. Il dispose de pouvoirs importants puisqu’il peut prendre des mesures de suspension, de retrait du marché ou de consignation d’un produit ; décider de nouvelles mesures d’utilisation ou d’emploi des produits. Plus précisément, il est le destinataire des signalements obligatoires et facultatifs ; il informe le ou les fabricants concernés lorsque les faits signalés sont portés à sa connaissance ; il peut demander toute enquête ; il peut, sur demande motivée, obtenir des fabricants toute information, enquête ou travaux nécessaires à l’exercice de la matériovigilance.
b : Un réseau d’experts au service de l’AFSSAPS
Les experts travaillent seuls, sur le terrain ou en groupe, dans les différents comités ou commissions :
- La Commission nationale de matériovigilance (CNM) : elle est une commission consultative qui siège auprès de l’AFSSAPS. Elle comprend des membres de droit qui représentent les services de l’État en charge de la sécurité sanitaire, et des experts désignés par le ministre ;
Elle a pour mission d’évaluer les informations sur les incidents ou les risques d’incidents mettant en cause des dispositifs médicaux. Après évaluation, la CNM statue sur les causes présumées de l’incident ou du risque d’incident signalés et propose au Directeur général de l’AFSSAPS les mesures qu’elle juge nécessaires pour y apporter une réponse appropriée. Elle peut également proposer les enquêtes et travaux qu’elle estime utiles à l’exercice de la matériovigilance.
Le travail de la Commission est préparé par des sous-commissions techniques à compétences spéciales.
- La sous-commission technique de la CNM : à l’origine, les sous-commissions techniques étaient au nombre de huit. Elles ont été réorganisées en 1998. Désormais, les signalements relatifs aux prothèses cardio-vasculaires sont étudiés par la sous-commission technique n° 7, section dispositifs cardio-vasculaires ;
La commission peut également faire appel à des experts ou des rapporteurs extérieurs spécifiques pour l’évaluation des dossiers qui le nécessitent. Ils sont désignés par le Directeur général de l’AFSSAPS.
- Les experts auprès de la CNM : ils peuvent effectuer les enquêtes requises par le Directeur de l’AFSSAPS ;
- Le comité de validation des recommandations de bonne pratique sur les produits de santé : il est chargé de valider les recommandations de bonne pratique sur les produits de santé et de valider les références médicales opposables, établies ou actualisées après réévaluation de la pertinence clinique en fonction de nouvelles données scientifiques ;
- Un groupe d’experts sur les recherches biomédicales portant sur des dispositifs médicaux ;
- Un groupe de réflexion sur les nouvelles orientations en matière d’évaluation non clinique de la sécurité des produits de santé ;
- La direction de l’évaluation des dispositifs médicaux (DEDIM) : elle est responsable de l’évaluation des dispositifs médicaux, autorisés au niveau européen dans le cadre du marquage « CE ». Elle exerce une activité de contrôle du marché et assure la matériovigilance et la réactovigilance[36].
A l’échelon local, la bonne mise en œuvre du dispositif de matériovigilance repose sur les épaules d’un ou plusieurs correspondants locaux de matériovigilance.
II : L’échelon local
La volonté des autorités sanitaires de faire jouer un rôle privilégié aux professionnels de santé s’est concrétisée par l’instauration de correspondants locaux de matériovigilance. Ces derniers, ainsi qu’un ou des suppléants, sont désignés par les établissements de santé publics ou privés chargés d’organiser le signalement d’incidents ou de risques d’incidents (a). Leurs missions sont à la fois opérationnelles et fonctionnelles (b).
a : La désignation des correspondants locaux de matériovigilance
Le correspondant local de matériovigilance est désigné :
- Pour les établissements publics de santé, par le Directeur, après avis de la Commission Médicale d’Établissement (CME) ;
- Pour les établissements privés de santé, par le responsable administratif, après avis de la Conférence médicale.
Ce correspondant peut être désigné parmi les personnels administratifs, techniques, médicaux ou paramédicaux. Il doit être volontaire, faire acte de candidature, après avoir pris connaissance de la consistance de sa mission et des conséquences possibles en cas d’inexécution. Il doit être également clairement informé de l’organisation retenue pour la mise en œuvre de la matériovigilance au sein de l’établissement. Le correspondant local de matériovigilance n’appartient pas obligatoirement à la structure qui le désigne. En cas d’absence de candidature, ou de solution extérieure, le Directeur de l’établissement peut être contraint à se désigner lui-même, après avoir recueilli les avis ci-dessus mentionnés.
Il ne peut être nommé pour une partie des dispositifs médicaux seulement. Il agit obligatoirement pour l’ensemble de ceux-ci. La durée de son mandat est convenue lors de sa désignation. Les coordonnées du correspondant local doivent être transmises à l’AFSSAPS : un formulaire est à sa disposition[37]. Le ministère de la santé doit être tenu régulièrement informé des modifications pouvant intervenir dans la désignation des correspondants.
Un ou des suppléants sont désignés dans les mêmes conditions afin d’assurer la permanence de la fonction au sein de l’établissement[38].
Les missions du correspondant local de matériovigilance vont bien au-delà du simple signalement des incidents ou des risques d’incidents qui sont portés à sa connaissance au sein de l’établissement de santé.
b : Les missions des correspondants locaux de matériovigilance
Elles sont prévues à l’article R. 665-60 du Code de la santé publique. Les correspondants locaux de matériovigilance forment un relais entre le niveau national (1) et local (2).
1: Les missions exercées dans le cadre national
Dans le cadre de leurs relations avec l’échelon national, les correspondants locaux de matériovigilance sont chargés :
- De transmettre sans délai au Directeur général de l’AFSSAPS toute déclaration d’incident ou de risque d’incident faite auprès d’eux au titre du signalement obligatoire mentionné à l’article R. 665-49 ;
- De transmettre au Directeur général de l’AFSSAPS, selon une périodicité trimestrielle, les déclarations d’incident ou de dysfonctionnement faites auprès d’eux au titre du signalement facultatif mentionné à l’article R. 665-50 ;
- D’informer les fabricants concernés des incidents ou risques d’incidents mentionnés ci-dessus ;
- De conduire les enquêtes et travaux relatifs à la sécurité d’utilisation des dispositifs médicaux demandés par le Directeur général de l’AFSSAPS.
2 : Les missions exercées au sein de l’établissement de santé
Au sein de l’établissement de santé, les correspondants locaux de matériovigilance sont chargés :
- D’enregistrer, d’analyser et de valider tout incident ou risque d’incident signalé susceptible d’être dû à un dispositif médical ;
- De recommander, le cas échéant, les mesures conservatoires à prendre à la suite d’une déclaration d’incident ;
- De donner des avis et conseils aux déclarants pour les aider à procéder au signalement ;
- De sensibiliser l’ensemble des utilisateurs aux problèmes de matériovigilance et d’aider à l’évaluation des données concernant la sécurité des dispositifs médicaux.
Le correspondant local de matériovigilance est donc la pièce centrale du dispositif. Son action et son implication sur le terrain déterminent la bonne mise en œuvre de la matériovigilance dans les établissements de santé.
Le décret n° 96-32 du 15 janvier 1996, relatif à la matériovigilance laisse toute latitude aux chefs d’établissement de santé pour l’organiser au sein de leur établissement. L’organisation adoptée doit permettre une information claire et actualisée des personnels concernés, au premier rang desquels figurent les utilisateurs des dispositifs médicaux. En effet, une parfaite connaissance du rôle qu’ils ont à jouer (section 1) dans le système de matériovigilance s’impose à eux sous peine de voir engager leur responsabilité (section 2).
Section 1 : Le rôle de l’utilisateur du dispositif médical
Sont considérés comme utilisateurs, les professionnels de santé, quel que soit leur mode d’exercice et quelque soit leur métier, qui sont conduits à utiliser dans le cadre de leur activité professionnelle, des dispositifs médicaux, que cette utilisation soit conforme ou non aux instructions du fabricant. Ils occupent une place fondamentale dans le système français de matériovigilance tant au moment de la survenance d’un incident (A) que pour limiter les risques d’incidents (B).
A : La confrontation à l’incident
L’utilisateur -le chirurgien en matière cardio-vasculaire- qui constate un incident ou détecte un risque d’incident, se doit de le signaler (I). Il est également de son rôle de conserver les explants afin qu’ils puissent être expertisés (II).
I : Le signalement des incidents et des risques d’incidents[39]
La première question qui se pose à l’utilisateur d’implant est de savoir quand déclarer (a). La décision du signalement prise, il doit veiller à sa bonne réception par l’AFSSAPS (b).
a : La décision de signalement
Aux termes de l’article L. 5212-2 du Code de la santé publique, les utilisateurs d’un dispositif « ayant connaissance d’un incident ou d’un risque d’incident mettant en cause un dispositif ayant entraîné ou susceptible d’entraîner la mort ou la dégradation grave de l’état de santé d’un patient (…), doivent le signaler sans délai à l’AFSSAPS ».
Le « risque d’incident » ou « quasi incident » est celui dont le hasard ou l’intervention d’une personne fait qu’il ne survient pas. L’article R. 665-50 du Code de la santé publique donne la liste des incidents qui peuvent être signalés facultativement. Ils correspondent à des réactions ou dysfonctionnements sans gravité.
L’appréciation de la gravité de l’incident est donc capitale puisqu’elle conditionne le caractère obligatoire ou non du signalement. Peut certainement être qualifiée de grave toute circonstance nécessitant une intervention médicale ou chirurgicale afin d’éviter des troubles durables d’une fonction organique ou une lésion durable d’un organe ou appareil, ceci pouvant survenir immédiatement ou à distance de l’utilisation du dispositif médical. Pour tous les autres incidents sans gravité, il convient de s’interroger sur l’utilité pour la collectivité du signalement. De ce point de vue, il parait nécessaire de recommander le signalement des incidents ou risques d’incidents dont la répétition, pour les mêmes causes, dans un autre lieu, pourrait conduire à prendre des mesures de portée générale ayant pour objet l’amélioration de la sécurité et de la qualité des soins. En cas de doute sur la gravité de l’incident ou du risque d’incident, il est préférable d’opter pour le signalement sans délai.
En effet, les délais de signalement sont différents selon qu’il s’agit d’incidents ou de risques d’incidents, de déclaration obligatoire ou facultative.
Les incidents graves doivent être déclarés sans délai. Pratiquement, la personne qui a connaissance de l’incident doit agir avec discernement, sans retard, prioritairement, mais sans faire courir de risques supplémentaires à la victime de l’incident. Pour les incidents sans gravité, il revient au correspondant local de matériovigilance de faire le choix de les signaler une fois par trimestre au ministère de la santé.
b : Le suivi du signalement
Il doit être fait auprès du correspondant local de matériovigilance lorsque le signalement est effectué par un utilisateur qui exerce ses fonctions dans un établissement de santé.
C’est le correspondant local qui transmet le signalement au ministère de la santé. Il appartient néanmoins à la personne à l’origine du signalement de s’assurer des suites qui lui ont été données par le correspondant local.
