Actualité du divorce en droit commun et conventions bilatérales
par Jérémy WELTZER
Malgré l’émergence d’un droit international privé communautaire, le droit commun et les conventions bilatérales gardent leur place en droit international privé français. Le droit commun, en concurrence avec les conventions bilatérales, s’applique aussi bien lorsque le juge français est saisi d’une demande en divorce (I), que lorsqu’on lui demande d’examiner la régularité internationale d’un jugement de divorce rendu à l’étranger (II).
I.
Demande en divorce présentée devant le juge français
Lorsque le juge français est saisi d’une demande en divorce, il doit résoudre deux questions qui peuvent subir le cas échéant l’influence des conventions bilatérales que la France a conclues avec un autre Etat :
- question de sa compétence internationale directe pour savoir s’il est ou non compétent pour statuer sur la demande en divorce qui lui est soumise (A)
- question du conflit de lois qui se pose lorsqu’il se déclare compétent puisqu’il lui faudra alors déterminer quelle est la loi applicable au litige (B)
A.
Compétence internationale directe en matière de divorce
Même si le juge français doit d’abord faire application du Règlement 2201/2003 du 27 novembre 2003 dit Règlement Bruxelles II bis pour régler la question de sa compétence lorsqu’il est saisi d’une demande de divorce présentant un élément d’extranéité, le droit commun français reste applicable, cumulativement et subsidiairement avec les règles de compétence communautaires, là où le Règlement Bruxelles II bis le tolère, ainsi que vous l’a présenté M. Nord lors de son intervention précédente.
L’hypothèse dans laquelle nous
allons raisonner est la suivante : le Règlement Bruxelles II bis n’a pas
pu fonder la compétence des tribunaux français car aucun des chefs de
compétence qu’il consacre ne se réalisait en France. Nous sommes alors dans
l’hypothèse où le Règlement Bruxelles II bis renvoie aux règles de compétence
posées par le droit commun français pour fonder la compétence des tribunaux
français.
En droit commun français, la compétence des tribunaux français se détermine, depuis l’abandon définitif du principe d’incompétence des tribunaux français dans les litiges entre étrangers en 1948[1], par application des règles ordinaires de compétence internationale déterminées par extension à l’ordre international des règles internes de compétence territoriale[2], voire subsidiairement, dans l’hypothèse où aucune juridiction française n’est susceptible d’être compétente par application des règles ordinaires de compétence internationale, par le jeu des privilèges de juridiction des articles 14 et 15 du Code civil[3].
Il faut toutefois noter l’existence d’un arrêt récent qui pourrait remettre en cause cette hiérarchie des règles de compétence au niveau du droit commun français. Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 mars 2006[4] a rejeté un pourvoi dirigé contre un arrêt rendu par une cour d’appel qui avait fondé la compétence des juridictions françaises sur l’article 14 du Code civil alors que la femme avait en France, avec les enfants, une résidence stable et habituelle, ce qui permettait d’invoquer l’article 1070 NCPC pour rendre compétente les juridictions françaises. La Cour d’appel a fait prévaloir l’article 14 du Code civil sur l’article 1070 NCPC alors que la Cour de cassation avait établi une hiérarchie entre les règles ordinaires de compétence internationale et les privilèges de juridiction, estimant que ces derniers ne devaient intervenir que subsidiairement. Or, la Cour de cassation ne censure pas cet arrêt d’appel alors pourtant qu’elle aurait du le faire sur deux points :
- le premier, parce que le Règlement Bruxelles II bis semblait (mais nous n’avons pas suffisamment de précisions pour l’affirmer) pouvoir fonder la compétence des tribunaux français si l’épouse de nationalité française avait résidé en France depuis plus de six mois avant l’introduction de la demande en divorce (article 3 a) dernière hypothèse). Ce moyen aurait du être relevé d’office par la Cour de cassation en raison de la primauté du droit communautaire.
- le second, qui nous intéresse particulièrement au niveau du droit commun, parce que la Cour d’appel ne s’est pas fondée sur l’article 1070 NCPC transposé à l’ordre international, mais sur l’article 14 du Code civil pour fonder la compétence générale des tribunaux français. Elle n’a donc pas respecté la hiérarchie entre les règles ordinaires de compétence internationale et les privilèges de juridiction et s’est mise en porte à faux avec la jurisprudence « Société Cognacs and Brandies from France ».
L’attitude de la Cour de cassation est critiquable et il faut espérer qu’elle ne soit pas en train d’opérer un revirement de jurisprudence sur cette question de la hiérarchie des règles de compétence internationale françaises.
S’agissant du divorce il existe dans le NCPC un article consacré à la compétence territoriale interne : l’article 1070 NCPC. Cet article est une disposition dérogatoire à la compétence de principe de l’article 42 NCPC. Ce caractère dérogatoire se retrouve dans l’ordre international de sorte que, en droit commun français, seul l’article 1070 NCPC, transposé dans l’ordre international, peut être invoqué en tant que règle ordinaire de compétence internationale applicable en matière de divorce. Aucun autre texte du NCPC ne pourra donc être utilisé et être étendu à l’ordre international pour fonder la compétence des tribunaux français à l’occasion d’une demande en divorce.
