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Allemagne

Régimes de protection des incapables mineurs en Allemagne

Par Patrice HILT, Centre de droit Privé Fondamental, à jour au 1er Février 2003


Selon le §1 du B.G.B., toute personne possède la capacité de jouissance (Rechtsfähigkeit) lui permettant d’être titulaire de droits et d’obligations.

En revanche, la capacité d’exercice (Handlungsfähigkeit) lui est parfois refusée de sorte qu’elle n’est pas toujours en mesure de passer valablement de façon autonome tout acte juridique. En effet, aux termes du §2 du B.G.B., ce n’est qu’à partir de dix-huit ans qu’une personne acquiert la capacité d’exercice.

Faut-il alors conclure qu’en deçà de cet âge, la personne doit nécessairement être considérée comme étant incapable d‘accomplir pour soi-même et de façon autonome des actes juridiques ?

En réalité, le droit allemand distingue plusieurs degrés dans la capacité d’exercice : à partir de dix-huit ans, la personne possède la pleine capacité d’exercice (voll geschäftsfähigskeit) (I). Si elle a moins de sept ans, elle est frappée d’une incapacité d’exercice totale (Geschäftsunfähigkeit) (II). Enfin, entre l’âge de sept et dix-huit ans, elle est réputée ex lege titulaire d’une capacité d’exercice restreinte (beschränkt geschäftsfähig) (III).

I. La pleine capacité d’exercice

Comme dans la plupart des Etats européens, l’âge de la majorité civile est fixée en Allemagne à dix-huit ans révolus. Le §2 du B.G.B. dispose en effet que la personne atteint l’âge de dix-huit ans devient majeure et doit de ce fait être considérée comme ayant la pleine capacité d’exercice. Elle peut dès lors accomplir seule et sans aucune restriction tout acte juridique licite.

C’est également à partir de cet âge que la personne sera autorisée à se marier. Toutefois, un mineur qui désire contracter mariage peut obtenir une dispense d’âge du tribunal des tutelles si deux conditions se trouvent réunies : d’une part, le requérant doit être âgé de seize ans. D’autre part, son futur conjoint doit être majeur (art. 1, Ehegesetz). Lorsque la dispense est accordée et le mariage célébré, le mineur acquiert de plein droit la pleine capacité d’exercice.

II. L’incapacité d’exercice totale

En vertu du § 104 du B.G.B., la personne âgée de moins de sept ans révolus est frappée d’une incapacité d’exercice totale. Tel est également le cas de l’individu qui se trouve dans un état de trouble mental excluant tout libre exercice de la volonté, à moins que cet état soit de nature passagère.

L’incapable ne peut accomplir personnellement aucun acte juridique. Seul son représentant légal peut agir en son nom et pour son compte.

Un acte passé en violation d’une incapacité d’exercice totale encourt la nullité (Nichtigkeit) selon le §105 du B.G.B. La nullité est automatique et opère à titre définitif, même si les conséquences de l’acte sont très favorables à l’incapable et même si le cocontractant n’a pas été en mesure de distinguer l’état d’incapacité. En effet, la loi n’envisage pas la possibilité d’apporter des dérogations aux effets de la nullité en faveur de la personne ayant contracté de bonne foi avec un incapable. Par ailleurs, la ratification a posteriori de l’acte nul par le représentant de l’incapable n’est pas autorisée (Genehmigung).

III. La capacité d’exercice restreinte

Alors que le droit français distingue entre pleine capacité d’exercice et incapacité sans établir de catégorie intermédiaire, le B.G.B. allemand a créé une telle catégorie : les mineurs de plus de sept ans et de moins de dix-huit ans bénéficient en droit allemand d’une « capacité d’exercice restreinte » (§ 106 B.G.B.).

La capacité d’exercice restreinte emporte deux conséquences : tout d’abord, le mineur peut accomplir seul certains actes juridiques (A). Ensuite, il peut s’engager contractuellement dans certaines hypothèses à condition toutefois d’avoir obtenu soit l’autorisation du représentant légal (B), soit l’autorisation conjointe du représentant légal et du tribunal des tutelles (C).

A. Les actes pouvant être accomplis seuls par le mineur

Entre l’âge de sept et de dix-huit ans, le mineur peut accomplir seul les actes juridiques ne comportant aucun risque (risikolose Geschäfte), c’est à dire ceux que la loi caractérise en disant que l’intéressé « en retire exclusivement un avantage du point de vue juridique » (§107 B.G.B.).

L’avantage (rechtlicher Vorteil) exigé par le texte doit faire l’objet d’une analyse juridique et non pas économique.

Doivent ainsi être déclarés valables parce que conférant un avantage juridique à l’incapable les contrats ne créant des obligations qu’à la charge du cocontractant (einseitig verpflichtender Vertrag). De même, le mineur peut également passer seul un acte neutre (neutrales Geschäft), c’est à dire un acte qui, sans être exclusivement favorable au mineur, ne lui cause aucun préjudice juridique. Sera neutre un acte qui n’aura des conséquences que pour d’autres personnes que le mineur.