De même, il lui appartient de prendre toute disposition pour signaler elle-même l’incident ou le risque d’incident directement à l’AFSSAPS dans le cas où le correspondant local et son (ses) suppléant(s) seraient dans l’incapacité de le faire.
Les informations qu’il est nécessaire de porter à la connaissance du ministère de la santé en cas de signalement d’incident ou de risque d’incident sont précisées par le formulaire Cerfa (n° 10246*01 pour la face recto et n° 50106#01 pour la face verso)[40].
Le recto du formulaire comporte trois rubriques : la première est destinée à identifier l’émetteur du signalement ; la deuxième permet d’identifier le dispositif médical ainsi que le fabricant impliqué dans l’incident ou le risque d’incident ; la troisième est consacrée à la description de l’incident ou du risque d’incident.
Chacune d’elles doit être remplie de façon claire et lisible, la rédaction de la rubrique « incident » devant permettre une compréhension synthétique des circonstances de l’incident rapporté, des conséquences cliniques, de la gravité de celles-ci, ainsi que des mesures conservatoires entreprises localement.
Au verso du formulaire Cerfa figure un arbre décisionnel dont l’objectif est de guider l’émetteur du signalement.
Ce formulaire est disponible sur demande au bureau des dispositifs médicaux du ministère de la santé ou aux directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales[41]. Il est également possible de le télécharger sur le site Internet du ministère de la santé[42] . Néanmoins, ne pas disposer au moment voulu du formulaire Cerfa ne saurait être un motif de non-signalement. Il appartient à la personne détentrice d’informations qu’il conviendrait de porter à la connaissance de l’autorité sanitaire, de le faire par tout moyen écrit.
Dans ce cas, le déclarant doit s’assurer que son signalement a bien été pris en compte par le ministère de la santé. Cette précaution peut se matérialiser par un accusé de réception qui lui est adressé dans les 48 heures après envoi de son signalement par télécopie[43]. En dehors de cette éventualité, seul l’accusé de réception après envoi postal constitue une preuve du signalement.
La survenue d’un incident ou risque d’incident doit conduire à s’interroger sur les mesures conservatoires à prendre, qu’il y ait ou non signalement ultérieur. La récupération des explants est indispensable au bon suivi de la matériovigilance.
II : La conservation des explants
La conservation des prothèses cardio-vasculaire explantées a plusieurs objectifs : faciliter la conduite de l’évaluation de l’incident ou du risque d’incident par le ministère de la santé ; permettre l’expertise ultérieure du dispositif par le fabricant ou par un expert indépendant, dans l’état où était le dispositif au moment de l’incident ; conserver la preuve en cas de procédure judiciaire.
Il est donc nécessaire de conserver en l’état les prothèses ayant fait l’objet d’une explantation dans des conditions aptes à en permettre l’expertise. Il ne semble pas qu’il existe pour ces dispositifs médicaux de consignes spécifiques quant aux conditions de leur conservation[44]. Il convient toutefois que chaque produit explanté soit identifié par le numéro du dossier de matériovigilance correspondant au signalement de matériovigilance dans lequel il est impliqué, le numéro du patient, la date d’explantation du dispositif médical, la nature exacte de celui-ci, le nom du fabricant du dispositif, le nom du chirurgien explanteur et, dans la mesure du possible, le nom commercial, la référence, le numéro de lot du dispositif médical.
Par ailleurs, l’explanteur doit s’abstenir de tout acte qui pourrait modifier la structure du dispositif médical explanté tel que : l’adjonction inadéquate de produits chimiques, la réalisation de stérilisations agressives ou d’altérations mécaniques… L’AFSSAPS pouvant toujours, au moment de l’envoi de l’accusé de réception du signalement, donner des instructions spécifiques. Il peut s’agir par exemple, de la demande d’envoi du dispositif médical concerné au fabricant, pour expertise, sauf si bien sûr l’incident fait l’objet d’une instruction judiciaire.
Il est certain qu’à plus ou moins long terme, les expertises et recherches sur les explants tiennent une place fondamentale dans la prévention des risques d’incidents.
B : La prévention des risques d’incidents
Les utilisateurs des dispositifs médicaux ont un grand rôle à jouer dans la prévention des risques d’incident. Ils se doivent d’utiliser des produits certifiés et ne faisant pas l’objet de retrait du marché (I) et de se conformer aux mesures correctives et préventives prises par l’AFSSAPS (II).
I : L’obligation d’utiliser des dispositifs médicaux certifiés
Au moment de la mise sur le marché, le marquage « CE » des dispositifs médicaux matérialise le respect des exigences essentielles de santé et de sécurité, qui couvrent à la fois les conditions de conception, de fabrication et d’information des utilisateurs.
La matériovigilance impose aux utilisateurs de n’utiliser que des prothèses vasculaires certifiées et n’ayant pas fait l’objet d’un rappel de la part du fabricant. Le matériel doit être utilisé conformément à sa destination, suivant les recommandations du fabricant. Les établissements de santé doivent veiller à soigner l’environnement du dispositif médical qui doit être correctement mis en service et entretenu. Il s’agit également de prévoir des modalités de sa traçabilité. Des moyens suffisants doivent être consacrés à la formation et à l’information de ses utilisateurs.
Le rôle du correspondant local de matériovigilance est fondamental sur ce point : il est de son devoir d’informer les utilisateurs sur les règles, les objectifs et les modalités de la matériovigilance. C’est également à lui de veiller à l’application par les intéressés, au sein de l’établissement de santé, des décisions prises par l’AFSSAPS.
II : L’obligation de se conformer aux mesures correctives et préventives prises par l’AFSSAPS
Après évaluation, l’AFFSSAPS peut prendre des décisions destinées à limiter le risque de survenance d’autres incidents.
Aux termes de l’article L. 5312-1 du Code de la santé publique, « l’AFSSAPS peut suspendre (…) la mise en service, l’utilisation, la prescription, la délivrance ou l’administration d’un produit ou groupe de produits mentionné à l’article L. 5311-1 (…) lorsque ce produit ou groupe de produit présente ou est soupçonné de présenter, dans les conditions normales d’emploi ou dans des conditions raisonnablement prévisibles, un danger pour la santé humaine (…). La suspension est prononcée pour une durée n’excédant pas un an en cas de danger ou de suspicion de danger (…). Elle peut aussi fixer des conditions particulières ou des restrictions pour l’utilisation des produits ou groupes de produits concernés afin de garantir leur sécurité sanitaire ».
Les décisions refusant ou restreignant la mise sur le marché ou la mise en service d’un dispositif médical prennent parfois la forme d’arrêtés du Ministre chargé de la santé publique publiés au Journal officiel. Les utilisateurs sont en outre alertés par des lettres-circulaires publiées au bulletin officiel du Ministère du travail et des affaires sociales, qui précisent les modalités d’application de ces arrêtés[45]. Elles sont également utilisées pour diffuser aux professionnels de santé des recommandations d’emploi des dispositifs médicaux utilisés.
Nous donnerons ici l’exemple, dans un domaine proche, de la procédure de suivi des patients ayant une prothèse endovasculaire pour le traitement des anévrismes de l’aorte abdominale sous-rénale. Cette procédure s’impose aux fabricants et aux utilisateurs de prothèses endovasculaires utilisées pour le traitement des lésions de l’aorte. Elle permet le recueil par le fabricant des informations lui permettant de réaliser un rapport de synthèse semestriel transmis à l’AFSSAPS. Les informations concernent les caractéristiques des patients traités, la procédure d’implantation et le suivi des patients[46].
Une décision du 20 février 2004 fixant les conditions particulières d’utilisation des endoprothèses aortiques pour le traitement endovasculaire des anévrismes de l’aorte abdominale sous-rénale, vient rappeler la nécessité pour les intéressés de suivre la procédure et de collecter systématiquement les données à destination de l’AFSSAPS.
Il nous faut alors mettre en garde l’utilisateur sur les risques qu’il encourt en ne se conformant pas aux règles de la matériovigilance. Il pourra alors prendre la mesure de sa responsabilité.
Section 2 : La responsabilité de l’utilisateur du dispositif médical[47]
En matière de matériovigilance, la responsabilité peut être engagée du fait d’un défaut de signalement d’incident, d’un défaut de mesures conservatoires ou des conséquences que ces défaillances peuvent entraîner. La responsabilité peut être mise en jeu soit pour indemniser un dommage causé à quelqu’un, soit pour sanctionner une faute. Nous commencerons par présenter brièvement les différents visages de la responsabilité suivant le statut de l’utilisateur, le cadre de son intervention, la nature de la faute commise et le dommage causé (A). Nous ferons ensuite la liste de ce qui peut être reproché à l’utilisateur non respectueux de la procédure de matériovigilance (B).
A : Les hypothèses de responsabilité
Pour le secteur public –responsabilité d’un établissement hospitalier-, la juridiction compétente est d’ordre administratif. Toutefois, si un agent public commet une faute détachable du service, celui-ci relève alors du droit commun. De même, tout comportement incriminé par des textes relève de la juridiction pénale. Pour le secteur privé –responsabilité d’une clinique-, la juridiction compétente est celle de droit commun, civile ou pénale selon la nature des faits. Il faut ainsi distinguer la responsabilité administrative (II) de la responsabilité de droit commun (I).
I : La responsabilité de droit commun[48]
En droit commun, la responsabilité de l’individu peut être engagée à deux niveaux différents : soit elle est de nature civile, le responsable est alors tenu de réparer un dommage causé à autrui ; soit elle est de nature pénale, il est alors puni d’amende ou d’emprisonnement pour une infraction dont il s’est rendu coupable. Il peut en outre être tenu d’indemniser la victime si celle-ci s’est portée partie civile.
Si la personne en cause est le préposé de son employeur, ce dernier peut-être tenu pour responsable des fautes commises par le premier, selon la nature des faits reprochés. Quoi qu’il en soit, il est de l’intérêt du salarié qui ne possède pas de contrats d’assurance souscrits par son employeur, de souscrire une assurance couvrant sa responsabilité civile.
II : La responsabilité administrative
En droit administratif, un agent du service public qui commet une faute causant un dommage à autrui engage la responsabilité du service et non la sienne, sauf s’il s’agit d’une faute détachable du service. C’est donc l’établissement public qui est appelé en réparation de dommages si la responsabilité civile de ses agents est en cause, sans préjuger des mesures disciplinaires prises le cas échéant, à l’encontre de l’agent concerné.
En matière pénale, les peines d’amende et de dommages et intérêts ne sont pas susceptibles d’être couvertes par une assurance s’il est établi que le délit commis provenait d’une faute intentionnelle.
Dans tous les cas, et même si, « La crainte qui fonde la dissuasion n’est pas le plus noble des motifs susceptible de dicter aux hommes leur conduite »[49], il faut mettre en garde l’utilisateur sur les conséquences juridiques multiples d’un manque de précaution dans l’exercice de la matériovigilance.
B : Les faits condamnables
Les sanctions peuvent être pénales (I) et/ou civiles (II).
