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Médiation et réparation pénale en Alsace

par Yves STRICKLER

 

Une équipe de recherche regroupant universitaires, magistrats, avocats, associations d’aide aux victimes et étudiants de 3e cycle. Le premier thème d’étude retenu a été celui des mesures de médiation et de réparation pénales en Région Alsace. Le texte suivant a été publié dans la Revue « Médiations & Sociétés », n° 7, avril 2004, p. 4-8 et vise à présenter les résultats de la recherche collective menée de 2001 à 2003, financée par la Région Alsace.

Cette recherche a débouché sur un rapport d’études, publié aux Presses Universitaires de Strasbourg (juin 2004) [1]

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La recherche « Médiation et réparation pénales » a été conduite sur deux années (novembre 2001 à novembre 2003) au courant desquelles ont été rassemblées les données disponibles de nature à autoriser une analyse quantitative et qualitative des mesures de médiation et de réparation pénales en Alsace

Paradigme d’une justice de proximité, la médiation répond dans le même temps à l’augmentation, mal perçue, des classements sans suite, elle-même liée à l’engorgement de la justice. On rappellera que le législateur a opéré une distinction selon que le mis en cause est un majeur – c’est la médiation de droit commun (CPP, art. 41-1) – ou un mineur – c’est la réparation pénale (Ord. 2 février 1945, art. 12-1). L’idée d’une médiation pour mineurs, qui avait été introduite en 1982 (v. M.-F. Steinlé-Feuerbach et l’association ACCORD 67, « La réparation pénale des mineurs »), est avant tout un principe d’éducation destiné à faire prendre à l’auteur « conscience de l’existence d’une loi pénale, de son contenu, et des conséquences de sa violation pour lui-même, pour la victime et pour la société ». La mesure permet, ensuite, d’envisager avec le mineur « les capacités qu’il est susceptible de mettre en œuvre pour témoigner de sa volonté de réparer ». Ce dernier mot est d’ailleurs polysémique : si la réparation du préjudice subi par la victime est envisagée, la réparation-mineur vise à permettre au mineur de reprendre sa place dans la société tout en « réparant » le mineur lui-même, en lui montrant sa capacité positive de construire et pas seulement celle, négative, de détruire.

Il convient d’insister ici sur le rôle du magistrat dans la réalisation concrète de la médiation. Celle-ci, confiée en priorité au secteur public de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, peut également être dirigée vers un service habilité. On remarque (avec S. Rohmer, « La réparation pénale et le secteur public de la Protection Judiciaire de la Jeunesse ») un important recul de l’implication du secteur public dans la réalisation de la mesure étudiée, en raison du grand nombre de mesures relevant de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, parmi lesquelles la réparation-mineur qui n’est donc pas une exclusive, comme du contexte associatif local [2]. En Région Alsace, la mesure est majoritairement exécutée par le secteur habilité.

Plus généralement, si la plupart des associations alsaciennes poursuivaient initialement un objectif d’aide aux victimes ou de réinsertion du délinquant (V. Bischhof-De Olivera, « Médiation pénale et associations »), l’expérience de médiation pénale développée par l’association ACCORD, qui occupe une place singulière dans le paysage local et national, a fortement contribué à mettre en exergue les vertus de la mesure.

En Alsace, les premières mesures sont comptabilisées en 1991 (pour les détails, v. S. Rohmer, « Les chiffres de la médiation pénale en Alsace »). Le nombre de médiations ordonnées par le parquet marque une constante et forte augmentation jusqu’en 2000, date à laquelle on peut observer une diminution statistique.

Quant aux réparations pénales, leur nombre augmente fortement de 1995 à 1999 (passant de 5 à 456 réparations ordonnées). La situation se stabilise depuis 1999 autour de 500 missions.