Quid de l’existence de conventions bilatérales conclues par la France en matière de divorce qui amène la question de leur applicabilité au stade de la compétence directe. Ces conventions bilatérales dérogent-elles à l’article 1070 NCPC ? Il faut distinguer selon que la convention bilatérale en cause pose des règles de compétence directe, autrement dit des règles déterminant dans quelles situations le juge français peut être saisi d’un divorce international et faire échec à l’article 1070 NCPC ainsi qu’aux privilèges de juridiction des articles 14 et 15 du Code civil, ou bien des règles de compétence indirecte applicable uniquement au stade de la reconnaissance et de l’exécution en France des jugements étrangers de divorce pour apprécier la compétence du juge étranger qui a statué. Seules nous intéressent au stade de la compétence internationale directe les conventions bilatérales comportant des règles de compétence directe. Un développement particulier sera consacré à la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 dont la nature des règles de compétence a suscité un réel débat en jurisprudence, heureusement clos aujourd’hui par la récente prise de position de la Cour de cassation.
Les conventions bilatérales liant la France en matière de compétence directe et s’appliquant au divorce ne sont pas très nombreuses. Avec l’adoption du Règlement 1347/ 2000 du 29 mai 2000, leur nombre a encore considérablement diminué puisque dans l’article 36 §1er, le Règlement affirmait sa suprématie sur les conventions bilatérales conclues précédemment à son entrée en vigueur entre les Etats membres en les remplaçant purement et simplement dès lors qu’elle portait sur le même domaine d’application que celui couvert par le Règlement. Le Règlement 1347/2000 étant à présent abrogé par le Règlement 2201/2003, la même solution a été reprise à l’article 59 du Règlement du 27 novembre 2003, dit Bruxelles II bis. Par conséquent, la Convention franco-belge du 8 juillet 1899, la Convention franco-italienne du 3 juin 1930 et la Convention franco-polonaise du 5 avril 1967 qui avaient toutes trois un impact sur la compétence internationale directe des tribunaux français ne sont plus applicables aux procédures de divorce ou de séparation de corps. C’est désormais le Règlement 2201/2003 qui s’applique, voire subsidiairement lorsque le Règlement le tolère le droit commun français.
Il faut également signaler que la Convention franco-suisse du 15 juin 1869 a été déclarée caduque à partir du 1er janvier 1992 par échange de lettres des 6 et 14 novembre 1991[5], en raison de l’entrée en vigueur de la Convention de Lugano qui lie désormais la France et la Suisse. Cette solution paraît toutefois radicale dans la mesure où la Convention de Lugano ne s’applique pas en matière d’état et de capacité des personnes et de relations de famille, donc en matière de divorce.
Cependant, il existe encore quelques conventions bilatérales conclues avec des Etats tiers de l’Union européenne, qui prévoient des règles de compétence directe et qui continuent donc de s’appliquer aux divorces internationaux pour résoudre la question de la compétence des tribunaux français afin de connaître de la demande en divorce qui leur est soumise. Les voici :
- La Convention franco-yougoslave du 18 mai 1971[6] relative à la loi applicable et à la compétence en matière de droit des personnes et de la famille, applicable depuis le 1er décembre 1972. Malgré l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, cette Convention reste en vigueur avec la Bosnie-Herzégovine[7], d’une part, et il semblerait aussi avec la Serbie et le Monténégro, d’autre part. En revanche, la Macédoine et la Croatie n’ont pas entendu rester lié par cette convention, alors qu’elles ont exprimé le désir de rester lié par la convention du même jour portant sur la reconnaissance et l’exécution des décisions[8]. Cette Convention décidait de la compétence directe en matière de divorce dans son article 9. Selon l’article 9 §1er, compétence était donnée au tribunal du domicile actuel ou du dernier domicile des époux. Selon l’article 9 §2, les juridictions de l’Etat contractant sur le territoire duquel l’époux défendeur avait son domicile ou sa résidence habituelle au moment de l’introduction de l’instance étaient également compétentes. Enfin, selon l’article 9 §3, si les époux avaient tous deux la nationalité de l’un des Etats contractants, les juridictions de cet Etat étaient aussi compétentes.
- Les conventions de coopération judiciaire conclues avec les anciens Etats de l’Union française, devenus indépendants. Ces conventions organisent, selon des modalités diverses, des procédures simples, en particulier pour la transmission des actes et l’exécution des commissions rogatoires. Elles sont aussi applicables aux questions de divorce et de séparation de corps.
Concernant la compétence directe, le seul parmi ces traités conclus avec les Etats d’Afrique à contenir une règle de compétence directe est la Convention franco-malgache du 4 juin 1973, entrée en vigueur le 19 mars 1975. La règle de compétence directe posée par l’article 1er de l’annexe II exclut la compétence fondée sur la nationalité du demandeur, autrement dit, concernant la France, celle fondée sur l’article 14 du Code civil. Toutefois, cette exclusion ne vise que les « obligations nées d’un contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit ». Cette règle ne s’applique pas en matière d’état et de capacité des personnes et ne nous intéresse pas s’agissant de la demande en divorce stricto sensu.
