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Le particularisme du droit local Alsacien-Mosellan des religions

Contribution à la 8e journée des Masters de l’Université Montesquieu de Bordeaux,

Sous la direction scientifique de Madame Frédérique Granet-Lambrechts, Professeur à l’Université de Strasbourg et de Monsieur Patrice Hilt, Maître de conférences à l’Université de Strasbourg 

par les étudiants Master 2 Droit de la famille interne, international et comparé (2012/2013)

Valentin Blake-Heimburger

Amélie Huin

Annelies Mathot

Bérénice Rêteux

Prisca Blard

Brice Bouteille

Gaëlle Sampietro

Priscille Vogelsberger

Mathilde Bello

Olivier Haas

Emmanuelle Keller

Sarah Meichler-Baretje

 

Célia Hamm

Céline Lecarpentier

Sarah Touhami

Marine Usseglio-Viretta

Introduction

Il existe actuellement sur le territoire français plusieurs régimes cultuels, c’est-à-dire plusieurs manières d’organiser les cultes. On en dénombre quatre : le régime des cultes de la Guyane française, celui des cultes d’Outre-Mer, celui d’Alsace-Moselle et enfin celui qui s’applique dans le reste du territoire français, à savoir le régime de la séparation de l’Église et de l’État. Notre analyse se concentrera sur le régime applicable en Alsace-Moselle.

Le droit des cultes en Alsace-Moselle est un produit de l’Histoire et est constitué pour l’essentiel de dispositions datant de la première partie du xixe siècle qui ont encore vocation à s’appliquer. Ainsi, le régime applicable aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle est différent du reste de la France. En effet, ces trois départements n’ayant jamais été soumis à la loi de 1905, le régime s’y appliquant n’y est pas une dérogation, mais est un régime autonome.

Au sein de ces trois départements, quatre régimes des cultes régissent les relations religieuses avec l’État : le culte catholique, les cultes protestants luthérien et calviniste et enfin le culte israélite.

Comme cela fut précisé précédemment, dans la France de l’intérieur, le régime applicable est celui de la séparation de l’Église et de l’État. Ce principe est issu de la loi du 9 décembre 1905 qui pose principalement la règle de l’interdiction du financement public des cultes selon laquelle l’État ne peut rémunérer ni subventionner aucun culte.

C’est par cette même loi que fut abrogé le traité qui régissait jusqu’alors les relations entre l’Église et l’État : le Concordat du 15 juillet 1801. Ce traité, conclu par Napoléon Bonaparte avec le Saint-Siège, a eu pour but de restaurer la paix religieuse ; il ne concernait à l’époque que la seule religion catholique, ce qui est toujours le cas.

Cependant, bien qu’abrogé dans tout le territoire français, le Concordat a perduré en Alsace-Moselle et est donc toujours en application dans les trois départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Afin d’en comprendre la raison, il convient de revenir en arrière par un bref rappel historique.

Les départements d’Alsace et la Moselle ont changé de nationalité à plusieurs reprises au cours
de l’Histoire.

En 1871, ils sont rattachés par un traité de paix à l’Empire allemand : il s’agit du Traité de Francfort du 10 mai 1871. Au moment de ce rattachement, les trois départements étaient soumis au droit français et donc au Concordat. En rattachant ces territoires à l’Empire allemand, s’est posée la question de savoir s’il fallait continuer à appliquer cet accord ou non. En effet, le Concordat aurait dû être considéré comme caduc, mais l’Empereur Guillaume Ier décida de continuer à l’appliquer ; il en est allé de même pour les autres ordonnances régissant les différents cultes.

En cette même période, en France, le Concordat et les ordonnances furent abrogés et remplacés par la loi de 1905.

Au sortir de la Première Guerre mondiale, les deux départements de l’Alsace et la Moselle furent réintégrés au territoire français et fut donc posée la question de savoir s’il fallait ou non remettre en cause le Concordat dans ces trois départements. Cette question suscita de nombreux débats, mais il fut finalement décidé que, sortant d’un conflit mondial, il était mieux pour la France de conserver ce régime spécifique dans un objectif de pacification civile.