On relève que les infractions contre les personnes représentent une part substantielle de l'activité de médiation (de l’ordre de 70 %). Son domaine d’application s’est resserré autour de ce que l’on pourrait appeler la « petite délinquance de proximité ». Ceci étant, dans le domaine spécifique de la famille, la « frontière est souvent ténue entre les situations infrapénales à risque et du pénal contraventionnel » (Cl. Lienhard et J.-P. Copin, « La médiation pénale familiale : un mode alternatif contentieux pénal familial classique »). Or, les relations se perpétueront au moins un temps. Ce contentieux d'extrême proximité a tôt posé la question d'un traitement différencié de ces difficultés et aboutit à l’affirmation que la médiation pénale familiale dans bien des cas « constitue une réponse adéquate proportionnée et permettant de rétablir le dialogue ».

Du point de vue des résultats de la procédure, en moyenne, 84 % des missions de médiation sont réalisées dans un temps inférieur ou égal à trois mois [3], avec un taux de réussite supérieur à 50 % (de l’ordre de 40 % en moyenne pour le Haut-Rhin et de 60 % pour le Bas-Rhin).

Malgré un taux de réussite appréciable, on constate une diminution du nombre de mesures de médiations pénales ordonnées en Alsace depuis 2000. Il semble que cette diminution se fasse au profit d’autres mesures alternatives aux poursuites ou tout simplement au profit d’une plus forte répression. Peut-on voir dans ces chiffres les prémisses d’un abandon de la médiation au profit de solutions plus répressives ? Lors des audiences solennelles de rentrée de janvier 2004, les mesures alternatives ont souvent été citées comme un outil utile et efficace. Et le procureur de la République de Colmar a présagé d’une relance possible de ces mesures, les baisses remarquées étant expliquée par les caractéristiques de l’infraction ou la personnalité du délinquant. On recourt en effet moins à la mesure en présence d’un réitérant : les parquets alsaciens réservent le bénéfice de la mesure aux primo-délinquants. Ceci étant, comme il a souvent été observé que la plupart des délinquants n’avait pas conscience de la portée de leurs actes sur la victime, la mesure n’est pas dans une telle occurrence à exclure sans réflexion.

On peut également se demander si une autre explication du recul constaté ne peut pas être avancée : on sait combien la justice ploie sous la charge. Or, lorsqu’un magistrat du parquet dirige un dossier, après l’avoir sommairement traité, à la médiation, il sait que celui-ci est susceptible de lui revenir en cas d’échec. Un souci de gain de temps et d’économie ne peut-il alors inciter à se tourner directement vers une autre mesure à l’issue plus immédiate ?

Et pourtant, les mesures étudiées ne manquent pas d’atouts et les résultats de l’étude « confirment la place acquise par la médiation pénale en tant qu’outil de l’action publique » (J. Leblois-Happe, « Conclusion générale »). Son principal atout, la souplesse, n’y est pas étranger.

Le principal atout de la médiation : la souplesse

La justice que mettent en œuvre les mesures de médiation et de réparation est clairement participative [4]. Alliant rapidité, proximité (terme à la mode) et moindre coût, la justice pénale ainsi menée se trouve ravivée. Le recours à la médiation permet d’éviter le classement sans suite, toujours mal perçu par la victime comme par l’opinion qui ne comprennent pas l’impunité apparente de la petite délinquance (S. Bernhard, « Approche de la mesure de médiation pénale »). Reconnue et écoutée, la victime sera moins vindicative et, de son côté, évitant la chaîne pénale classique, le délinquant pourra se montrer plus coopératif. L’étude menée confirme le surcroît de qualité que la médiation peut amener à l’œuvre de justice.

La souplesse s’exprime tout spécialement au travers des conditions du recours à la médiation, qui sont peu contraignantes pour le ministère public. Il suffit que les personnes concernées donnent leur accord à la mesure et que cette dernière paraisse apte à « assurer la réparation du dommage causé à la victime, (…) mettre fin au trouble résultant de l’infraction ou (…) contribuer au reclassement de l’auteur de l’infraction » (art. 41-1 C ; pr. pén. ; v. E. Wa Lwenga, « Le cadre légal et réglementaire de la médiation pénale »). La marge de manœuvre ainsi reconnue au parquet est importante. Elle permet d’adapter l’utilisation de la mesure à l’évolution de la politique pénale souhaitée. Le parquet de Strasbourg considère ainsi et par exemple que toute tentative de médiation est exclue en cas de délit commis sur la voie publique. De façon similaire, les violences et dégradations font aujourd’hui le plus souvent l’objet de poursuites (M. Poinsard, C. Schittenhelm, « Activité des médiateurs individuels en matière pénale »).