La question de la nature des règles de compétence contenues dans la Convention franco-marocaine du 10 août 1981, entrée en vigueur le 13 mai 1983, a donné lieu ces dernières années à un contentieux important. La jurisprudence a en effet eu à statuer sur cette question afin de savoir si ces règles étaient des règles de compétence directe ou indirecte ?
En matière de divorce, l’article 11 de la Convention franco-marocaine comporte bien une règle de conflit de juridictions aux termes de laquelle « la dissolution du mariage peut être prononcée par les juridictions de celui des deux Etats sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun ou avaient leur dernier domicile commun.
Toutefois, au cas où les époux ont tous deux la nationalité de l'un des deux Etats, les juridictions de cet Etat peuvent être également compétentes, quel que soit le domicile des époux au moment de l'introduction de l'action judiciaire ».
Bien que plusieurs juridictions d’appel aient clairement opté pour la qualification de règles de compétence directe[9], la Cour de cassation s’est fermement prononcée récemment en faveur de la qualification de règles de compétence indirecte[10]. Cette qualification signifie que la Convention franco-marocaine ne sert pas à fonder la compétence des tribunaux français lorsqu’ils sont saisis directement d’une demande en divorce, mais seulement à contrôler si, lors de la demande de reconnaissance en France d’un divorce prononcé par un juge marocain, ce juge était bien compétent pour statuer sur la demande en divorce introduite devant sa juridiction. Par conséquent, les règles de compétence contenues dans cette convention bilatérale n’ont aucune influence sur l’article 1070 NCPC qui reste la seule règle ordinaire de compétence internationale à pouvoir être invoquée pour fonder la compétence des tribunaux français en matière de divorce.
Comment se détermine alors la compétence des tribunaux français en droit commun ?
S’agissant de la compétence générale, il faut en premier lieu invoquer l’article 1070 NCPC qui, dans sa version internationalisée, constitue l’unique règle ordinaire de compétence internationale en matière de divorce. Cet article a fait l’objet d’une réforme entreprise par les articles 3 et 4 du Décret n° 2004-1158 du 29 octobre 2004 et entrée en vigueur le 1er janvier 2005[11] qui en a modifié quelque peu la rédaction, sans pourtant remettre en cause la manière dont il était étendu à l’ordre international et les solutions concrètes auxquelles il pouvait conduire. Transposé à l’ordre international, cet article prévoit :
Dans ces trois cas, la résidence s’apprécie au jour où la requête initiale en divorce est présentée devant le juge français comme le précise l’alinéa 4 de l’article 1070 NCPC.
Attention : Ces trois chefs de compétence sont hiérarchisés en droit interne, et cette hiérarchie est impérative ce qui signifie que la volonté individuelle ne peut y déroger par une clause attributive de juridiction. Cette hiérarchisation a également été transposée dans l’ordre international par un arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 1981[12]. Cela signifie qu’on ne peut utiliser l’alinéa 2 que si le critère prévu par l’alinéa 1er n’existe pas, et ainsi de suite. Il faut utiliser les différents chefs de compétence dans l’ordre dans lequel ils sont prévus et on ne peut envisager le chef de compétence suivant que si le précédent n’existe nulle part dans le monde.
Ex : Pour pouvoir se fonder sur l’alinéa 3, et fonder la compétence des tribunaux français parce que le défendeur en divorce réside en France, il faut que les époux résident séparément, mais aussi qu’il n’existe nulle part dans le monde un lieu où réside celui des parents avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d’exercice en commun de l’autorité parentale, ou qu’il n’existe nulle part dans le monde un lieu où réside le parent qui exerce seul l’autorité parentale. Ceci se réalisera si, les époux, déjà séparés de fait ou de droit, n’ont pas eu d’enfants, ou bien, en cas d’exercice en commun de l’autorité parentale, si leurs enfants communs résident habituellement chez une tierce personne. Dans ce cas, on pourra utiliser l’alinéa 3 et donner compétence aux juridictions françaises du fait de la résidence en France du défendeur en divorce.
S’agissant maintenant de la compétence spéciale, ce qui répond à la question de savoir quel est le tribunal, sur l’ensemble du territoire français, qui est compétent pour connaître de la demande en divorce, on utilise à nouveau l’article 1070 NCPC en tant que règle interne de compétence territoriale, donc sans l’internationaliser, en tenant compte de la hiérarchie impérative des chefs de compétence qu’il pose.
Si l’article 1070 NCPC n’a pas pu fonder la compétence des tribunaux français, car aucun des chefs de compétence qu’il comporte ne se réalisait en France, il est toujours possible de recourir subsidiairement aux articles 14 et 15 du Code civil et de rendre compétent les tribunaux français en raison de la nationalité française du demandeur ou du défendeur en divorce.