I : Les sanctions pénales
Aux termes de l’article L. 665-7 du Code de santé publique, « Le fait pour (…) les utilisateurs d’un dispositif et les tiers ayant eu connaissance d’un incident ou d’un risque d’incident mettant en cause un dispositif médical ayant entraîné ou susceptible d’entraîner la mort ou la dégradation grave de l’état de santé d’un patient, d’un utilisateur ou d’un tiers, de s’abstenir de le signaler sans délai à l’AFSSAPS est puni d’un emprisonnement de quatre ans et d’une amende de 75 000 euros ou de l’une de ces deux peines seulement ».
Le défaut de signalement peut être consécutif à une mauvaise appréciation de la gravité de l’incident, au non respect des délais de signalement ou encore à une interprétation erronée de la causalité entre l’utilisation du dispositif médical et la survenue de l’incident.
Il faut noter qu’au sein des établissements de santé, le défaut de signalement est opposable à toute personne ayant connaissance d’un incident ou risque d’incident grave. A cet égard, le correspondant local de matériovigilance n’a pas une responsabilité différente de celle des autres sachants et des utilisateurs en particuliers.
Outre le défaut de signalement lui-même, ses conséquences ou celles occasionnées par un défaut de mesures conservatoires peuvent être condamnables. Il peut s’agir de la mise en danger délibérée de la personne d’autrui[50]; de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements ; de l’atteinte involontaire à la vie[51] ; ou à l’intégrité de la personne[52] ; ou du risque causé à autrui[53].
Les articles 221-7, 222-21 et 223-2 du Code pénal prévoient en outre que les personnes morales peuvent être responsables pénalement des infractions définies respectivement aux articles 221-6, 222-19 et 223-1, dans certaines conditions prévues par l’article 121-2 du même Code.
La responsabilité en matière de matériovigilance pourrait enfin être engagée dans les cas prévus par les articles 1382 à 1384 du Code civil.
II : Les sanctions civiles
Il s’agit d’apporter à la victime une réparation, sous forme de dommages et intérêts. Pour cela, une faute, un dommage et un lien de causalité doivent être démontrés.
Il faut toutefois noter que la matériovigilance est récente et il est aujourd’hui difficile d’apprécier l’application de ces dispositions qui sera faite par les juges, en l’absence de jurisprudence. Les ignorer ne permet pas de s’en affranchir. Il convient d’indiquer que les peines les plus lourdes sanctionnent des infractions intentionnelles qui sont de toute évidence condamnables.
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La matériovigilance qui a pour objet la surveillance des incidents qui peuvent survenir tout au long de la vie des dispositifs médicaux, doit aussi permettre de détecter les défaillances de cette chaîne et contribuer puissamment à l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. L’objectif est néanmoins la prévention des incidents, celle-ci devant pouvoir bénéficier des dispositions évoquées ci-dessus, et notamment du contrôle de qualité des dispositifs potentiellement les plus dangereux.
Mais aujourd’hui les techniques médicales sont complexes, et mettent souvent en jeu à la fois, dispositifs médicaux, médicaments, sang, et produits du corps humain, ce qui impose également une étroite coordination entre les différentes formes de vigilance, et la nécessité de replacer cette coordination dans une perspective plus large de gestion des risques.
L’enjeu est considérable dans une société où la réparation des accidents médicaux constitue un engagement fort de la solidarité nationale. Les primes d’assurance flambent à mesure que les recours en responsabilité médicale se multiplient. Dans ce cadre, le secrétaire d’État à l’assurance maladie, M. Bertrand, a installé le 14 avril 2005 « l’Observatoire des risques médicaux »[54] dont la principale mission consiste à mieux connaître la sinistralité médicale afin de vérifier s’il y a adéquation entre le montant des primes payées par les spécialistes à risques et le risque réel. Le respect complet et journalier de la matériovigilance constitue certainement un argument de poids en faveur des utilisateurs de prothèses cardio-vasculaires. L’enjeu étant de réduire les cas d’engagement de la responsabilité médicale liée à la vente et à l’utilisation de ces produits de santé, ce que nous allons étudier maintenant.
L’opération consistant à implanter une prothèse cardio-vasculaire dans le corps d’un patient a souvent pour objet de lui sauver la vie ou au moins d’améliorer les conditions de son existence. Malheureusement, elle peut également engendrer à plus ou moins long terme des problèmes sérieux de santé pouvant aller jusqu’au décès de la victime. Il n’est plus ici question de prévention de l’incident, mais de sa réalisation et les chefs de responsabilité doivent être recherchés. Il existe deux règles dominant la matière : la responsabilité de l’utilisateur (le chirurgien), qui travaille sur l’humain ne peut reposer que sur une obligation de moyens, en raison de l’aléa thérapeutique toujours existant[55]. En revanche, le fabricant du produit de santé est tenu d’une obligation de résultat quant à la sécurité de l’implant, sous réserve que le patient prouve que le défaut du produit de santé en cause est bien à l’origine du dommage. Dès lors, s’agissant de la pose, de la prescription et de la préparation du support, le médecin est tenu d’une obligation de sécurité de moyens (Chapitre 1), tandis que le fabricant est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la réalisation de l’appareil[56] (Chapitre 2).
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, maintient le principe de la responsabilité civile médicale pour faute (réalisation d’un risque médical fautif) tel que posé par le juge judiciaire avant cette loi[57]. Si un dommage corporel –en rapport avec l’exécution de la prestation médicale- vient à altérer l’intégrité physique du patient, ce dommage est considéré comme le résultat d’une faute (à établir) commise par l’intervenant médical (section 1). Le risque médical fautif est une catégorie de risque médical aux côtés du risque médical non fautif prévisible et du risque médical fortuit. Ce dernier, s’il est établi, exonère le chirurgien de sa responsabilité civile[58]. Se pose donc la question de l’indemnisation du patient victime d’un aléa thérapeutique lors de l’opération d’implantation d’une prothèse cardio-vasculaire (section 2).
Section 1 : L’obligation de sécurité de moyens du chirurgien
Le chirurgien qui réalise l’implantation d’une prothèse cardio-vasculaire peut voir sa responsabilité civile engagée du fait d’un dommage qui surviendrait au cours de l’opération réalisant l’implantation d’une prothèse[59]. Le praticien doit garantir, en sus de l’exécution de sa prestation médicale, une obligation accessoire de sécurité, du fait des risques très prévisibles et forts probables liés à l’exercice de l’activité médicale[60]. Le chirurgien ne répond que de sa faute médicale depuis l’arrêt Mercier du 20 mai 1936[61] : la responsabilité du médecin envers son patient est engagée s’il est établi un manquement de sa part à son obligation de sécurité de moyens.
S’agissant de l’opération d’implantation d’une prothèse cardio-vasculaire, le chirurgien procède à différents actes médicaux échelonnés dans le temps. Nous suivrons la distinction proposée par M. Mémeteau[62] : La prescription de l’implant (A) précède la pose de la prothèse (B).
A : La prescription de la prothèse
Avant de réaliser l’implantation, le médecin doit recueillir le consentement éclairé du patient[63] et réaliser un examen médical propre à vérifier que la prothèse est adaptée : « les dangers présentés par l’opération, s’il s’agit d’un organe interne artificiel, devront être mis en balance avec les avantages projetés, guérison ou du moins amélioration de l’état du sujet »[64], et ce, surtout si le traitement est susceptible d’être dangereux ou est nouveau. Le médecin engage sa responsabilité civile s’il prescrit inutilement une prothèse à un patient en faisant courir un risque d’une certaine gravité à un cœur sain ou s’il prescrit un type d’implant abandonné depuis un certain temps en raison de ses dangers ou de son inefficacité[65].
Le chirurgien doit ensuite rechercher les allergies possibles à certains matériaux qui entrent dans la composition de la prothèse. Le patient peut en effet présenter une difficulté à supporter l’implant. « Le médecin reste tenu à une simple prudence et diligence au cours de l’analyse médicale du patient (examens sanguins, radiologiques et autres). (…) A ce stade, la responsabilité du praticien pourrait être engagée s’il choisit une prothèse qui ne convient pas à son patient[66] »[67].
Dans l’ensemble de ces actes médicaux le praticien répond de sa faute. Il en va de même lorsque le chirurgien pose la prothèse.
B : La pose de la prothèse
Le chirurgien ne répond que d’une obligation de sécurité de moyens puisque « le succès de l’opération est soumis à de multiples aléas et dépend notamment de l’évolution physiologique des organes servant de support »[68]. « Lors de la pose d’une prothèse, seule la preuve d’une faute peut encore engager sa responsabilité pour cette opération complexe où il agit à la fois en tant que médecin et technicien »[69]. La Cour de cassation a ainsi estimé que « Toute maladresse d’un praticien engage sa responsabilité [sur le fondement de la faute] et est par là-même exclusive de la notion de risque inhérent à un risque médical »[70]. Dans l’utilisation qu’il fait du matériel, le praticien est tenu d’une obligation de sécurité de moyens. Pour engager sa responsabilité civile à l’égard du patient, sa faute doit être établie[71].
De la même façon, le médecin n’est assujetti qu’à une simple obligation de moyens « en ce qui concerne le suivi de l’appareillé lorsque des rectifications, des renouvellements ou des soins s’avèrent nécessaires parce que, pour des raisons biologiques ou physiques, la prothèse se révèle mal supportée »[72].
Il incombe alors au patient qui entend engager la responsabilité civile du médecin de prouver d’une part la faute du médecin et d’autre part le préjudice qui en est résulté. Le médecin peut tenter de s’exonérer de sa responsabilité en démontrant qu’il n’a pas commis de faute ou encore que le dommage corporel, voire le décès, est dû à un aléa thérapeutique, au sens de risque médical fortuit dont le praticien ne répond pas. Dans ce dernier cas, se pose la question de l’indemnisation du patient victime de la survenance d’un aléa thérapeutique qui surviendrait lors de la réalisation d’un acte médical lié à l’implantation d’une prothèse.
Section 2 : L’indemnisation d’une victime d’un aléa thérapeutique survenu lors de l’implantation d’une prothèse
Toute intervention médicale sur le corps humain est aléatoire car les réactions du corps sont imprévisibles : au cours de l’intervention peut survenir un dysfonctionnement de celui-ci, qui constitue un événement fortuit et non maîtrisable pour le médecin qui ne peut en être tenu pour responsable[73]. Les aléas tiennent notamment à l’état de la maladie, aux résultats de la thérapie, aux réactions du corps du patient et à ses dysfonctionnements. Cette qualification juridique d’« aléa thérapeutique » est nouvellement admise en droit civil depuis la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, et correspond à l’irréductible part de hasard dans l’activité médicale. Cette dernière loi prévoit un dispositif d’indemnisation des patients victimes de la réalisation de risques d’origine sanitaire. Elle est née de l’inadaptation du droit de la responsabilité civile classique pour régler les litiges liés aux risques thérapeutiques[74]. Elle était indispensable dans un contexte où les patients sont exposés à « des risques nouveaux, du fait de l’utilisation, à leur bénéfice, d’un matériel complexe (…) » -dont font partie les prothèses cardio-vasculaires- qui, « (…) augmentent considérablement les dangers pour les patients »[75]. Il faut noter que « Le dispositif retenu [par la loi de 2002] est relativement large puisqu’il s’appliquera indépendamment du risque, c’est-à-dire que celui-ci soit ou non causé par un produit de santé, un acte chirurgical, un acte d’investigation ou de prévention »[76].