Puis, par une loi civile de 1924, la France décida de maintenir définitivement le régime des cultes applicable au droit civil alsacien-mosellan tel qu’il existait en 1918.

Entre les deux guerres, des tentatives furent faites de remettre en cause ce régime spécial, mais sans succès. Le Conseil d’État fut par ailleurs interrogé sur la question en 1925 et décida également de ne pas le remettre en cause [1].

Enfin, lors de la Seconde Guerre mondiale, le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle redevinrent des départements allemands en 1940. Cette annexion dura le temps de la guerre. Puis, en 1945, ils réintégrèrent le territoire français. La question fut une nouvelle fois posée : fallait-il appliquer le Concordat ou la loi de 1905 ?

Le gouvernement provisoire de la République française, sous l’impulsion du Général de Gaulle, prit la décision de maintenir le droit des cultes et des religions tel qu’il existait en Alsace-Moselle.           

N’ayant été abrogé ni lors de l’annexion allemande en 1870 ni par le retour des trois départements au sein de la République française en 1919 et en 1945, le régime concordataire en Alsace-Moselle perdure donc depuis le Concordat de 1801 signé par Napoléon Bonaparte.

Ainsi, contrairement aux idées reçues, cet élément du droit local est issu du passé français des trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, et non de son passé allemand.

Il convient à présent de présenter plus précisément ce régime local : pour ce faire, nous suivrons le cas d’une famille alsacienne s’interrogeant sur les répercussions du régime alsacien-mosellan des cultes sur son quotidien.

En l’espèce, Marie et Joseph, mariés depuis de nombreuses années, ont donné naissance à deux enfants : Hansel et Gretel. Hansel rêve de devenir prêtre. Gretel, quant à elle, est encore au collège et, contrairement à son frère, n’apprécie guère l’Église ni les cours de religion. La famille devra également faire face au décès du grand-père de Hansel et de Gretel qui avait émis de son vivant la volonté d’être enterré dans un cimetière catholique. Suivons-les à travers les questions qu’ils nous posent.

Discussion

Marie et Joseph sont à l’aube de leurs noces d’argent. Le grand-père Frantz a réuni les familles Schmitt et Weber le samedi 30 mars afin de fêter dignement cet heureux événement. La fête battant son plein, bière et vin coulant à flot, l’oncle Loïc décide d’aller prendre des nouvelles de sa nièce Gretel. Celle-ci lui apprend que l’école n’est pas son fort et qu’elle a du mal à se lever le samedi matin pour aller en cours de religion. Cela étonne son oncle qui pensait qu’elle était inscrite dans une école publique. Il lui demande des précisions. Maître Silvestrin, cousin germain de Marie, surprend la conversation, ayant toujours eu un intérêt particulier pour les questions de droit local, et décide d’éclairer Loïc sur ce point.

« Le statut scolaire local est fortement marqué par la présence de la religion dans l’école privée comme dans l’école publique. Les écoles primaires publiques peuvent être confessionnelles ou interconfessionnelles conformément à la loi du 15 mars 1850. Dans les faits, les écoles primaires publiques sont neutres, tout en promouvant un climat favorable aux différentes croyances religieuses.

L’article 23 de cette loi confère une place importante à l’enseignement religieux qui fait partie intégrante des programmes scolaires à raison d’une heure par semaine en école primaire. Une seconde heure peut être prévue à la demande des parents d’élèves, et même deux dans le secondaire.

Toutefois, les parents peuvent faire dispenser leurs enfants de l’enseignement religieux en faisant la demande au directeur d’école. Dans ce cas, un cours de morale est organisé à la place.