A noter que le Règlement 2201/2003 étend la possibilité d’invoquer les privilèges de juridiction issus des articles 14 et 15 du Code civil puisque, aux termes de l’article 7 §2, tout ressortissant d’un Etat membre qui a sa résidence habituelle sur le territoire d’un autre Etat membre peut, comme les nationaux de cet Etat, y invoquer les règles de compétence applicables dans cet Etat contre un défendeur qui n’a pas sa résidence habituelle dans un Etat membre et qui n’a pas la nationalité d’un Etat membre.
Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la compétence spéciale se déterminera dans ce cas en raison d’un lien de rattachement de l’instance au territoire français ou, à défaut, selon les exigences d’une bonne administration de la justice[13]. Ce lien de rattachement pourra être constitué par le domicile d’un des plaideurs en France, voire par sa résidence habituelle, etc…
Si les tribunaux français s’estiment compétents pour statuer sur la demande en divorce qui leur est soumise, il va leur falloir déterminer quelle est la loi applicable à cette demande, autrement dit régler la question du conflit de lois.
B. Conflit de lois en matière de
divorce
Il y a conflit de lois chaque fois qu’il faut déterminer quelle est la règle de droit qui s’applique à une situation présentant des liens avec plusieurs pays. Cette tâche, dans un litige international, incombe au juge dès lors qu’il accepte sa compétence. Pour se faire, il va devoir choisir quelle règle de conflit il va mettre en œuvre (1). Une fois ce choix opéré, la question se pose de savoir quel est l’office du juge au stade de la mise en œuvre de la règle de conflit (2).
1. Choix de la règle de conflit
En matière de divorce il existe une règle de conflit de lois posée à l’article 309 du Code civil. En effet, sans modifier la règle de conflit de lois applicable au divorce et à la séparation de corps, l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme du droit de la filiation l’a déplacée de l’article 310 à l’article 309 du Code civil. Chaque fois que le juge français se déclare compétent il applique donc sa propre règle de conflit de lois pour déterminer quelle loi va régir le divorce des époux qui se présentent devant lui. L’article 309 du Code civil détermine la loi applicable au divorce et à la séparation de manière unilatérale : il s’agit d’une règle de conflit de lois unilatérale car elle ne prévoit que les cas dans lesquels la loi française se veut applicable et reste donc respectueuse de la souveraineté étrangère puisque si une loi étrangère venait à s’appliquer, elle ne s’appliquerait pas en dehors du champ d’application qu’elle s’assigne. L’article 309 du Code civil dispose donc que « le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi française :
- lorsque l’un et l’autre époux sont de nationalité française ;
- lorsque les époux ont, l’un et l’autre, leur domicile sur le territoire français ;
- lorsqu’aucune loi étrangère ne se reconnaît compétence, alors que les tribunaux français sont compétents pour connaître du divorce ou de la séparation de corps ».
Les deux premiers alinéas ne posent pas de problèmes : dès lors que les deux époux sont français, peu importe le lieu de leur domicile, leur divorce sera régi devant les juridictions françaises par la loi française en raison de leur nationalité commune.
De même, si les deux époux sont domiciliés en France, peu importe leur nationalité, ils se verront appliqués la loi française à leur divorce.
Enfin, pour appliquer le 3e alinéa et savoir si une loi étrangère se reconnaît compétente, il convient de consulter les règles de conflit des différents pays étrangers qui ont un lien avec la situation litigieuse. Si la règle de conflit étrangère, telle qu’appliquée par le juge étranger en question, désigne sa propre loi, cela veut dire que la loi étrangère se reconnaît compétente et le juge français doit alors appliquer cette loi étrangère.
Cette méthode peut conduire à l’hypothèse du cumul = plusieurs règles de conflit étrangères désignent leur propre loi et donc plusieurs lois étrangères revendiquent leur compétence pour régir le divorce. Cette hypothèse ne s’est pour l’instant jamais rencontrée en jurisprudence. Mais, si elle devait se présenter, il faut recommander aux avocats de choisir la loi qui a le plus de titre à s’appliquer au divorce en ayant recours pour cela au principe de l’effectivité. Mais, l’application de l’article 309 alinéa 3 peut aussi conduire à l’hypothèse de la lacune : parmi toutes les règles de conflit étrangères consultées, aucune ne désigne sa propre loi, donc aucune loi étrangère ne se prétend compétente pour régir le divorce. Dans ce cas, l’article 309 alinéa 3 du Code civil enjoint d’en revenir à l’application de la loi française en vertu de sa vocation générale subsidiaire.
Cependant, dès lors qu’il existe une convention bilatérale prévoyant une règle de conflit de lois, celle-ci l’emporte sur la règle de conflit de lois française issue de l’article 309 du Code civil[14]. Il existe en matière de divorce trois conventions bilatérales qui posent chacune une règle de conflit de lois primant, dans les relations entre l’Etat concerné et la France, sur l’article 309 du Code civil :
· la Convention franco-polonaise signée à Varsovie le 5 avril 1967, relative à la loi applicable, la compétence et l’exequatur dans le droit des personnes et de la famille, est en vigueur depuis le 1er mars 1969. Selon son article 8, le divorce ou la séparation de corps est régi par la loi nationale commune des époux, ou, en cas de nationalités différentes, par la loi de l’Etat contractant sur lequel est fixé le domicile des époux, ou sur lequel a été fixé le dernier domicile des époux.