S’inscrivant dans le principe de l’opportunité des poursuites, le choix de la médiation est marqué par son caractère discrétionnaire. Il faut se souvenir que ce sont les parquets qui avaient pris l’initiative de privilégier de nouvelles voies de traitement de la délinquance afin de favoriser « un retour au dialogue social » (M. Wagner, « Médiation pénale et parquet »). Malgré cette naissance en marge de la loi, la pratique des parquets a permis de faire émerger des critères « souvent communs, présidant au choix de la médiation pénale », tels la gravité des faits et encore, la nécessité d’établir ou rétablir un dialogue. Cela ne signifie pas que toutes les difficultés soient levées.

Pouvoir du parquet et rôle des associations

Les difficultés rencontrées sont essentiellement relatives au contenu du rapport que le médiateur doit remettre au parquet une fois sa mission achevée, ce qui n’est pas sans lien avec la question – qu’il faut souligner en préalable - des effets de la tentative de médiation sur les poursuites ultérieures exercées contre le mis en cause.

On remarque que, juridiquement, rien n’empêcherait le Parquet de finalement déclencher des poursuites nonobstant la réussite de la médiation, ce qui peut apparaître surprenant. Mais il convient surtout de s’interroger sur les conséquences d’un échec de la médiation (cf. J. Leblois-Happe, préc. : les difficultés « ne se posent qu’en cas d’échec de la mesure. Or celui-ci est rare »), qui pourra influer négativement sur les réquisitions que le parquet sera amené à prendre : imputable à l’auteur de l’infraction, l’échec du rapprochement tenté peut conduire à demander une sanction plus importante que si les poursuites avaient été déclenchées immédiatement ; imputable à la victime, c’est elle qui risque de souffrir de la procédure ultérieure, l’appréciation du préjudice qu’elle invoque pourra être plus restrictive uniquement en raison de son attitude passée.

C’est ici que la question rejaillit sur la confidentialité que les parties peuvent attendre du médiateur dans l’établissement de son rapport. A cet égard, l’obligation au secret n’est pas opposable au parquet, auquel les médiateurs sont tenus de rendre compte de l’ensemble de leur mission dans un rapport écrit. C’est le parquet qui décide des infractions à soumettre à la procédure de médiation et du choix du médiateur ; c’est au parquet qu’il revient de conserver le contrôle de la médiation [5]. Le suivi des mesures qu’il ordonne ne saurait alors étonner. La Cour de cassation a d’ailleurs jugé, à propos d’éducateurs intervenant sur mandat judiciaire, que le secret professionnel n’était pas opposable au magistrat mandant (v. J. Leblois-Happe, préc.). Il s’ensuit que le médiateur devra indiquer dans son rapport l’origine de l’insuccès de la mesure engagée.

L’enquête menée a toutefois permis de constater des divergences de pratiques : quand certains procureurs se contentent d’un compte rendu réduit à sa plus simple expression, d’autres (et les parquets alsaciens se rangent plutôt dans cette catégorie) exigent une transparence quasi-complète du processus de médiation. On observe pour finir, qu’en Alsace comme ailleurs, les intervenants associatifs résistent mieux aux demandes de renseignements émanant du parquet que les médiateurs individuels qui sont désignés la plupart du temps personnellement par le procureur et sont presque tous des retraités de la police ou de la gendarmerie. Il ne faut en effet pas méconnaître qu’outre la voie associative, la médiation peut utilement prospérer par l’entremise de médiateurs individuels.

Les médiateurs individuels

Choisie par vocation, la fonction de médiateurs individuels est perçue par ses agents comme un instrument destiné à retisser un lien social distendu (M. Poinsard et C. Schittenhelm, préc.). La démarche suppose alors le respect de ce qui fonde la mesure, sa souplesse, l’obligation de neutralité du médiateur. Le fort pourcentage de réussite des médiateurs individuels est cependant amenuisé par le constat de la « baisse du nombre de dossiers » qui leur sont confiés.