Le programme de l’enseignement est toujours fixé d’un commun accord entre le rectorat et les autorités religieuses. Deux approches peuvent être pratiquées dans les établissements : d’une part, une approche classique de l’enseignement du dogme ; d’autre part, une approche contemporaine d’orientation du contenu de l’enseignement vers un éveil culturel et religieux. Le but est notamment de présenter les différentes religions telles qu’elles existent aujourd’hui, de développer leurs racines historiques et les temps forts. Il s’agit de contribuer à la culture générale des élèves. Ce statut explique que les parents choisissent davantage l’école publique par rapport à l’école privée. Actuellement, 75 % des élèves en primaire suivent le cours de religion, contre 41 % au collège et 10 % au lycée. »

Revenons à nos personnages et retrouvons l’oncle Loïc qui, ayant peur du prosélytisme, demande à Maître Silvestrin des précisions sur les personnes qui enseignent.

« Ce sont des enseignants volontaires, qu’il s’agisse de vacataires ou d’enseignants titulaires, et très rarement de ministres du culte ou de personnes habilitées par le rectorat. Les instituts universitaires de formation des maîtres prennent actuellement en charge la formation de ces futurs enseignants. En effet, il faut en principe être titulaire d’un CAPES, concernant les titulaires. Les enseignants contractuels peuvent bénéficier d’une formation complémentaire sanctionnée par une certification. »

Gretel n’ayant pas apprécié l’intervention inopinée de son cousin profite de l’occasion pour le mettre en difficulté par rapport à ses amis de confession musulmane qui ne suivent pas ces cours. Ce à quoi son cousin lui répond :          

« Les textes applicables aujourd’hui dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle sont ceux du Concordat de 1801, les articles de la loi du 18 germinal an X en ce qui concerne le culte catholique et les deux cultes protestants, et l’ordonnance du 28 mai 1844 à propos du culte israélite. S’agissant des autres cultes non statutaires, ils s’organisent sous la forme d’associations de droit local puisque la loi de 1901 sur les associations n’est pas en vigueur dans les trois départements. Comme cette dernière est inapplicable, la règle selon laquelle l’État ne subventionne ni ne rémunère aucun culte ne s’applique pas, de sorte que les associations des cultes non statutaires peuvent percevoir des subventions publiques de l’État, de la région, des départements et des communes. Ce financement public permet donc à ces associations de développer leurs activités cultuelles. C’est l’exemple de la mosquée de Strasbourg qui vient d’être inaugurée.

Dans une perspective d’instauration d’un Islam de France, différents travaux spécifiques ont suggéré le constat suivant : le statut scolaire local fait consensus aujourd’hui dans l’opinion publique. À partir de cette idée d’acceptation sociale, les commissions ont proposé d’inscrire un enseignement de la religion musulmane dans les programmes scolaires des écoles, collèges et lycées des trois départements. Cela est possible sur le plan juridique, mais cela suppose une loi et un décret.
Au-delà, il y a trois problèmes à résoudre.

En premier lieu, la question des enseignants : qui assurera le cours de religion musulmane ? Cela pose la question de la formation des cadres de la religion musulmane. Une idée était de créer une faculté ou un institut de religion musulmane.

En deuxième lieu, la détermination du contenu de l’enseignement : quel va être le programme ? Actuellement, pour les cultes catholiques et protestants, le programme est déterminé par un accord de courtoisie. Cela est possible en raison de la relation stable et ancienne qui existe entre l’État et les cultes statutaires. Les autorités créent peu à peu une relation pérenne avec le culte musulman.

Mais une petite particularité n’est pas sans déplaire. En Alsace-Moselle, il y a deux jours fériés en plus. Il s’agit du 26 décembre, jour de la Saint-Étienne, et du Vendredi Saint qui offrent ainsi deux journées supplémentaires de congés par rapport à la France de l’intérieur ! »

Cette réponse ayant été donnée à Gretel, retrouvons la famille le lendemain matin. Hansel, fils aîné de Marie et de Joseph, décide de profiter de l’occasion pour annoncer son intention de devenir prêtre, espérant secrètement devenir cardinal, puis pape, une idée qui lui trotte dans la tête depuis les dernières journées mondiales de la jeunesse à Madrid.