· la Convention franco-yougoslave du 18 mai 1971, relative à la loi applicable et à la compétence en matière de droit des personnes et de la famille qui, comme on l’a déjà précisé, reste en vigueur avec la Bosnie-Herzégovine[15], d’une part, et semblerait le rester avec la Serbie et le Monténégro, d’autre part. L’article 8 de cette Convention prévoit que le divorce est régi par la loi nationale commune ; à défaut de nationalité commune, par la loi du domicile commun ou du dernier domicile commun.
· la Convention franco-marocaine du 10 août 1981, relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire, entrée en vigueur le 13 mai 1983, contient dans son article 9 une règle de conflit de lois applicable à la dissolution du mariage : la loi compétente est la loi nationale commune et, à défaut, la loi du domicile commun ou du dernier domicile commun dans l’un des deux pays signataires.
Ces trois conventions neutralisent alors l’article 309 du Code civil en permettant à des ménages polonais, yougoslaves ou marocains, domiciliés en France, de se voir appliquer leur loi nationale, plutôt que la loi française de leur domicile commun désignée par la règle de conflit de lois française dans l’article 309 alinéa 2.
La règle de conflit de lois française contenue dans l’article 309 du Code civil ne s’appliquera donc que s’il n’existe aucune règle de conflit de lois d’origine conventionnelle.
Il faut cependant noter que la Commission européenne souhaite que soit prochainement adopté un règlement communautaire sur la loi applicable au divorce[16] dont on se demande déjà s’il doit concerner seulement les relations intracommunautaires ou s’étendre à toute relation internationale. Ce règlement pourrait alors sonner le glas de l’article 309 en cas d’application à toute relation internationale puisque la règle de conflit d’origine communautaire deviendrait l’unique règle de conflit de lois que le juge français devrait appliquer en matière de divorce. Il resterait alors à savoir ce que deviendrait les règles de conflit de lois posées dans les conventions bilatérales, surtout celles qui unissent la France à des Etats tiers de l’Union européenne. En effet, il est certain que la Convention franco-polonaise serait remplacée par ce Règlement. Cette évolution est donc à suivre de près.
Une fois que le juge a opéré son choix entre les règles de conflit de lois d’origine conventionnelle ou la règle de conflit de lois française en matière de divorce, il ne lui reste plus qu’à l’appliquer, ce qui pose la question de savoir quel est l’office du juge au stade de la mise en œuvre de la règle de conflit de lois.
2. Office du juge au stade de la mise en
œuvre de la règle de conflit de lois
La question de l’office du juge au stade de la mise en œuvre de la règle de conflit recoupe en réalité deux problèmes :
- celui de savoir si le juge français doit mettre en œuvre, au besoin d’office, la règle de conflit de lois en matière de divorce (a)
- celui de savoir quel est son rôle dans la recherche de la teneur de la loi étrangère déclarée compétente par la règle de conflit de lois qu’il a appliquée (b)
a. S’agissant de savoir si le juge français doit appliquer ou non d’office la règle de conflit de lois en matière de divorce, la réponse réside dans la distinction faite depuis 1999[17] par la Cour de cassation selon que les parties ont ou non la libre disposition de leurs droits dans la situation litigieuse en cause. Lorsque les parties ont la libre disposition de leurs droits, le juge n’est pas obligé de mettre en œuvre la règle de conflit sauf si une partie le lui demande. En revanche, s’agissant de droits indisponibles, le juge doit, au besoin d’office, faire application de la règle de conflit de lois. Bien sûr, dans ces deux cas, il faut que l’élément d’extranéité soit porté à la connaissance du juge, faute de quoi, on ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir soulevé le conflit de lois. Les pièces de la procédure doivent donc mettre en évidence l’élément d’extranéité et le caractère international du litige.
Le divorce est une matière dans laquelle les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits. Par conséquent, en application de cette jurisprudence bien établie depuis quelques années, le juge français doit mettre en œuvre la règle de conflit de lois que celle-ci soit d’origine conventionnelle ou nationale. Cette solution a été récemment rappelée par la Cour de cassation de manière très ferme dans un arrêt du 7 juin 2006[18]. Dans cette affaire, les juges du fond avaient prononcé le divorce pour faute sur le fondement de l’article 242 du Code civil d’un couple de nationalité marocaine. Le mari, mécontent de cette décision, se pourvoit en cassation au motif que la loi marocaine, loi de la nationalité commune des deux époux, était applicable à leur divorce en vertu des dispositions de l’article 9 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 dont la règle de conflit de lois aurait du être appliquée d’office par les juges du fond. Logiquement la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel puisque selon l’article 3 du Code civil, « il incombe au juge français, pour les droits indisponibles, de mettre en œuvre la règle de conflit de lois et d’appliquer le droit étranger désigné ».