L’aléa thérapeutique, ou plus exactement le « risque-fortuit thérapeutique »[77] est un risque médical objectivement et subjectivement imprévisible. Il est essentiellement un phénomène dû au hasard. Par exemple, le dysfonctionnement du corps humain au cours de l’opération réalisant l’implantation d’une prothèse cardio-vasculaire - qui complique la réalisation de l’acte médical et/ou entraîne des séquelles non liées à ce dernier, voire le décès du patient - est un risque imprévu pour le praticien et pour le patient ; il est de surcroît difficilement appréciable. Selon les principes classiques de la théorie générale du droit de la responsabilité, aucune responsabilité civile ne peut être retenue dans ce cas à l’encontre du praticien. Le législateur de 2002 transfère la charge du risque médical fortuit réalisé sur la collectivité : l’indemnisation est versée par un Fonds de solidarité. Il s’agit de l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux mis en place par la loi du 4 mars 2002 et par le décret n° 2003-140 du 19 février 2003[78].
La source du dommage corporel subi par le patient ne tient pas seulement au risque qui peut survenir lors de l’opération d’implantation d’une prothèse. La prothèse peut présenter une défectuosité, par exemple se déchirer, ou présenter un autre défaut propre à causer un préjudice au malade qui bénéficie par ailleurs de son rôle de substitut de son organe défaillant. Lorsqu’il est question de la sécurité de l’appareillage, c’est la responsabilité civile du fabricant de la prothèse qui est susceptible d’être recherchée. Cette fois, ce n’est plus l’acte de soins qui est en cause, mais la sécurité intrinsèque du dispositif utilisé par le médecin ou, plus généralement, par tout professionnel ou établissement de santé. Il est alors question de la responsabilité civile du fabricant de l’implant défectueux.
« Les matériels et produits divers utilisés en médecine doivent (…) être conformes aux données acquises de la science (il y a en général une homologation ou une autorisation de mise sur le marché). Un médecin qui utiliserait un [matériel] non homologué ou dont l’usage était réservé à d’autres indications que celles pour lesquelles il l’a utilisé engagerait sa responsabilité »[79]. Une fois implantée dans le corps du patient, une prothèse cardio-vasculaire peut se révéler défectueuse. Or, « un produit doit offrir la sécurité à celui qui l’achète ou à celui qui l’utilise ; dès lors, si le produit présente un défaut et cause un dommage, la victime doit obtenir réparation »[80].
S’agissant de l’établissement de la responsabilité civile et de la réparation du dommage causé à la victime par la défectuosité d’une prothèse, il convient de se référer une nouvelle fois aux dispositions de la loi du 4 mars 2002. Elle prévoit que la responsabilité civile du fait des produits de santé défectueux se règle par application de la loi du 19 mai 1998, relative à la responsabilité civile du fait des produits défectueux. En matière médicale, cette dernière a vocation à s’appliquer contre le fabricant d’un produit défectueux. Autrement dit, sa responsabilité civile peut être engagée sur le fondement des articles qu’elle a créé dans le Code civil. Ces dispositions s’appliquent aux prothèses cardio-vasculaires puisque la législation de 1998 vise tout produit mobilier faisant l’objet d’une production industrielle. Aussi convient-il d’étudier la réglementation relative aux produits défectueux (section 1). La réparation du dommage subi par la victime du fait de la défectuosité d’une prothèse cardio-vasculaire se règle par le versement d’une indemnisation de la part de l’assureur direct de la victime ou de l’assureur responsabilité civile du fabricant de la prothèse ou encore, le cas échéant, par un fonds de solidarité (section 2).
Section 1 : La réglementation relative aux produits défectueux
Selon M. Farhat, « En France, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux assure, par des moyens divers, une indemnisation optimale des victimes, tout en restant soucieux des intérêts des fabricants de prothèses (…). Les implants [cardio-vasculaires] font partie d’une catégorie spécifique de produits à hauts risques : les dispositifs médicaux. Les conditions de la responsabilité pour mise en circulation de ces produits, et l’interprétation jurisprudentielle qui en est faite sont globalement favorables aux victimes »[81].
La loi n° 98-389 du 19 mai 1998 a introduit dans le Livre III du Code civil un nouveau Titre IV bis, intitulé « De la responsabilité du fait des produits défectueux »[82]. Il comprend les nouveaux articles 1386-1 à 1386-18. Cette responsabilité concerne les dommages causés par le défaut d’un produit à une personne ou à un bien autre que le produit défectueux[83]. Dans ce cas, la responsabilité civile d’un producteur peut être engagée pour le défaut de sécurité des produits qu’il a mis en circulation. L’article 1386-1 du Code civil énonce que « le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ».
La loi du 19 mai 1998 a instauré une responsabilité civile objective du fabricant d’un produit défectueux ayant causé un dommage. Récemment, le législateur français s’est attaché à ne rendre responsable que les fabricants et non les utilisateurs étant donné que des arrêts récents rendus par la Cour de justice des communautés Européennes sont venus condamner la France pour mauvaise transposition de la directive sur ce point. La responsabilité civile objective ne touche à titre principal que les seuls fabricants des produits. La responsabilité civile du chirurgien n’est que subsidiaire[84] (A).
La responsabilité civile spécifique du fait des produits défectueux suppose la réunion des éléments suivants : un produit atteint d’un défaut, un producteur qui met le produit en circulation, un dommage (à l’exclusion du dommage causé à la chose elle-même), une victime (qu’elle soit tiers ou cocontractante vis-à-vis du producteur) et un lien de causalité entre la défectuosité du produit et le dommage allégué. Le fabricant est exonéré de sa responsabilité civile dans des cas déterminés, et notamment, lorsqu’il peut invoquer le risque de développement[85] (B).
A : La responsabilité du fait de produits de santé défectueux
Pour que la responsabilité civile du producteur soit engagée (II) encore faut-il que le défaut inhérent à la prothèse cardio-vasculaire soit établie (I).
I : La source du dommage : le défaut inhérent au produit
Il y a « défaut », au sens de l’article 1386-4 du Code civil, lorsque le produit ne présente pas de manière objective la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, soit que le défaut est inclus dans la construction technique soit qu’il est contenu dans la formule chimique du produit[86]. Ainsi, un défaut peut être contenu dans la construction technique d’une prothèse cardiovasculaire et la rendre défectueuse. Ce vice, qui doit exister et être réel, est de nature à générer un dommage corporel au patient. Ce produit défectueux fait alors courir un risque pour la vie ou le corps du patient au sein duquel a été implantée la prothèse. Si le défaut est établi, il est le fait générateur de la responsabilité civile du fabricant de la prothèse. Un arrêt rendu par la Première chambre civile de la Cour de cassation le 5 avril 2005 apporte une précision importante quant à la définition du défaut sur la base duquel est engagée la responsabilité spécifique du fait des produits défectueux[87]. « Le danger doit dépasser celui auquel le public peut légitimement s’attendre, c’est-à-dire qu’il doit être anormal, excessif eu égard à la nature de l’objet en cause »[88]. Le fait pour une prothèse cardio-vasculaire de présenter un effet indésirable, ne la rend pas forcément défectueuse : le défaut n’est établi que si les inconvénients sont trop importants au regard des avantages qu’elle présente pour la santé publique[89].
Bien souvent, le défaut atteint tout un lot de prothèses conçues selon la même structure. Aussi, ce sont des milliers de patients qui sont parfois exposés au risque de dommage corporel lié au défaut. Il s’agit là de ce que l’on qualifie juridiquement de « risque sériel ». Il se définit comme un dommage éventuel qui peut concerner un nombre incertain de personnes, généralement élevé, en matière médicale. En revanche, il n’y a pas de défaut, au sens de la loi du 19 mai 1998, lorsque le dommage qui se réalise est propre à un patient. Dans ce cas, le produit de santé est uniquement dangereux pour la personne en cause, pour des raisons qui lui sont propres. Le problème peut par exemple être inhérent à la complexion du malade[90]. Le producteur ne risque pas, alors, de voir sa responsabilité civile engagée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil.
La difficulté est que « La preuve du défaut ne peut être rapportée sans l’intervention d’un expert, qui peut se révéler coûteuse pour le patient. (…) L’article 269 du Nouveau Code de procédure civile donne la possibilité au juge de désigner la ou les parties (demandeur et/ou défendeur) qui avancera les frais d’expertise, et l’article 696 du même code l’autorise à répartir les dépens. La décision du juge de mettre la provision à la charge d’une des parties relève de son pouvoir discrétionnaire, et est insusceptible de recours »[91]. La procédure risque ainsi d’être coûteuse pour le patient s’il en supporte entièrement la charge. C’est la raison pour laquelle, sur le fondement de l’article 771 du Nouveau Code de procédure civile, le demandeur peut solliciter du juge de la mise état l’allocation d’une provision pour le paiement des frais d’expertise[92].
Il restera alors, pour la victime, à établir le lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage. Elle doit pour cela démontrer que les douleurs ressenties sont dues à une rupture ou à une déchirure de l’implant[93]. « Rappelons que le fabricant garde la possibilité de démontrer qu’une mauvaise manipulation par le chirurgien lors de l’implantation, ou même au cours de l’ex-plantation de la prothèse, peut être à l’origine du défaut, ce qui l’exonérera de toute responsabilité »[94]. Le producteur ne risque pas dans ce cas de voir sa responsabilité civile engagée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil. En revanche, si le patient est victime d’un dommage causé par une prothèse défectueuse, il peut agir en responsabilité civile contre le fabricant du produit en cause.
II : La responsabilité civile du fabricant du produit de santé défectueux à titre principal
L’article 1386-1 du Code civil dispose que « le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ».
Il résulte de la décision de la Cour de Justice des Communautés Européennes, rendue contre la France le 25 avril 2002[95], que la responsabilité civile du fabricant du fait de la défectuosité d’une prothèse doit être engagée par la victime à titre principal. La responsabilité du médecin ou de l’établissement de soins n’a donc pas vocation à être engagée, sauf s’il fabrique lui-même le matériel qu’il utilise à l’égard du patient (par exemple, un prothésiste dentaire). La Cour de Justice des Communautés Européennes a constaté, sur recours formé par la Commission européenne, que le droit français n’était pas en conformité avec la directive CEE du 25 juillet 1985 puisqu’« à la différence de l’article 3, § 3, de la directive, qui ne retient la responsabilité du fournisseur [le médecin] qu’à titre subsidiaire, lorsque le producteur est inconnu, l’article 1386-7 du Code civil assimile le fournisseur au producteur ». S’il advenait que l’identité du producteur ne puisse être trouvée (ce qui constitue une hypothèse très rare en pratique), le médecin dont la responsabilité civile aurait été engagée à titre subsidiaire sur le fondement de la loi du 19 mai 1998 aurait la possibilité d’agir contre le fabricant (si son identité est finalement trouvée), de manière à ce que ce dernier supporte la charge définitive de l’indemnisation de la victime. « La directive prévoyait (…) une responsabilité du fournisseur subsidiaire seulement (article 3, § 3). Il fallait, pour considérer le fournisseur comme producteur, que ce dernier ne puisse être identifié. Le fournisseur mis en cause pouvait échapper à sa responsabilité en indiquant à la victime, dans un délai raisonnable, l’identité du producteur ou de son propre fournisseur. Il s’agissait donc là, avant tout, de permettre de remonter la chaîne jusqu’au producteur, sans multiplier pour autant les personnes responsables. La loi française, au contraire, assimil[ait] au producteur, le vendeur, ou tout autre fournisseur professionnel, qu’elle déclare responsable du défaut de sécurité dans les mêmes conditions que le producteur (C. civ., art. 1386-7, alinéa 1er) »[96].