Ses parents, interloqués, le questionnent sur le sérieux de ce projet. Hansel, sûr de lui, leur explique qu’il a déjà accompli certaines démarches, qu’il va entrer prochainement au Grand Séminaire de Strasbourg pour se former et qu’il suivra les cours de théologie catholique dispensés par l’Université de Strasbourg. Ses parents lui demandent des détails. Maître Silvestrin se porte volontaire, ici encore, pour leur répondre.

« La Faculté de théologie catholique est vieille de 111 ans. Elle est née d’une convention liant l’Empire allemand et le Saint-Siège. La Faculté de théologie protestante est encore plus ancienne puisqu’elle fut fondée en 1538. Ces facultés constituent une originalité alsacienne en ce qu’elles relèvent de l’université publique et sont les seules à délivrer des diplômes d’État en théologie, à savoir des Licences, des Masters et des Doctorats. Dans le reste de la France, cette discipline est enseignée dans des universités privées.

Pour ce qui est du culte israélite, les rabbins suivent une formation à l’école rabbinique de Paris qui délivre des diplômes. »

Souhaitant apporter le plus de précisions possibles, Maître Silvestrin poursuit son discours en indiquant :

« La formation universitaire de Hansel n’est qu’une première étape de son dévouement pour Dieu.

Après son diplôme, Hansel pourra devenir curé et être ainsi en charge d’une paroisse. Pour cela, il devra d’abord être nommé par son supérieur, c’est-à-dire l’évêque, avec l’agrément du ministre de l’Intérieur. Ce dernier possède notamment un service délocalisé en Alsace-Moselle, le « bureau des cultes », dont le siège est situé à la préfecture de Strasbourg.

Si Hansel devenait un jour évêque, sa nomination se ferait selon un processus particulier. Les articles 4 et 5 du Concordat de 1801 énoncent qu’un premier décret du président de la République devrait être pris secrètement. Il serait suivi par une bulle pontificale, par laquelle le pape nommerait cet évêque. Un second décret du président de la République, pris sur la base de la bulle pontificale, nommerait alors officiellement l’évêque. Après avis du Conseil d’État, ce décret serait publié au Journal officiel de la République française et au Journal officiel du Saint-Siège. »

Hansel remercie Maître Silvestrin de ses explications et affirme qu’il en fera part à l’un de ses amis qui souhaite devenir pasteur. Maître Silvestrin ajoute alors :   

« La procédure de nomination n’est pas la même pour les autres ministres du culte. Pour devenir pasteur, son ami sera nommé par l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (EPAL) avec l’agrément du ministre de l’Intérieur, en vertu des décrets du 26 mars 1852 et du 18 avril 2006.  

Et si un autre de ses amis envisageait de devenir rabbin, les modalités seraient encore différentes. Un rabbin ou un grand rabbin est en effet nommé, avec l’agrément du ministre de l’Intérieur, par le consistoire départemental qui est l’établissement public local du culte israélite et qui a, à ce titre, la personnalité morale.

Ces procédures de nomination sont propres à l’Alsace-Moselle. En vieille France, les autorités religieuses disposent d’une autonomie totale en la matière. L’État n’intervient pas, sauf pour la nomination des évêques qui requiert une enquête, un rapport, puis un avis du ministère de l’Intérieur à destination du Saint-Siège. »

Marie et Joseph se rendent ensuite à la messe, comme chaque dimanche. Ils y rencontrent Maître Silvestrin, accompagnant sa femme, très pieuse, à l’office. Encore sous le choc de l’annonce de leur fils, les parents de Hansel s’en remettent à leur cousin, seul à pouvoir les éclairer. Ils lui demandent quel est le statut d’un prêtre et ses conditions de vie.

« En vieille France, un ministre du culte est salarié lorsqu’il est titulaire d’un contrat de travail ou, à défaut, si un lien de subordination peut être mis en évidence. Démontrer l’existence d’un tel lien n’est toutefois pas aisé au vu de la jurisprudence de la Cour de cassation. En tout cas, dès que l’existence d’un contrat de travail est établie, l’intéressé est affilié au régime général de la sécurité sociale.