Peu importe ici que les époux, ignorant la compétence d’une loi étrangère pour régir leur divorce ou souhaitant simplement l’occulter, plaident exclusivement sur la base du droit français du divorce. Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 juin 2006[19] le rappelle clairement. Dans cette affaire, proche de celle du 7 juin 2006, la Cour d’appel de Rennes a prononcé le divorce pour faute aux torts partagés de deux époux marocains accueillant à la fois la demande principale en divorce pour faute engagée par le mari sur le fondement de l’article 242 du Code civil et la demande reconventionnelle formée par sa femme sur le même fondement. Elle a alloué une prestation compensatoire à l’épouse. Le mari, désireux de ne pas payer une prestation compensatoire à sa femme, forme un pourvoi en cassation en reprochant à la Cour d’appel de Rennes de ne pas avoir appliqué d’office la loi marocaine compétente en vertu des dispositions de l’article 9 de la Convention franco-marocaine. Bien que l’épouse ait soutenu l’irrecevabilité du moyen en opposant les principes de loyauté des débats et d’estoppel, son mari ayant en toute connaissance de cause décidé de fonder son action sur le droit français, l’arrêt est logiquement censuré par la Cour de cassation car « il incombe au juge français, s’agissant de droit dont les parties n’ont pas la libre disposition, de mettre en œuvre, même d’office, la règle de conflit de lois ».
Il est donc nécessaire que le juge français soit particulièrement vigilant lorsque des éléments d’extranéité apparaissent dans la procédure et semblent rattacher le divorce à un droit étranger. Il s’agira de la nationalité ou du domicile d’un des époux, mentions qui doivent figurer – tantôt à peine d’irrecevabilité, tantôt à peine de nullité – dans les actes de la procédure de divorce. Il est donc de la responsabilité du juge français de soulever d’office l’application de la loi étrangère dès lors qu’elle ressort des pièces de la procédure alors même que les parties ne l’ont pas invoquée. La tentation à laquelle les juges du fond cèdent parfois d’appliquer la loi française lorsque les parties ne protestent pas, alors qu’elle n’est sans doute pas applicable, est regrettable et doit disparaître.
Quant aux avocats, leur responsabilité est également importante. Même si l’application de la loi étrangère est moins favorable à leur client, il est nécessaire de la soulever, quitte à invoquer l’exception d’ordre public international pour tempérer ses effets ; sinon la cassation est garantie.
b. S’agissant de la recherche de la teneur de la loi étrangère, puisque le juge français doit appliquer, au besoin d’office, la règle de conflit de lois, il lui incombe de rechercher la teneur du droit étranger applicable au litige. Toutefois, le juge français peut inviter les époux à l’aider dans la recherche de la teneur du droit étranger applicable à leur divorce. La Cour de cassation l’a rappelé dans les deux arrêts précédemment cités des 7 juin et 20 juin 2006 en précisant qu’ « il incombe au juge français […] de rechercher, au besoin avec le concours des parties, la teneur du droit étranger applicable ». Il ne pourra renoncer à cette recherche qu’en cas d’impossibilité d’obtenir les éléments dont il a besoin et en revenir ainsi à l’application de la loi du for en vertu de sa vocation générale subsidiaire[20].
Une fois la règle de conflit choisie et appliquée, au besoin d’office, par le juge français, ce dernier doit faire application du droit désigné par la règle de conflit de lois.
S’il s’agit de la loi française, aucun problème ne se pose, le juge français ayant une parfaite connaissance de sa propre loi.
En revanche, si elle désigne une loi étrangère, le juge va devoir rechercher la teneur du droit étranger en sollicitant le cas échéant le concours des parties. Une fois cette recherche terminée, il devra appliquer le droit étranger au litige pour le résoudre concrètement. C’est à ce stade qu’intervient la confrontation du contenu de la loi étrangère désignée par la règle de conflit de lois aux exigences de l’ordre public international français. C’est à ce stade donc que les avocats pourront espérer trouver une faille dans la loi étrangère qui la rend incompatible avec nos conceptions fondamentales pour en revenir à l’application de la loi française en raison de l’éviction de la loi étrangère contraire à l’ordre public international français et de la substitution de la loi du for en vertu de sa vocation générale subsidiaire.
Quelle est alors la part d’initiative du juge dans le déclenchement de l’exception d’ordre public ? S’agissant de droits indisponibles, comme c’est le cas en matière de divorce, la Cour de cassation a décidé qu’ « il incombe au juge français de mettre en œuvre même d’office, la règle de conflit de lois, de rechercher la teneur du droit étranger et de l’appliquer sous réserve qu’il ne soit pas contraire à l’ordre public international français »[21]. Le juge français a donc l’obligation de vérifier si le droit étranger est conforme à la conception française de l’ordre public international avant d’en faire application concrètement au divorce qui lui est soumis.