La victime d’une prothèse cardio-vasculaire défectueuse n’a désormais guère le choix du fondement de son action. La Cour de Justice des Communautés Européennes a précisé dans un arrêt du 25 avril 2002 (rendu contre l’Espagne)[97] que le droit commun de la responsabilité civile ne coexiste pas avec le régime spécifique de la responsabilité civile objective tel qu’établi par la loi du 19 mai 1998 dans les cas où le dommage a été causé par un produit qui s’est révélé défectueux. La victime n’a ici que le choix entre la responsabilité civile spécifique du fait des produits défectueux des articles 1386-1 et suivants du Code civil et l’action en responsabilité civile contractuelle pour vices cachés intentée contre le fournisseur du produit des articles 1641 et suivants du Code civil[98] ou l’action en responsabilité civile pour faute des article 1382 et suivants.
L’identité du fabricant d’une prothèse cardio-vasculaire est en pratique toujours connue car les professionnels médicaux sont notamment tenus d’assurer la traçabilité des produits de santé utilisés[99]. Cette obligation consiste à imposer que chaque produit placé dans le corps humain durant une opération soit référencé. L’un des médecins de l’équipe opératoire note ces références qui se présentent généralement sous la forme d’un code barre indispensable pour la traçabilité du produit. Si ce dernier vient à occasionner un dommage chez un patient, l’on peut ainsi remonter la chaîne du fournisseur jusqu’au producteur. « L’identification du responsable permet de mettre en jeu sa responsabilité. Ainsi, la traçabilité peut tout d’abord mettre en évidence un problème de qualité ou de défectuosité du produit de santé, dû à sa production. En vertu des dispositions de l’article 1386-6 du Code civil, est considéré comme producteur et donc responsable lorsqu’il agit à titre professionnel, le fabricant d’un produit fini, d’une matière première ou d’une matière composante. Tout intervenant dans la fabrication d’un produit de santé pourra voir sa responsabilité engagée, y compris ceux qui n’ont contribué que partiellement à la fabrication du produit. Est également assimilée au producteur, toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif (article 1386-11 du Code civil). Cette disposition est importante car elle permet à la victime d’un dommage d’agir contre toute personne apparaissant sur l’étiquetage d’un produit, fabricant, vendeur, distributeur, titulaire d’un brevet ou d’une marque, titulaire de l’A.M.M. (autorisation de mise sur le marché), exploitant. Ainsi, toute trace laissée sur l’étiquetage est susceptible de désigner les personnes contre lesquelles la victime peut agir »[100]. La traçabilité des produits exige le refus par le chirurgien d’implanter des prothèses dont il ne connaît pas l’origine[101].
« Les dispositifs médicaux implantables ne portent pas obligatoirement la marque de l’entreprise qui les a fabriqués. Le décret n° 95-292, pris en application de la loi du 18 janvier 1994 venant transposer la Directive 93/42, exige que les informations relatives au fabricant figurent sur la notice d’instruction et sur l’étiquetage, mais pas sur le dispositif lui-même. Or, le patient n’a accès ni à la notice ni à l’emballage des implants, qui restent entre les mains du chirurgien. Il est donc beaucoup plus facile pour lui de s’adresser directement à la personne qui lui aura effectivement livré la prothèse, c’est-à-dire au chirurgien chargé de l’implantation. Il appartiendra à celui-ci de se retourner, le cas échéant, contre celui qui lui aura fourni l’implant, en se référant à la facture d’achat et aux numéros de lot et de série de l’implant »[102].
Le fabricant d’une prothèse cardio-vasculaire peut être un ressortissant étranger. La loi applicable par le tribunal compétent est celle du lieu où s’est produit le fait dommageable, c’est-à-dire celle du pays où l’implantation a été réalisée.
L’article 1386-5 alinéa 2 précise qu’un produit ne fait l’objet que d’une seule mise en circulation. Le produit est réputé être mis sur le marché à la date de sa sortie de l’usine. Ce moment est important en ce qu’il constitue le point de départ du délai de dix ans prévu par l’article 1386-16 du code civil : « Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent titre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n’ait engagé une action en justice » ou si la victime réussit à établir que le fabricant a eu connaissance, dans les dix ans suivant la mise en circulation, d’un défaut de sécurité présenté par ses prothèses, et qu’il s’est abstenu de prendre les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables[103]. Le fabricant est donc tenu de suivre ses produits durant les dix années qui suivent leur sortie d’usine. Ce délai pour engager la responsabilité civile du fabricant est incontestablement favorable au producteur.
Est institué un délai d’action de trois ans à compter de la manifestation du dommage. Le point de départ de ce délai commence à partir du jour où la victime a eu ou aurait dû avoir connaissance à la fois du dommage, du défaut et de l’identité du producteur (article 1386-17 du Code civil)[104]. Il appartient donc au patient « dès qu’il suspecte une anomalie consécutive à l’implantation de la prothèse, de consulter son médecin pour qu’il procède à un contrôle, afin qu’on ne puisse pas lui reprocher de ne pas avoir pris connaissance en temps utile de l’évolution de son état de santé. La date de cette consultation sera considérée comme le point de départ du délai de prescription triennal, durant lequel la patiente pourra rassembler les preuves du défaut de la prothèse et du dommage, et se procurer l’identité du fabricant d’implants »[105].
S’il s’avère que le produit n’était point défectueux, la loi du 19 mai 1998 n’a alors pas vocation à s’appliquer (par exemple, si l’expert ne constate pas une rupture de la prothèse). Dans ce cas, le droit commun de la responsabilité civile objective (obligation de sécurité de résultat) s’applique, la victime n’ayant pas à prouver le défaut de la chose, mais seulement le dommage et le lien de causalité entre le fait de la chose et le dommage. « Tout produit fabriqué, vendu par un professionnel pour exécuter une prestation doit être exempt de vice ou de défaut de nature à créer un danger. Nous sommes donc en présence d’une obligation de résultat qui engendre une responsabilité de l’utilisateur ignorant les éventuels défauts du produit. Charge à ce dernier d’engager une action en garantie à l’encontre du fabricant ou du vendeur »[106]. Le patient a le choix entre assigner le chirurgien en responsabilité civile qui peut se retourner ensuite contre le fabricant du produit par la voie de l’appel en garantie, ou assigner directement le fabricant du produit en vertu du principe de la chaîne contractuelle : « le patient sous-acquéreur de la prothèse, peut exercer une action en garantie des vices cachés, ou peut agir sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle en arguant de la non-conformité de la prothèse »[107].
Au moment de l’établissement de la responsabilité civile du fabricant, il y a tout de même lieu de tenir compte de la part d’aléa contenue dans la réalisation de l’appareil en cause et d’atténuer l’obligation de sécurité de résultat imposée au fabricant de la prothèse défectueuse. En effet, « certains appareils supposent des réalisations plus aléatoires, sensibles, par exemple, aux mouvements naturels du support, très variable (prothèse des membres, aux intolérances au matériau, à la fragilité intrinsèque de celui-ci, [en ce sens] qu’il est parfois théorique de parler d’un contrat terminal parfait »[108]. Par ailleurs, la loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité civile du fait des produits défectueux prévoit des cas dans lesquels le fabricant du produit peut invoquer des cas d’exonération de sa responsabilité civile.
B : L’exonération de la responsabilité civile du fabricant du produit de santé défectueux
« Dans la loi du 19 mai 1998, l’autorisation administrative du produit, ou le fait qu’il ait été fabriqué dans le respect des règles de l’art ou de normes existantes, ne constituent pas des circonstances permettant de supprimer la responsabilité du fabricant. (…) Cependant, l’homologation des implants avant leur mise sur le marché est indispensable, sous peine d’engager la responsabilité pour faute du fabricant. C’est ce qui ressort de la Directive européenne 93/42/CEE »[109].
L’article 1386-11 du Code civil prévoit, en particulier, que « le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve, 2°-que compte tenu des circonstances, il y a lieu d’estimer que le défaut ayant causé le dommage n’existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ». Cela « permet au fabricant de démontrer qu’il a livré un produit exempt de défaut. La victime bénéficie d’une présomption d’antériorité du défaut de sécurité par rapport à la date de mise en circulation des implants. Le patient se trouve en effet dans l’impossibilité d’établir le moment exact où le défaut est intervenu. Aussi assignera-t-il conjointement le chirurgien et le fabricant. Ce dernier sera en droit d’exiger une explantation des prothèses pour analyses, cette nouvelle intervention étant de toutes façons pratiquée en cas de suspicion d’implants défectueux »[110]. S’agissant de la commercialisation de nouveaux produits, c’est surtout ce qui a été dénommé « risque de développement » qui a retenu l’attention en tant que cas d’exonération de la responsabilité civile d’un fabricant de produit.
Le risque de développement est un événement dommageable lié au développement des sciences et technologies. L’article 1386-11, 4° du Code civil prévoit que « le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve (…) que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut »[111]. La notion de « risque de développement » n’est pas expressément employée.
L’hypothèse est la suivante : le fabricant de la prothèse qui s’est révélé défectueuse n’a pas pu se figurer la potentialité du risque de défectuosité et partant, du risque de dommage corporel au moment où il a mis le produit en circulation, compte tenu de l’état des connaissances scientifiques et techniques à l’époque de cette mise en circulation. Le risque était inconnu, inimaginable et indétectable. « L’ignorance de la défectuosité du produit au moment de sa mise sur le marché dispose (…) d’un effet juridique radical, l’exonération de responsabilité »[112]. La qualification de « risque de développement » ne peut être retenue qu’à la condition d’établir que le producteur ignorait l’existence du défaut et qu’un risque lié à cette défectuosité était à craindre[113]. La certitude quant à l’absence de dommage doit être absolue, sinon il y aurait doute. Or, ce dernier interdit la qualification de « risque de développement » et partant son effet exonératoire.
M. Ewald parle de « risque de développement durable ». Il suppose « un produit, affecté d’un défaut indécelable et imprévisible, dont la connaissance ne se manifestera qu’après un certain délai dans le temps, et dont l’imputation au produit ou au producteur ne pourra se faire que dans un autre état de la science que celui au sein duquel le produit a été mis en circulation, utilisé et consommé »[114]. Avec les risques technologiques modernes, la manifestation des dommages se révèle souvent longtemps après l’utilisation du produit. La structure défectueuse de celui-ci peut révéler ses effets nuisibles des années, voire des décennies après l’implantation de la prothèse défectueuse.