S’il n’est pas salarié, il relève d’un régime particulier fondé sur les articles L. 382-15 et suivants du Code de la sécurité sociale : la Caisse d’assurance vieillesse, invalidité, maladie des cultes (CAVIMAC).

En Alsace-Moselle, le ministre d’un culte statutaire n’a pas la qualité de fonctionnaire d’après un avis du Conseil d’État en date du 17 août 1948 [2]. Pour le ministère de l’Intérieur, c’est un agent public de l’État non titulaire. À ce titre, l’État assure le versement de sa rémunération et de sa pension de retraite.

En outre, selon l’article L. 2543-3 du Code général des collectivités territoriales, les communes des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin doivent inscrire au budget communal les indemnités de logement dues aux ministres des cultes reconnus. Cela résulte respectivement des dispositions du décret du 30 décembre 1809 concernant les fabriques des églises et de l’ordonnance du 7 août 1842 relative à l’indemnité de logement des ministres des cultes protestant et israélite, lorsqu’il n’existe pas de bâtiments affectés à leur logement.

Le logement des ministres des cultes statutaires est donc une charge directe pour les communes.

S’il est ordonné prêtre de l’Église catholique, Hansel bénéficiera sans doute d’un presbytère,
c’est-à-dire du logement traditionnel des ministres de ce culte. Il s’agit d’un bien public dont la commune est en général propriétaire. Selon l’article 5 de la loi du 2 janvier 1907, le curé a un usufruit sur ce bien immobilier. S’il n’y a pas de presbytère, la commune est alors tenue de lui verser une indemnité de logement.

Concernant les ministres des autres cultes statutaires, il n’existe en général pas de tels bâtiments destinés à assurer leur logement et aucun texte n’a d’abord traité de cette question.

Pour les ministres du culte protestant, un décret du 5 mai 1806 prévoit que « les communes où le culte protestant est exercé concurremment avec le culte catholique sont autorisées à [leur procurer] un logement et un jardin ». Mais, en dehors de cette hypothèse, il n’y a eu pendant longtemps aucune obligation générale de leur fournir un toit : il a fallu attendre une ordonnance du 7 août 1842 pour que soient déterminés les ministres des cultes protestants et israélites habilités à percevoir une indemnité de logement.

Ainsi, les ministres des cultes statutaires sont bénéficiaires d’un logement ou, à défaut, d’une indemnité de logement qui doit être suffisante pour leur permettre de louer un logement convenable au regard du marché immobilier. »

Marie et Joseph sont désormais rassurés : Hansel aura un toit sur la tête. Ils se demandent toutefois comment leur fils subviendra à ses besoins. Maître Silvestrin leur répond :

« Soyez rassurés, Hansel percevra un salaire de l’État. Imputé sur le budget du ministre
de l’Intérieur conformément à l’article 14 du Concordat de 1801, il représente l’une des
1 400 rémunérations mensuelles allouées aux prêtres, rabbins et pasteurs présents en Alsace-Moselle, pour un budget annuel d’environ 58 millions d’euros en 2013.

Bien que les quatre religions reconnues par le droit local soient financées par les organes susmentionnés, les assises textuelles varient. Par exemple, la créance des pasteurs découle de
l’article VII de la loi du 18 germinal an X pour le culte protestant, alors que pour le culte israélite, l’article unique de la loi du 8 février 1891 prévoit que leur rémunération est alignée sur celle des ministres des cultes chrétiens, résultant des traitements du Trésor public.

Hormis la perception d’un salaire, Hansel pourra également se prévaloir d’indemnités, dont certains frais de déplacement. En sa qualité de contribuable, il sera soumis à l’impôt sur le revenu et à la CSG. »

Malgré ces paroles réconfortantes, Joseph s’inquiète cependant de la pérennité de ces dispositions, ayant eu vent de la saisine du Conseil constitutionnel concernant la rémunération des pasteurs. Un paroissien lui a raconté qu’une association pour la promotion et l’expansion de la laïcité a soulevé devant le Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité afin que soit reconnu le caractère inconstitutionnel du système de rémunérations versées par l’État aux ministres du culte protestant.