Cette obligation vaut tant pour la règle de conflit de lois française issue de l’article 309 du Code civil que pour une règle de conflit d’origine conventionnelle. Même si le juge a fait application d’une règle de conflit contenue dans un traité international, il devra obligatoirement vérifier la compatibilité du droit étranger désigné par cette dernière avec l’ordre public international français, même si la convention ne prévoit pas expressément la réserve de l’ordre public, ce qui est par ex. le cas de la Convention franco-polonaise du 5 avril 1967. Il est totalement inconcevable de laisser jouer en France, dans le silence d’une convention, une loi contraire à l’ordre public international français.
Pour prendre des exemples récents de contrariété d’une loi étrangère à la conception française de l’ordre public international français, arrêtons nous sur la loi marocaine dont les juges français doivent fréquemment faire application et qui a subi récemment une importante réforme. La Convention franco-marocaine édicte, comme on l’a vu, une règle de conflit de lois qui prime sur l’article 309 du Code civil. Le juge français, lorsqu’il est saisi du divorce d’époux de nationalité marocaine ou franco-marocaine doit donc faire application de cette règle de conflit conventionnelle. Si le droit marocain est désigné comme applicable, soit que les deux époux sont de nationalité marocaine, soit qu’ils aient leur domicile commun ou leur dernier domicile commun au Maroc, le juge français devra rechercher la teneur du droit marocain, en sollicitant l’aide des parties éventuellement. Mais avant d’en faire une application au divorce qui se présente devant lui, le juge français devra vérifier d’office sa compatibilité avec l’ordre public français, réserve expressément formulée par l’article 4 de la Convention franco-marocaine. La récente réforme du droit de la famille marocain entrée en vigueur le 5 février 2005 ne le rend pas forcément exempt de toute contrariété à l’ordre public français, même si on devrait aboutir à un usage plus modéré de l’exception d’ordre public à l’encontre de la loi marocaine.
La Cour d’appel de Paris a récemment fait application à plusieurs reprises du nouveau Code de la famille marocain sans pour autant considérer la loi marocaine contraire aux valeurs fondamentales protégées par l’ordre public international français :
En effet, une loi étrangère qui ne connaît pas la séparation de corps mais offre aux époux d’autres moyens de mettre fin au mariage n’est pas contraire à la conception française de l’ordre public[23].
De même, la loi marocaine qui ne permet pas au mari d’invoquer le divorce pour faute n’est pas contraire à la conception française de l’ordre public car il existe pour lui d’autres moyens pour mettre fin à son union (répudiation, divorce pour raison de discorde (art. 94 et s. Code de la famille marocain), divorce par consentement mutuel (art. 114 Code de la famille marocain)). La Cour d’appel de Paris n’adhère donc pas à la notion abstraite du principe d’égalité entre époux tel que posé notamment par l’article 5 du protocole n° 7 de la CEDH, et semble s’accommoder du principe admis en droit marocain d’un accès différent à la dissolution du lien conjugal pour les hommes et pour les femmes. Même si la répudiation unilatérale ouverte au mari ne pourra toujours pas être prononcée en France parce que contraire à l’ordre public international, le mari dispose de deux causes de divorce pour mettre fin à son mariage pouvant être invoquées devant le juge français, ce qui rend la loi marocaine conforme à l’ordre public français et interdit de prononcer le divorce pour faute du droit français à la demande du mari par substitution de la loi française.
La Cour d’appel de Paris restaure, avec cette jurisprudence, une certaine effectivité de la Convention franco-marocaine puisqu’elle prononce des divorces qui devraient être reconnus au Maroc. Elle renoue ainsi avec l’objectif de coordination des systèmes marocain et français poursuivi par la Convention et encourage le choix marocain d’une législation plus respectueuse de la femme musulmane.
Un arrêt très récent de la Cour de cassation en date du 28 novembre 2006 paraît encourager la voie dans laquelle s’est orientée la Cour d’appel de Paris. Le pourvoi étant dirigé contre un arrêt de la Cour d’appel de Douai du 18 septembre 2003 qui avait statué sous l’empire de l’ancien Code de la famille marocain ne prévoyant pas d’allocation suffisante à la femme après divorce, la Cour de cassation, à l’instar de la cour d’appel, a très logiquement considéré la loi marocaine comme contraire à l’ordre public international français. A cet égard, la Cour de cassation affirme que « la loi marocaine, alors applicable, ne permettait pas d’allouer à l’épouse une allocation suffisante après divorce ». Ce sont les termes « alors applicable » qui attire notre attention : certes la Cour de cassation devait vérifier la bonne application du droit étranger par les juges d’appel au moment où ils ont statué, c’est le fameux principe de l’actualité de l’ordre public, mais lorsque la Cour de cassation a rendu sa décision le nouveau Code de la famille marocain était déjà entré en vigueur (5 février 2004), de sorte que la contrariété à l’ordre public de la loi marocaine « alors applicable » laisse raisonnablement penser que la Cour de cassation estime que cette loi n’est plus aujourd’hui contraire à l’ordre public international français. La référence à la loi marocaine « alors applicable » peut être lue comme une mise en garde de la Cour de cassation aux praticiens du droit. Ce serait là une façon d’annoncer indirectement une évolution possible de sa jurisprudence au regard du nouveau Code de la famille marocain.