Le risque de développement est donc une cause d’exonération du producteur d’un produit défectueux qui invoque l’insuffisance des connaissances scientifiques et techniques lors de sa mise en circulation, pour se dégager de toute responsabilité qu’il serait susceptible d’encourir sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil issus de la loi relative aux produits défectueux du 19 mai 1998. Il s’agit d’un défaut inconnu, ignoré de tous et qui ne se révèle que par la suite, en raison d’un progrès des techniques et des disciplines scientifiques[115]. A fortiori, le risque de dommage généré par ce défaut inconnu est lui aussi ignoré. En revanche, si le risque était connu au moment de la mise en circulation du produit, il ne peut constituer un risque de développement exonératoire.
Toutefois, le droit français prévoit que le producteur ne peut invoquer l’exonération pour risque de développement, si informé de la réalisation du risque, il n’a pas pris les mesures nécessaires pour y remédier : « le producteur ne peut invoquer [le risque de développement] si, en présence d’un défaut qui s’est révélé dans un délai de dix ans après la mise en circulation du produit, il n’a pas pris les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables »[116]. L’article 1386-12 alinéa 2 du Code civil prévoit en effet, que le producteur est « tenu de réagir de manière rapide et circonstanciée dès qu’il a connaissance d’un effet indésirable [du caractère anormalement dangereux du produit] non prévisible au moment de la mise en circulation du produit »[117]. Cette obligation de veille scientifique, imposée à un niveau international, implique de la part du fabricant qu’il se tienne informé des dernières évolutions de la connaissance scientifique mondiale relative aux produits qu’il met en circulation et aux risques qu’ils génèrent.
Cette référence prévue par l’article 1386-12 du Code civil au respect d’une obligation de suivi pour le professionnel qui veut se prévaloir du risque de développement ou du respect de normes impératives pour s’exonérer, a été supprimée par la loi de simplification du droit n° 2004-1343 du 9 décembre 2004, article 29[118]. Il n’en demeure pas moins qu’une faute peut être établie à l’encontre du fabricant qui, informé de la défectuosité d’un produit qu’il a mis en circulation, n’a pas pris les mesures propres à remédier au défaut.
Si le producteur ne peut invoquer un cas d’exonération de sa responsabilité civile, il y a lieu de s’interroger sur le mode d’indemnisation de la victime. De la même façon, la question de la réparation du dommage se pose si le producteur d’une prothèse cardio-vasculaire peut se dégager de sa responsabilité en se fondant sur les cas d’exonération précédemment étudiés.
Section 2 : L’indemnisation de la victime d’un produit de santé défectueux
« En France, si la transaction amiable reste une solution fréquente, la loi relative aux droits des malades tente d’optimiser l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux [par la constitution de fonds d’indemnisation] »[119]. Le règlement des dommages et intérêts à la victime peut être versé selon les cas soit par la mise en œuvre des mécanismes d’assurance (A), soit par transfert de l’indemnisation sur la solidarité nationale (B).
A : L’assurance de la responsabilité civile médicale
Depuis la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, les différents intervenants médicaux (fabricants de prothèses cardio-vasculaires, médecins, établissements de soins …) doivent s’assurer contre ce risque R.C. (responsabilité civile générale) du fait des produits défectueux, s’ils fabriquent eux-mêmes certains produits. Par exemple, au sein même de leurs structures, certains établissements de soins contiennent des laboratoires de fabrication de produits. De plus, leur responsabilité civile sans faute peut être engagée à titre subsidiaire.
Les médecins et les établissements de soins doivent être assurés par un contrat couvrant la garantie des dommages prévisibles subis par les patients du fait de leur activité médicale, « assurance R.C. »[120]. La garantie d’assurance concerne à la fois la responsabilité civile et la responsabilité administrative de l’intervenant médical. La loi du 4 mars 2002 a posé cette souscription d’assurance comme une obligation tout en protégeant les intervenants médicaux contre le refus des assureurs de prendre en charge ce risque. Le problème est que l’ampleur pris par le contentieux médical a contraint les assureurs à refuser la garantie de la responsabilité civile médicale ou à augmenter le montant des primes[121]. Ainsi, face à la pratique assurantielle tentée de réduire l’intensité de l’aléa à son profit, est désormais prévue une obligation d’assurer les professionnels ainsi que les établissements de santé, qui sont eux-mêmes contraints de s’assurer. L’article L. 252-1 du Code des assurances institue un bureau central de tarification qui peut être saisi par un professionnel de santé lorsqu’il a essuyé deux refus d’assurance de responsabilité civile-activité médicale de couverture des dommages subis par des tiers. Ce bureau fixe alors le montant de la prime (ainsi que celui de la franchise) moyennant laquelle l’assureur est tenu de garantir le risque dont la couverture est demandée, sous peine de sanctions administratives[122].
L’assurance directe pourrait être utilisée « dans l’avenir pour garantir l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux »[123].
Lorsque la responsabilité civile n’est pas engagée du fait d’une cause d’exonération, et plus généralement lorsque les circonstances font sortir la solution du contentieux du champ de la responsabilité civile, la question se pose alors d’indemniser la victime par une autre méthode de transfert de la charge du risque. Ce poids peut notamment être reporté sur la collectivité. C’est en particulier l’une des idées qui ont présidé à l’adoption de la loi du 4 mars 2002 n° 2002-303 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé[124].
B : Les Fonds de solidarité
En matière médicale, la philosophie de la garantie permet de ne pas laisser la victime d’un dommage corporel sans indemnisation, surtout si son préjudice est le résultat de la survenance d’un risque médical fortuit, d’un « aléa thérapeutique ». Il s’agit alors de caractériser de manière rigoureuse ce risque, puisque l’analyse inductive de cette notion -préalable nécessaire à la qualification déductive- garantit l’exactitude du choix par le juge du mécanisme de réparation du préjudice.
L’apparition de risques sériels concerne le domaine technologique et la loi du 19 mai 1998 demeure encore inefficace pour garantir l’indemnisation des victimes de ces nouveaux risques : « tant qu’elle n’aura pas été complétée par des dispositions organisant et renforçant l’assurance de la responsabilité civile des producteurs et mettant en place un mécanisme destiné à garantir l’indemnisation des dommages causés par les risques sériels n’engageant pas cette responsabilité [dans le cas notamment de la reconnaissance d’un risque de développement], la loi du 19 mai 1998 ne suffira vraisemblablement pas à répondre aux besoins actuels d’une indemnisation correcte des victimes de produits affectés d’un défaut de sécurité »[125]. Or, l’institution d’un Fonds de garantie de la réparation des dommages sériels dus à un défaut inconnu au moment de la mise en circulation du produit présenterait l’avantage d’étendre le système de la solidarité aux victimes du risque de développement ou de garantir l’indemnisation des conséquences dommageables du risque de développement par un système d’assurance.
La vente et l’implantation de prothèses cardio-vasculaires ne sont pas les seules sources de responsabilité civile appelées à être déclenchées lorsque survient un dommage causé à un patient qui bénéficie d’une telle opération. En effet, celui-ci a dû bénéficier, avant d’accepter l’implantation, d’informations complètes et pertinentes relatives au risque lié à l’opération elle-même et à la défectuosité possible d’une prothèse. C’est sur le fondement de cette obligation en développement, accessoire aux strictes obligations de soins, que la victime de ce qui se révèle être un aléa thérapeutique, va poursuivre son chirurgien afin d’obtenir réparation.
Jusqu’aux années 1950-1960, l’opinion médicale dominante était de considérer le patient comme un être mineur de par son affection qui le rendait très vulnérable. A cette époque, les représentants de l’Ordre des médecins parlaient du rôle protecteur du médecin. La loi hospitalière du 31 décembre 1970 marque une évolution singulière en permettant au patient d’accéder à son dossier médical par l’intermédiaire du médecin de son choix. Aujourd’hui, celui-ci bénéficie d’un accès direct à l’information[127].
L’obligation qui consiste pour le médecin[128] à informer le malade sur son état de santé, ainsi que sur les soins et les investigations qu’il propose est, avant tout, une norme déontologique[129]. Selon l’article 35 du Code de déontologie médicale du 6 septembre 1995 : « le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose ». L’obligation d’information figure aussi dans l’article 41 du même Code selon lequel : « aucune intervention mutilante ne peut être pratiquée sans motif médical très sérieux et, sauf urgence ou impossibilité, sans information de l’intéressé et sans son consentement ».
Cette norme, d’origine professionnelle, a acquis le statut d’une véritable obligation civile depuis que la jurisprudence l’a insérée, à titre accessoire, dans le contrat médical[130], sur le fondement de l’article 1135 du Code civil[131]. Par un arrêt de sa première chambre civile du 9 octobre 2001, la Cour de cassation affirme pour la première fois, dans un attendu de principe, que le devoir d’information « trouve son fondement dans l’exigence du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine »[132]. En cela, elle reconnaît à l’obligation d’information un statut constitutionnel[133]. Le chirurgien, est tenu à l’égard de son patient implanté, d’une obligation d’information accessoire à sa prestation principale et dont l’inexécution engage sa responsabilité.
La loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a largement consacré les acquis de la jurisprudence antérieure en la matière[134]. Désormais, l’obligation d’information a une assise légale. Elle est régie par les articles L. 1111-1 à L. 1111-9 du Code de la santé publique, qui correspondent au chapitre 1er du titre 1er du livre 1er de la première partie intitulée : « Information des usagers du système de santé et expression de leur volonté ».
Nous examinerons en premier lieu la mise en œuvre de l’obligation d’information qui pèse sur le praticien chargé de l’implantation d’une prothèse cardio-vasculaire (Chapitre 1) et, en second lieu, la responsabilité de ce dernier en cas de violation de cette même obligation d’information (Chapitre 2).
Il faut considérer que le patient a été informé sur son état de santé, son évolution prévisible, les investigations, traitements ou actions de prévention proposés, leur utilité, leur urgence, les alternatives thérapeutiques éventuelles[135] et qu’il lui est demandé de consentir à l’implant d’une prothèse cardiovasculaire[136]. A ce stade, l’utilisateur du dispositif médical lui doit une obligation d’information quant aux risques des soins proposés[137]. Plus précisément, concernant ces risques, le chirurgien doit donner au patient « les renseignements qu’il était en droit d’attendre pour choisir entre l’acceptation et le refus de l’opération avec une connaissance suffisante de son mal, de sa nature et des conséquences possibles de l’intervention envisagée »[138]. Néanmoins, il en est dispensé dans un certain nombre de cas. Nous verrons d’une part, le contenu de l’obligation d’information (section 1) et d’autre part, ses limites (section 2).
Section 1 : Le contenu de l’obligation d’information[139]
L’information due par l’utilisateur d’un dispositif médical a un contenu très large. Elle s’étend des risques de l’opération réalisant l’implant (A) à ceux liés à une défectuosité de la prothèse (B). L’information du patient doit être délivrée lors d’un entretien[140] individuel[141].