Bien que Hansel ne soit pas protestant, Joseph s’interroge sur les conséquences de cette décision sur la rémunération des autres ministres du culte. Il est vrai qu’en vieille France, l’article 2 de la loi de 1905 affirme que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » : l’État ne consacre plus aucune dépense relative à l’exercice des cultes, y compris dans le budget des départements et des communes.

« Que Joseph se rassure, les dispositions mises en cause ne portent pas atteinte à la Constitution selon une décision du Conseil constitutionnel en date du 21 février 2013 [3]. Si le Conseil constitutionnel réaffirme au préalable l’importance du principe de laïcité, de sauvegarde et de respect des croyances religieuses, il adopte cependant une interprétation historique des textes. Il considère, eu égard aux travaux préparatoires des constitutions de 1946 et de 1958, que les spécificités liées au financement des cultes dans les trois départements d’Alsace-Moselle ont délibérément été maintenues. Le droit commun et les dispositions du droit local peuvent donc coexister. »

À la différence de Hansel, Gretel, la cadette de la famille, ne se revendique d’aucune religion. Étant homosexuelle, les paroles sévères de certains ecclésiastiques strasbourgeois concernant le mariage pour tous l’ont profondément choquée. Elle est membre d’une association qui lutte activement pour les droits des homosexuels. Fortement engagée, elle a même pris la tête du mouvement. Voulant faire de sa première action une action symbolique, elle décide alors de perturber l’office religieux du dimanche à la cathédrale de Strasbourg. Les militants s’introduisent donc dans le lieu de culte, renversent des chaises, brandissent des pancartes, prononcent des paroles injurieuses et outrageantes, et volent une statue de la vierge. Le ministère public engage des poursuites. Les parents de Gretel, inquiets et honteux, souhaitent savoir à quelles sanctions leur fille est exposée.

« Il faut savoir qu’il existe un Code pénal local dont les dispositions, d’origine allemande, ne s’appliquent qu’en Alsace-Moselle. Les différents textes sanctionnent les infractions commises à l’égard des cultes et celles commises par les ministres des cultes eux-mêmes.

Le délit de blasphème a été aboli en France par un décret du 8 juin 1906. Toutefois, le délit ayant été commis en territoire alsacien-mosellan, l’article 166 du Code pénal local [4] peut s’appliquer au cas d’espèce. Cet article sanctionne le délit de blasphème qui consiste en des propos outrageants tenus en public à l’égard de Dieu ou à l’égard des cultes ou des communautés religieuses telles que les congrégations ou des institutions religieuses. La sanction pénale peut aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement.

Gretel a certes commis cette infraction, mais celle-ci ne sera probablement pas retenue par les juridictions strasbourgeoises dans la mesure où aucune condamnation n’a été prononcée pour délit de blasphème dans la région depuis la Seconde Guerre mondiale.

Toutefois, elle risque d’être condamnée pénalement pour trouble à l’exercice public du culte. En droit alsacien-mosellan, cette infraction est réprimée par l’article 167 du Code pénal local [5]. Il s’agit du cas où une ou plusieurs personnes empêcheraient des tiers de pratiquer leur culte, soit dans un édifice cultuel, soit dans tout autre lieu destiné aux assemblées religieuses. Peu importe qu’il s’agisse d’un culte statutaire ou non. La sanction prévue par cet article est une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois années. Gretel encourt donc une telle sanction en vertu du droit local.

Cependant, sur le reste du territoire français, est applicable une loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Son article 3 [6] prévoit également le trouble à l’exercice public du culte, mais qualifie cette infraction de contravention de cinquième classe.

La même infraction est alors sanctionnée différemment sur le territoire. En vue d’une harmonisation des infractions, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a contraventionnalisé l’infraction prévue par l’article 167 du Code pénal local, ce qui a été confirmé dans un arrêt de la Cour de cassation en date du 30 novembre 1999 [7].