Si de nombreuses similitudes de perception de leur mission par les médiateurs individuels locaux sont à relever, quelques divergences apparaissent sur des points précis : ainsi et par exemple, à l’issue des discussions, certains médiateurs se contentent d’orienter les parties vers une solution concertée, alors que d’autres font des propositions en laissant aux parties le choix de celle qui permettra de les rapprocher. Une autre illustration d’approche différenciée se révèle lors de la rédaction du rapport final : là où certains médiateurs préfèrent rester vagues, d’autres décrivent avec précision les raisons pour lesquelles la médiation n’a pas pu aboutir. Cette seconde attitude dénote un souci d’épauler le plus efficacement possible le procureur quant aux suites à donner à l’affaire ; mais on peut aussi y voir une volonté de peser sur sa décision à intervenir. On terminera en rappelant que les hypothèses d’échec sont tout de même assez rares, dans la mesure où le pourcentage de réussite des médiations menées par un médiateur individuel se situe entre 80 et 90% et étant précisé que la plupart des échecs sont dus au fait que l’une des parties ne s’est pas présentée à l’entretien.

S’il a été peu question dans ces développements du rôle des avocats, « conseils naturels dans toute affaire pénale », c’est parce qu’ils sont assez peu présents lors de la phase de médiation stricto sensu (S.J.F. Hauger, « Les avocats alsaciens et la médiation pénale »). Ceux interrogés expriment des craintes quant aux risques de déséquilibre de la procédure du fait des rapports existant entre les médiateurs et le parquet, mais il faut relever que, majoritairement, les avocats se montrent favorables à la mesure de médiation pénale.

Avenir des mesures analysées

Il apparaît clairement que la création d'autres alternatives aux poursuites pénales a resserré le domaine d’expansion de la médiation pénale. En revanche, la réparation-mineur connaît une évolution réelle, qu’elle doit essentiellement à son « fort encadrement » découlant du cadre éducatif de la mesure (P. Schultz, « Avenir de la mesure : un vecteur de paix sociale »). Il ne faut cependant pas négliger que si le regard se porte sur la restauration du lien social et une forme consensuelle de ré-acclimatation de l’auteur de l’infraction dans le lien social, tant la médiation pénale que la réparation-mineur, placent la victime au centre du processus. Ces mesures constituent ainsi « la seule voie raisonnable entre une décision de classement sans suite, et les poursuites pénales » (v. A. Belzung, « Avenir de la mesure : la médiation pénale est-elle utile ? »). Aussi serait-il dommage et dommageable de faire dépendre l’avenir de la médiation de la seule question de son efficacité processuelle, mesurée à l’aune de la réussite ou de l’échec de la procédure (P.-O. Demesy, « Avenir de la mesure : entre inquiétudes et certitude »).

Le résultat du travail ici présenté tend ainsi à démontrer que si le champ répressif ne constituait pas a priori un domaine d’expansion favorable à la médiation en raison de la prépotence publique en la matière, la mesure, moyen alternatif de règlement des litiges, sait répondre aux objectifs que poursuit le procès pénal.

Notes

[1] Les auteurs sont cités dans le texte, avec l’intitulé de leur contribution.

[2] Historiquement, les associations locales prenaient en charge l’enfance délinquante bien avant l’institutionnalisation de la PJJ.

[3] De 1996 à 1999 plus de 40 % des dossiers ont été traités en moins d’un mois.

[4] Pour une approche générale, v. L. Hincker, La médiation pénale : pourquoi faire ?, Cultures et sociétés, Cahiers du CEMRIC, 1998, n° 11, p. 24 ; J. Leblois-Happe, Quelles réponses à la petite délinquance ? Etude du droit répressif français sous l’éclairage comparé du droit répressif allemand, Préf. R. Koering-Joulin, 2 t., P.U. Aix-Marseille, 2002.

[5] V. J. Leblois-Happe, Quelles réponses à la petite délinquance ?, n° 1261 p. 539.