Ont par exemple été déclarées non défavorables juridiquement au mineur une donation à son profit, l’acquisition à titre gratuit d’un terrain, l’acceptation d’un legs ou encore la cession de créance au profit du mineur. Ont en revanche été jugés défavorables juridiquement au mineur un acte de renonciation, un contrat synallagmatique, une résolution, une révocation, une acceptation ou une renonciation à une succession, une fondation d’association, un acte de compensation, un cautionnement ou encore une cession de garantie.

B. Les actes requérant l’autorisation du représentant légal

Tous les actes qui ne confèrent aucun avantage juridique exclusif au mineur ou qui ne sont pas neutres à son égard doivent faire l’objet d’une autorisation du représentant légal.

Cette autorisation peut être donnée au préalable ou a posteriori (§ 107 et s. B.G.B.). Elle peut être donnée au mineur lui-même ou directement à son cocontractant.

Lorsque l’autorisation est donnée au préalable, elle sera révocable jusqu’à la passation de l’acte juridique (§ 183 B.G.B.).

Lorsque l’autorisation n’est demandée qu’a posteriori, la question se pose alors de la validité de l’acte juridique entre le moment où le mineur s’est engagé et celui où son représentant y consent ou non. Le Code civil allemand prévoit que, pendant cette période appelée Schwebezeit, l’acte est provisoirement privé de validité. L’autre partie au contrat se voit ici reconnaître la faculté de se dédire (sich lossagen) de l’acte si elle ignorait que la capacité de son cocontractant était limitée (§ 109 B.G.B.).

Bien évidemment, l’acte juridique passé par un mineur âgé entre sept et dix-huit ans sans l’autorisation de son représentant légal est frappé de nullité à titre définitif (§ 108 B.G.B.).

L’autorisation du représentant légal peut être limitée à un seul acte, ou bien englober toute une série d’actes précisément énumérés. En revanche, le représentant légal ne peut pas donner une autorisation générale pour tout acte juridique car cela reviendrait à rendre le mineur entièrement capable, ce que la loi entend éviter par le régime de capacité restreinte qu’elle édicte.

En principe, l’autorisation du représentant légal ne peut pas être tacite (konkludente Einwilligung), sauf dans l’hypothèse expressément réglementée par le § 110 du B.G.B. Ce texte contient une réglementation spéciale appelée « Taschengeldparagraph » (paragraphe relatif à l’argent de poche). Il concerne essentiellement les contrats conclus par un mineur âgé de sept à dix-huit ans avec l’argent de poche que lui donnent ses parents. Le § 110 du B.G.B. considère qu’un contrat conclu par le mineur sans l’autorisation de son représentant légal doit néanmoins être considéré comme valable dès l’origine si le mineur exécute la prestation contractuelle avec des ressources qui lui ont été remises pour sa libre disposition par son représentant légal (notamment l’argent de poche). La loi considère ainsi qu’en mettant à disposition du mineur des ressources, son représentant légal consent tacitement et par avance à l’ensemble des actes juridiques que le mineur peut être conduit à exécuter avec ces ressources. Mais cette autorisation tacite ne vaut que pour l’acte initial (par exemple achat d’un billet de loterie), mais non pour les actes juridiques qui peuvent s’ensuivre (disposition du gain obtenu par le jeu). Enfin, il appartiendra à la personne qui invoque la validité du contrat de prouver que les conditions énoncées au § 110 du B.G.B. sont réunies.

C. Les actes requérant l’autorisation conjointe du représentant légal et du tribunal des tutelles

Le mineur qui désire exercer une activité rémunératrice indépendante (§ 112 B.G.B.) ou conclure un contrat de travail ou de louage de services (§ 113 B.G.B.) doit obtenir l’autorisation conjointe de son représentant légal et du tribunal des tutelles.

Dans ces deux hypothèses, le mineur dispose d’une capacité d’exercice quasi-totale, limitée toutefois aux actes de la vie professionnelle envisagée. Le B.G.B. vise ici l’Arbeitsmündigkeit (majorité pour cause de travail).

L’Arbeitsmündigkeit qui est ici reconnue au mineur est en réalité extrêmement limitée. Dans le cadre du §112 du B.G.B., certains actes jugés dangereux restent néanmoins soumis à une autorisation spéciale du tribunal des tutelles (par exemple les souscriptions d’emprunts, l’endossement d’effets de commerce etc). De même, dans le cadre du § 113 du B.G.B., le domaine de la majorité pour cause de travail englobe seulement l’encaissement du salaire et l’ouverture d’un compte de dépôt, mais non pas les actes de disposition du salaire perçu par l’intéressé.

Voir notamment

F. FERRAND, Droit privé allemand, éd. Dalloz, 1997, §204 et s., p.234 et s.

M. FROMONT et A. RIEG, Introduction au droit allemand. Tome III. Droit privé, éd. Cujas, 1991, p.28 et s.

G. HOHLOCH, Familienrecht, éd. Boorberg, 2002.

H.-W. KORNICKER, J.-Cl. Dr. comparé, Allemagne, fasc. 1, §5 et s., p.4 et s.