En l’espèce, Gretel encourrait une peine d’amende pouvant aller jusqu’à 1 500 euros, voire une peine d’emprisonnement de six jours à deux mois.

Quant au vol de la statue de la vierge, il peut être sanctionné par le Code pénal local en son
article 243 et constitue le délit de vol des objets consacrés au culte. La sanction prévue est de trois ans d’emprisonnement.

Ainsi, au regard du cumul des infractions, Gretel encourra la peine la plus élevée, soit trois ans d’emprisonnement.

Outre le fait de protéger pénalement les cultes, le droit alsacien-mosellan réprime également les abus commis par les ministres du culte. En effet, l’article 130 a du Code pénal local [8] sanctionne le ministre du culte qui, dans l’exercice de ses fonctions, soit dans une église, soit dans tout autre lieu affecté aux autorités religieuses, tient des propos en public relatifs aux affaires de l’État. Il s’agit d’un délit passible de deux ans d’emprisonnement au plus, alors qu’en droit général, au titre de l’article 34 de la loi de 1905 [9], il s’agit d’une contravention. »

Après les frasques de Gretel, un autre drame se produit dans la famille Schmitt. Voulant récemment enlever un nid de cigogne sur le toit de sa maison à colombages, élue plus belle maison de France, le grand-père Frantz, fervent catholique, monte sur une échelle que la cigogne renverse. Ce dernier tombe et meurt sur le coup. La famille Schmitt souhaite enterrer le grand-père Frantz dans un cimetière alsacien dans le respect des traditions catholiques.

« En vertu de l’article L. 2542-12 du Code général des collectivités territoriales [10], qui est issu d’un vieux texte révolutionnaire [11], le maire d’une commune d’Alsace-Moselle est en droit d’instituer des cimetières confessionnels, c’est-à-dire d’affecter un cimetière à chaque culte, statutaire ou non. S’il n’existe qu’un seul cimetière sur le territoire communal, le maire a la possibilité de le partager pour affecter chaque partie issue de la division à un culte déterminé. En cas de partage, il faut séparer chaque partie par des murs, des haies ou des fossés. C’est notamment cette réglementation qui a permis de réserver un emplacement à destination de membres du culte musulman dans une partie du cimetière catholique de Mulhouse dans le Haut-Rhin.

Cette législation diverge du droit général, où le principe est celui de l’interconfessionnalité des cimetières. En effet, selon l’article L. 2213-9 du Code général des collectivités territoriales [12], il est interdit aux communes de créer des cimetières confessionnels, la seule possibilité étant d’apposer des signes religieux sur les tombes.

Ainsi, feu le grand-père Frantz pourra être enterré dans un cimetière catholique ou dans un carré confessionnel catholique d’un cimetière d’Alsace. »             

Conclusion

Le droit local permet, on l’a vu, de résoudre les problèmes juridiques de la famille Schmitt. Encore faut-il que ce droit local soit conforme à la Constitution.

À ce sujet, le Conseil constitutionnel a considéré le droit local comme principe fondamental reconnu par les lois de la République dans sa réponse du 3 mai 2011 à une question prioritaire de constitutionnalité [13]. Cette dernière posait pour la première fois la question de la conformité à la Constitution de l’existence d’un droit propre au Bas-Rhin, au Haut-Rhin et à la Moselle. Les sages de la rue Montpensier ont considéré que, dans la mesure où le droit local a été maintenu après l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946, ces dispositions ne peuvent plus à présent être remises en question. La seule exception serait que les différences de traitement qui en résultent soient accrues ou que le champ d’application en soit élargi.

Par ailleurs, il est rappelé dans l’article 1er de la Constitution de 1958 que la République française est laïque. Le Conseil d’État et le Conseil Constitutionnel, sans définir la laïcité, en dégagent un principe de non-confessionnalité et de neutralité de l’État. Le Conseil d’État a affirmé que l’existence d’un enseignement religieux dans les écoles d’Alsace-Moselle ne met pas en cause la neutralité de l’enseignement public général dès lors qu’il est facultatif [14].