A : L’étendue de l’information quant à l’acte d’implantation d’une prothèse cardiovasculaire
« En principe, le consentement du patient à l’acte médical est souverain : c’est le patient – dûment informé – qui décide au final si l’acte médical sera ou non pratiqué »[142]. Selon la jurisprudence, cette information doit être « simple, intelligible et loyale »[143], pour permettre au patient d’émettre un consentement éclairé. Il s’agit de souligner la nature subjective du droit à l’information : le professionnel doit ajuster son discours en fonction de la personnalité et de la psychologie du malade, en faisant un effort de pédagogie[144].
A ce propos, la question se pose de savoir si le médecin doit donner au patient le choix entre la technique chirurgicale classique d’implantation et l’endoprothèse[145]. Est-ce au contraire à l’utilisateur du dispositif de faire ce choix sur la base des recommandations de l’AFSSAPS ? Dans tous les cas, il doit communiquer à l’intéressé, sur sa demande, les résultats scientifiques des études comparatives qui ont été menées, soit pour expliquer son choix, soit pour lui permettre de faire le sien en toute connaissance de cause. En pratique, le malade se déterminera souvent sur le conseil du spécialiste. Cependant, en cas de désaccord, il semble que le praticien a une obligation de conseil, pouvant aller jusqu’au refus d’accéder à la demande du patient, lorsque l’intervention souhaitée par ce dernier l’expose, sans justification thérapeutique, à un danger supérieur. Ainsi des bénéfices d’agrément, comme une hospitalisation réduite, ne peuvent justifier la pose d’une endoprothèse chez un sujet à risque. Néanmoins, selon un arrêt de la première chambre civile du 18 janvier 2000 : « un médecin n’est pas tenu de convaincre son patient du danger de l’acte médical qu’il demande »[146].
Indépendamment de cela, l’utilisateur d’un dispositif médical doit informer des risques graves[147] -même exceptionnels[148]- ou fréquents de l’opération, du traitement qu’il conseille ou qui lui sont demandés. L’étude des travaux préparatoires de la loi du 4 mars 2002 disposant que l’information porte sur « les risques fréquents ou graves normalement prévisibles »[149] ne révèle pas la volonté du législateur de revenir sur cette avancée jurisprudentielle. Selon Mme Bacache, « La référence aux risques « normalement prévisibles » pourrait renvoyer à l’exigence traditionnelle de risques connus dans la mesure où un risque exceptionnel connu est normalement prévisible ou simplement signifier l’exclusion du domaine de l’information des risques imprévisibles »[150]. La jurisprudence et la doctrine majoritaire semblent aller dans ce sens[151]. Il doit notamment le prévenir des risques de rejet, d’inflammation, d’infection ou de dégradation liés à l’implantation de la prothèse. En revanche, le chirurgien n’aurait pas à informer de « l’aléa thérapeutique »[152]. Pour la Cour de cassation, la réparation de ses conséquences « n’entre pas dans le champ des obligations dont un médecin est contractuellement tenu »[153]. Toutefois un arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 2 décembre 2004 a fait montre de sévérité en considérant que lorsqu’une thérapeutique ou une technique opératoire est récente et n’a pas été appliquée à un nombre suffisant de patients pour que les risques qu’elle comporte soient connus et que rien ne permet d’exclure avec certitude l’existence de tels risques, le patient doit en être également informé[154].
Allant plus loin, la loi du 4 mars 2002 a étendu l’information dans le temps. Selon l’article L. 111-2 alinéa 1 du Code de la santé publique, « lorsque postérieurement à l’exécution des investigations, traitement et action de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée sauf en cas d’impossibilité de la retrouver »[155]. Dès lors, si un vice caché est identifié ou même seulement présumé parce que l’état des connaissances scientifiques sur les dommages causés par l’usure du temps a évolué, le patient implanté doit en être informé[156].
B : L’étendue de l’information quant aux risques de défectuosité des prothèses cardiovasculaires
Grâce à la matériovigilance, notamment, les professionnels savent que le temps entraîne, à plus au moins long terme, des dégâts irréversibles sur la prothèse[157]. Cette information doit être transmise au patient, accompagnée d’une obligation de conseil sur l’hygiène de vie à adopter pour les limiter les risques. Dans certains cas précis, l’obligation de conseil du médecin est énergique et clairement définie : c’est le cas pour ce qui concerne les endoprothèses aortiques.
En revanche, le professionnel de santé ne doit aucune information sur ce qui concerne les complications totalement imprévisibles[158] ou « les risques non connus en l’état des données acquises de la science à la date de l’acte médical auquel ils sont inhérents »[159]. En effet, le droit positif semble pouvoir se résumer ainsi : l’information doit porter sur les risques graves ou fréquents, même exceptionnels, mais normalement prévisibles et connus. Cette condition s’apprécie de façon objective, abstraite et non concrète. Il ne s’agit pas de savoir si le médecin connaissait personnellement le défaut technique de la prothèse implantée, mais si le danger qu’elle présentait était identifié dans le milieu médical. Cela signifie que le professionnel est également obligé de s’informer pour informer correctement ses malades. Il est censé, notamment, connaître les risques qui font partie des données répertoriées par l’AFSSAPS dans le cadre de la matériovigilance. L’appréciation de cette condition n’est cependant pas aisée. En effet, le danger peut n’être, dans un premier temps, qu’incertain ou douteux[160]. A partir de quel moment devient-il connu ? Faut-il exiger qu’il fasse l’objet d’un consensus scientifique ou est-ce qu’il suffit qu’un risque soit dénoncé par certains pour faire l’objet d’une information ? Faut-il attendre le résultat des investigations de l’AFSSAPS ou même une résolution de celle-ci ? Le principe de précaution semble recommander de considérer comme connu, le risque dès le signalement de l’incident grave ou récurrent ; les recommandations définissant plutôt le contenu de l’obligation de conseil à destination du patient.
Parallèlement, il existe deux cas déterminés où le médecin est relevé de son obligation d’information. Dans ces hypothèses, il est dispensé de fournir les explications qu’il aurait dû donner au patient avant de l’opérer, si les circonstances n’avaient pas été celles-ci.
Section 2 : Les limites de l’obligation d’information
Des limites à l’obligation d’information ont été posées par la jurisprudence civile et administrative avant d’être consacrées par la loi du 4 mars 2002. Le médecin est dispensé d’informer son patient dans deux cas : en cas d’urgence ou d’impossibilité d’informer (A), en cas de refus du patient d’être informé (B).
A : L’urgence ou l’impossibilité d’informer
Cette exception est prévue à l’article 16-3 du Code civil qui vise l’hypothèse où l’état du patient rend nécessaire une intervention à laquelle il n’est pas en mesure de consentir. Elle est reprise par la loi du 4 mars 2002 à l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique selon lequel, « seule l’urgence ou l’impossibilité d’informer » peut dispenser le professionnel de santé de son obligation. Or, la jurisprudence récente semble vouloir apprécier de façon assez souple l’impossibilité d’informer. Il résulte par exemple d’un arrêt du 26 octobre 2004 que celle-ci peut provenir d’une erreur de diagnostic non fautive[161]. Ces solutions ne sont que l’application du principe général consistant à ce que l’information due soit inversement proportionnelle à la nécessité thérapeutique[162].
Mais l’information cesse aussi en cas de refus du patient d’être informé.
B : Le refus du patient d’être informé
Dès lors qu’un droit subjectif est reconnu, l’une des conséquences immédiates de celle-ci consiste à disposer du pouvoir de renoncer à son droit. La jurisprudence répète à l’envi le droit pour le patient de ne pas vouloir être informé des conséquences de l’acte médical[163].
Cette limite jurisprudentielle est reprise par la loi du 4 mars 2002 à l’article L. 1111-2 alinéa 4[164] avec une réserve tenant à la protection des tiers : « la volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée sauf lorsque des tiers sont exposés à des risques de transmission ». Ce n’est pas le cas dans l’hypothèse d’une implantation de prothèse. Par analogie, le patient peut refuser de donner suite à une convocation visant à l’entretenir de risques nouvellement découverts. Cette volonté peut résulter d’une réponse explicite, voire implicite, notamment en l’absence de toute réponse au(x) courrier(s) adressé(s).
Certains revendiquent l’existence d’une troisième limite consistant à rejeter la responsabilité du professionnel de santé lorsque l’intérêt du patient justifiait le défaut d’information. L’Ordre des médecins, dans son Guide professionnel, considère que « certaines révélations sont si traumatisantes, même chez les malades les mieux armés moralement, qu’elles sont réellement dangereuses »[165]. De nombreuses personnes soumises à un pronostic difficile vont connaître un stress qui peut aggraver les risques. Il s’agirait, en fait, de considérer que le professionnel a le pouvoir de savoir quand le patient, sans que ce dernier l’exprime, n’est pas capable d’assumer l’information. Cette « justification thérapeutique » de l’absence d’information est d’ailleurs prévue à l’article 35 alinéa 2 du Code de déontologie médicale selon lequel, « dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave (…) ». Cependant, non seulement la jurisprudence apparaît plutôt sévère dans l’appréciation de cette exception[166], mais encore, la loi de 2004 réserve expressément les limites de l’information aux « seules urgences et impossibilités d’informer ». Il y a certainement dans cette difficulté un terrain d’opposition entre juristes et médecins, même si « les tribunaux sont parfaitement conscients de ce que des exigences trop rigoureuses en matière de consentement seraient de nature à paralyser l’initiative et l’activité bénéfique du médecin »[167].
Une chose est sûre, le médecin n’est pas dispensé de cette obligation sur la gravité du risque par le seul fait que l’intervention est médicalement nécessaire[168]. Néanmoins, dans cette hypothèse, la responsabilité du professionnel de santé pourrait être écartée, non pour absence de faute, mais pour défaut de préjudice ou absence de lien de causalité entre la faute et le dommage[169]. C’est ce que nous allons pouvoir constater en traitant de la sanction de l’obligation.
Le défaut d’information sur le risque constitue une faute civile engageant la responsabilité contractuelle du débiteur de l’obligation. Avant toute action en justice, le patient s’estimant victime d’un dommage consécutif à l’implantation d’une prothèse cardio-vasculaire a le droit d’être informé par le professionnel de l’établissement de santé sur les circonstances et les causes de l’accident et/ou, sur le défaut d’information qui y est relatif[170]. Si les explications ne lui conviennent pas, par application de l’article L. 1142-28 du Code de la santé publique, le patient a dix ans, à compter de la consolidation de son état pour engager la responsabilité du médecin[171]. Celle-ci ne peut être engagée que si, d’une part, il est établi que le professionnel a commis une faute, à savoir, il n’a pas correctement informé, et si, d’autre part, la victime a subi un préjudice en rapport de causalité avec la faute commise. Nous verrons d’abord la preuve de la faute (section 1) et ensuite le dommage de la victime (section 2).
Section 1 : La preuve du défaut d’information
L’information étant traditionnellement dispensée par voie orale, au cours d’entretiens entre médecin et malade, la nature et le contenu des explications délivrées par le praticien sont généralement difficiles à restituer. Or, la jurisprudence considère qu’« il ne peut être exigé d’un médecin qu’il remplisse par écrit son devoir de conseil »[172]. Ce dernier y a pourtant plutôt intérêt si l’on considère qu’il a la charge de prouver qu’il a correctement exécuté son obligation (A). Toutefois, il lui est possible de rapporter la preuve par tous moyens (B).