En ce qui concerne les nominations des ministres du culte alsaciens-mosellans, il n’y a aucune atteinte au principe de neutralité car l’État doit lui-même faire preuve de neutralité lorsqu’il nomme les ministres des cultes. De plus, un principe de laïcité positive est respecté dans le Code pénal local qui réprime les infractions commises à l’égard de tous les cultes. Ainsi, il est clair que le droit local des cultes n’est pas inconstitutionnel.

Enfin, concernant l’intervention de l’État dans le financement de certains cultes en Alsace-Moselle, le Conseil constitutionnel a récemment été saisi sur la question de savoir si l’article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à l’organisation des cultes est conforme à la Constitution [15]. Énonçant qu’il « sera pourvu au traitement des pasteurs des églises consistoriales [16] », cet article a été déclaré conforme à la Constitution. La portée de cette solution pourrait être étendue. En effet, si cette décision a été rendue en faveur de la rémunération par l’État des pasteurs protestants, il pourrait en être de même pour les autres cultes, à savoir catholique et israélite.

 


[1] CE. avis, 24 janvier 1925

[2] CE. avis, 17 août 1948, no 245014

[3] Cons. const., 21 février 2013, no 2012-297 QPC

[4] Article 166 du Code pénal local : « Celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie sur le territoire de la Confédération et reconnue comme corporation, ou les institutions ou cérémonies de ces cultes, ou qui, dans une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses, aura commis des actes injurieux et scandaleux, sera puni d’un emprisonnement de trois mois au plus. »

[5] Article 167 du Code pénal local : « Celui qui, par voie de fait ou menace, aura empêché une personne d’exercer le culte d’une communauté religieuse établie dans l’État, ou qui, dans une Église aura par tapage ou désordre volontairement empêché le trouble et le culte, ou certaines cérémonies du culte sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus. »

[6] Article 31 de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État : « Sont punis de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe et d’un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte. »

[7] Cass. crim., 30 novembre 1990, pourvoi no 98-84.916

[8] Article 130 a du Code pénal local : « Tout ecclésiastique ou autre ministre du culte qui, soit dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, publiquement devant une foule, soit dans une église ou tout autre lieu affecté à des assemblées religieuses, devant plusieurs personnes, se livre, au sujet des affaires de l’État, à des déclarations ou discussions de nature à porter atteinte à la paix publique, est passible de l’emprisonnement ou de la détention dans une forteresse pendant deux ans au plus. Sera puni de la même peine tout ecclésiastique ou autre ministre du culte qui, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions aura émis ou répandu un écrit contenant, au sujet des affaires de l’État, des déclarations ou discussions de nature à porter atteinte à la paix publique. »

[9] Article 34 de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État : « Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public, sera puni d’une amende de 3 750 euros et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement. »

[10] Article L. 2542-12 du Code général des collectivités territoriales : « Dans les communes où on professe plusieurs cultes, chaque culte a un lieu d’inhumation particulier. Lorsqu’il n’y a qu’un seul cimetière, on le partage par des murs, haies ou fossés, en autant de parties qu’il y a de cultes différents, avec une entrée particulière pour chacune, et en proportionnant cet espèce au nombre d’habitant de chaque culte. »

[11] Article 15 du 23 prairial an XII

[12] Article L. 2213-9 du Code général des collectivités territoriales : « Sont soumis au pouvoir de police du maire le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations, sans qu’il soit permis d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort. »

[13] Cons. const., 3 mai 2011, no 2011-157 QPC

[14] CE, 6 avril 2001, no 219379 ; CE, 6 juin 2001, no 224053 ; CE, 4 juillet 2001, no 219386

[15] Cons. const., 21 février 2013, no 2012-297 QPC

[16] Article VII de la loi du 18 germinal an X relative à l’organisation des cultes : « Il sera pourvu au traitement des pasteurs des églises consistoriales, bien entendu qu’on imputera sur ce traitement les biens que ces églises possèdent, et le produit des oblations établies par l’usage ou par des règlements. »