A : La charge de la preuve
Traditionnellement, la charge de la preuve du défaut d’information incombait à celui qui invoquait l’inexécution, c’est-à-dire au patient[173]. En cela, l’obligation d’information du médecin était conçue comme une obligation de moyens : le créancier, le patient victime, devait prouver la faute du professionnel pour engager sa responsabilité, c’est-à-dire l’absence ou la mauvaise information. Cependant, comme toute preuve négative, celle-ci était très difficile à rapporter, l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 25 février 1997, a opéré un revirement de jurisprudence sur ce point. Selon cet arrêt, « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation… Le médecin est tenu d’une obligation d’information vis-à-vis de son patient et il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette obligation »[174]. Ce changement relatif à la charge de la preuve a été transposé à la responsabilité publique hospitalière par le Conseil d’État dans l’arrêt précité du 5 janvier 2000[175]. Il est confirmé par la loi du 4 mars 2002. Selon l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique, « En cas de litige il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article ». Désormais, donc, l’obligation du médecin peut apparaître comme une « obligation de résultat atténuée »[176]. La victime est dispensée de rapporter la preuve d’une faute du médecin, du défaut d’information. Celle-ci est présumée. Elle se contente de prouver son préjudice. Cependant, le professionnel peut s’exonérer de sa responsabilité en prouvant son absence de faute, c’est-à-dire, qu’il a fourni l’information[177].
Il faut alors relativiser l’importance pratique de ce revirement, le médecin pouvant rapporter la preuve de l’exécution de son obligation par tous moyens.
B : La liberté de la preuve
La possibilité pour le professionnel de rapporter la preuve de l’exécution de son obligation d’information par tous moyens a d’abord été affirmée par un arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 14 octobre 1997[178]. La solution est, ici encore, confirmée par la loi du 4 mars 2002. Il peut s’agir non seulement d’écrits mais aussi de témoignages[179] ou de présomptions en application de l’article 1353 du Code civil[180]. Les juges pourront donc fonder leur opinion sur le fondement d’indices graves, précis et concordants. Ils pourront tenir compte de la profession du malade, du nombre d’entretiens avec le médecin, du temps de réflexion du patient, des mentions dans le dossier, des échanges de courrier entre spécialiste et généraliste, etc.
Il est vrai qu’en pratique, le seul moyen pour le médecin de se préconstituer une preuve de l’information fournie au patient est l’écrit[181]. « La nouvelle jurisprudence ne peut qu’inciter le médecin à faire signer systématiquement un écrit préétabli selon le type d’opération ou de soins envisagés et qui contiendrait une liste exhaustive des risques graves ou effets secondaires qui y sont liés »[182]. Cependant, cette solution n’est pas satisfaisante pour deux raisons essentielles : tout d’abord, l’écrit est général et impersonnel, or le médecin doit adapter l’information à la personnalité du patient. Il doit prendre en compte sa sensibilité, sa psychologie, son niveau socio-culturel, pour être sûr que l’information donnée est bien reçue par son interlocuteur comme l’exige l’article 35 alinéa 2 du Code de la déontologie médicale[183]. Il doit veiller à la compréhension par le malade des informations qu’il lui fournit[184]. Ensuite, un écrit préconstitué ne sera peut-être pas à jour des dernières informations reçues ou répertoriées par le médecin en ce qui concerne les risques posés par les prothèses. A moins d’une diligence particulière du correspondant local de matériovigilance qui prendrait à sa charge la réactualisation continue de la liste, des lacunes peuvent très vite se faire jour.
Mais l’établissement de la faute du médecin ne suffit pas à engager sa responsabilité, encore faut-il que la victime prouve un préjudice réel résultant du défaut d’information.
Section 2 : Le préjudice de la victime résultant du défaut d’information
Conformément aux règles de la responsabilité civile de droit commun, la victime qui souhaite obtenir réparation doit prouver un dommage réel (A) et le lien de causalité entre le dommage subi et l’absence d’information (B). Le préjudice effectivement réparé ne correspondra pas forcément au dommage réellement subi.
A : Le dommage réel
La faute résultant du défaut d’information imputable au praticien entraîne l’indemnisation intégrale du préjudice subi par la victime. Le dommage doit être réel et certain. Il peut-être matériel, physique et moral. Il comprend tout d’abord le pretium doloris (l’indemnisation de la souffrance endurée), ensuite le préjudice esthétique (l’indemnisation des séquelles physiques et mentales), également le préjudice d’agrément (l’impossibilité de se livrer, consécutivement à la faute médicale, à des activités pratiquées de façon habituelle et courante avant la survenance du dommage) et enfin, le préjudice sexuel. Le dommage résultera le plus souvent de complications entraînant, au mieux, une nouvelle opération destinée à explanter la prothèse, au pire, le décès du patient.
L’hypothèse d’une absence de dommage résultant du défaut d’information peut être illustrée par l’arrêt du 7 octobre 1998 (2ème espèce)[185]. Selon la Cour, le patient ne souffrait à la suite de l’intervention chirurgicale que de troubles sensitifs moindres que ceux qui auraient découlé de la non-réalisation de l’opération chirurgicale, laquelle était indispensable et avait abouti à l’amélioration escomptée. Elle en déduit l’absence de préjudice résultant pour le patient de la perte de la faculté qu’il aurait eu de refuser l’intervention s’il avait été informé et donc l’absence de responsabilité du médecin.
Or, ce sera souvent le cas pour un patient qui, bien que non informé du risque de dégradation de sa prothèse, aura au mieux, à subir une nouvelle intervention pour la remplacer, au pire, gagné du temps de vie sur un pronostic de toute façon fatal. Dans ce sens, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir rejeté la responsabilité du médecin au motif que la victime « ne caractérisait aucune perte de chance d’échapper au risque réalisé dans la mesure où celui-ci était inhérent à la pose d’une sonde dont la nécessité était admise par les experts, de sorte qu’elle ne justifiait aucun préjudice indemnisable »[186].
En effet, ce n’est pas souvent le dommage réel qui est réparé, mais seulement le préjudice résultant de la perte d’une chance. Le lien de causalité prend ici toute son importance.
B : Le lien de causalité
L’exigence de causalité se résume dans la proposition suivante : le patient doit rapporter la preuve du rapport existant entre le défaut d’information et le préjudice réellement subi du fait du risque qui s’est réalisé. Autrement dit, il doit prouver, qu’informé, il aurait certainement refusé l’opération ou pris les dispositions nécessaires pour prévenir le danger. S’il réussit à rapporter cette preuve, il démontre par la même qu’il n’aurait certainement pas subi de dommage. Dans cette hypothèse, le lien de causalité entre le défaut d’information et le dommage subi du fait du défaut d’information est établi : le préjudice réellement subi par le patient devra être réparé intégralement.
Mais, ce cas de figure reste exceptionnel. Le plus souvent il existe un doute relatif à l’attitude du patient dans l’hypothèse où il aurait été correctement informé. Dans ce cas, le lien de causalité entre le préjudice réel et la faute n’est plus certain et la jurisprudence fait appel à la théorie de la « perte de chance ». Elle accepte alors de réparer la simple perte de chance d’éviter le dommage effectivement subi, lequel est en rapport de causalité certaine avec la faute. Le préjudice réparable n’équivaut plus alors à l’intégralité des dommages subis par le patient. Le principe avait été affirmé dans un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 février 1990, selon lequel, le médecin « qui manque à son obligation d’éclairer son patient sur les conséquences éventuelles du choix de celui-ci d’accepter l’opération qu’il lui propose, prive seulement l’intéressé d’une chance d’échapper, par une décision peut-être plus judicieuse, au risque qui s’est finalement réalisé, perte qui constitue un préjudice distinct des atteintes corporelles résultant de ladite opération »[187]. Ce principe a, par la suite, été réaffirmé par deux arrêts du 8 juillet 1997[188]. Il est également appliqué par le Conseil d’État[189]. Pour M. Chabas, il y a là une utilisation erronée de la théorie de la perte d’une chance dans la mesure où les chances sont un élément objectif totalement étranger à la volonté libre de la victime. Pour lui, on a joué sur les mots en confondant deux propositions : « il y a des chances (de ne pas être malade) » et « il y a des chances pour que (il eût pu éviter le mal) »[190].
Les juges se livrent à un raisonnement fictif pour évaluer le préjudice résultant de la perte d’une chance[191]. Il faut mesurer à la fois les chances perdues et la gravité du préjudice final réalisé[192]. C’est une fraction des différents chefs de préjudices de la victime[193]. Plus les chances qu’aurait eues le patient de refuser l’opération s’il avait été informé sont grandes, plus la réparation se rapproche du dommage réellement subi du fait du risque qui s’est réalisé. Inversement, le montant est de faible importance lorsque les hypothèses de refus de l’implantation sont minimes. Enfin, et à l’inverse, s’il est certain que même informé le patient aurait quand même accepté l’opération ou que la prothèse se serait de toute façon dégradée à la même vitesse, non seulement il n’existe plus de lien de causalité entre la faute et le dommage subi par le patient, mais en outre, ce dernier ne souffre d’aucun préjudice distinct résultant de la perte d’une chance de refuser l’opération s’il avait été correctement informé[194]. Or il est un fait que les prothèses, en tissu, se dégradent avec le temps et que le porteur, conscient ou pas de la dégradation inéluctable, ne peut guère intervenir dans le processus de destruction. C’est la raison pour laquelle, dans ce cas, la responsabilité du médecin sera certainement écartée. En revanche, la responsabilité pourrait être engagée, si informé des suites de l’implantation d’une prothèse cardio-vasculaire, le patient aurait pu opter pour une endoprothèse[195].
En conclusion, nous pouvons dire que le régime actuel de l’obligation d’information est le résultat d’une longue et perpétuelle recherche de compromis entre les intérêts des patients victimes de dommages et ceux des professionnels de santé. Au souci d’indemniser les victimes répond le souci de ne pas trop charger une profession qui assure une mission d’intérêt général. Or, comme tout compromis, il repose sur un équilibre fragile et risque de ce fait d’être constamment remis en cause, comme en témoignent les nombreux revirements de jurisprudence en la matière. Il n’en reste pas moins, qu’en cette matière particulière qu’est la santé, l’humanité et l’attention que le médecin témoigne à son patient en l’informant de la situation est, de loin, la meilleure prévention des conflits. C’est à ce titre que, dans le cadre du plan de lutte contre le cancer, un protocole visant à l’amélioration de l’information des malades[196] est d’ores et déjà lancé dans un certain nombre d’établissements pilotes.
En effet, après l’étude théorique du problème, les observations de terrain s’avèrent nécessaires pour valider ou non le régime proposé. S’il donne entière satisfaction, sa mise en œuvre pourra être poursuivie. Dans le cas contraire, des aménagements ou même de nouvelles solutions devront être apportées au dispositif. C’est cette démarche que nous poursuivons dans la deuxième partie de ce rapport intitulée : Les difficultés que posent les prothèses cardio-vasculaires : la pratique en Alsace.