Une chose reste sure : le divorce répudiation imposé à la femme par le mari et prévu aux articles 78 à 82 du nouveau Code de la famille marocain reste contraire à la conception française de l’ordre public en dépit des améliorations procédurales que le nouveau code a mises en place pour protéger les épouses et faire réfléchir les maris, en raison notamment du fait que le juge ne peut pas refuser au mari l’autorisation de répudier sa femme ce qui reste contraire au principe d’égalité qui devra être opposé à un tel divorce. C’est pourquoi, de tels divorces obtenus à l’étranger sont régulièrement privés d’effet en France, ce qui nous allons voir en abordant la question de la régularité des jugements étrangers de divorce en France.
II.
Régularité des jugements étrangers de divorce en France
Parmi les jugements de divorce étrangers, ceux qui posent le plus de problèmes à la jurisprudence française sont les jugements de répudiations obtenus dans les pays du Maghreb à la demande du mari, très souvent pour s’opposer à une procédure en contribution aux charges du mariage ou à une procédure en divorce intentée par la femme en France. Ces jugements, émanant d’Etats tiers à l’Union européenne sont soumis aux conditions de reconnaissance fixées par le droit commun français. Ces conditions, initialement fixées par la jurisprudence Munzer-Bachir[25], sont aujourd’hui au nombre de trois. En effet, un arrêt très récent du 20 février 2007, d’une importance considérable puisqu’il abandonne définitivement le contrôle de la loi appliquée au fond, fixe expressément ces trois conditions en décidant que « pour accorder l'exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et l'absence de fraude à la loi »[26].
Parmi ces conditions, deux conditions qui sont particulièrement au cœur de l’actualité jurisprudentielle :
- la compétence du juge étranger qui a rendu le jugement de divorce (A)
la conformité à l’ordre public international français (B)
A.
La condition relative à la compétence du juge étranger qui a rendu le jugement
de divorce
Sur la compétence du juge étranger, la Cour de cassation affirme de manière régulière « que toutes les fois que la règle française de solutions des conflits de juridictions n’attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent, si le litige se rattache d’une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n’a pas été frauduleux »[27]. Il ressort de cette formulation, désormais classique, que le raisonnement du juge français se décompose en trois étapes pour apprécier la compétence du juge étranger :
- l’absence de compétence exclusive de la juridiction française (1)
- l’existence d’un lien caractérisé entre le litige et l’Etat dont juridiction a été saisie (2)
- l’absence de toute fraude dans le choix de la juridiction étrangère (3)
1. L’absence de compétence exclusive de la
juridiction française
S’agissant d’analyser la compétence du juge étranger, la première question a se poser est de savoir s’il n’existe pas une compétence exclusive des tribunaux français qui exclue donc la compétence de tout autre tribunal étranger.
Même si dans un arrêt du 17 février 2004[28], la Cour de cassation avait paru faire de l’article 1070 NCPC un chef de compétence exclusif des tribunaux français qui excluait la compétence de tout autre tribunal dans le monde pour statuer sur une demande en divorce dès lors que l’art. 1070 permettait de fonder la compétence des tribunaux français, la Haute juridiction est revenue à une jurisprudence plus orthodoxe dans un arrêt du 10 mai 2006 dont nous allons reparler[29]. Désormais, il est acquis que l’article 1070 NCPC ne constitue pas un chef de compétence exclusif et dès lors qu’il aurait permis de fonder la compétence des tribunaux français s’ils avaient été directement saisis de l’action, cela ne constitue plus un motif de non-reconnaissance de la décision étrangère de divorce. Il faudra alors analyser le lien caractérisé entre le litige et le pays dont la juridiction a été saisie.
Restait alors un autre chef de compétence exclusif très controversé en doctrine : la nationalité française de l’époux assigné en divorce à l’étranger. En effet, selon une jurisprudence séculaire, la Cour de cassation considérait que l’article 15 du Code civil offrait une compétence indirecte exclusive au défendeur de nationalité française qui n’avait pas renoncé de manière certaine à son privilège de juridiction devant la juridiction étrangère et donnait ainsi la possibilité de s’opposer à la reconnaissance en France d’une décision étrangère. Cette solution s’appliquait naturellement à la matière du divorce. Opérant un revirement de jurisprudence remarqué, la Cour de cassation a affirmé que « l’article 15 du Code civil ne consacre qu’une compétence facultative de la juridiction française, impropre à exclure la compétence indirecte d’un tribunal étranger, dès lors que le litige se rattache de manière caractérisée à l’Etat dont la juridiction a été saisie et que le choix de cette juridiction n’est pas frauduleux »[30].
Il en résulte qu’en matière de divorce, la règle de conflit de juridictions n’attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français même lorsque l’un des époux est français, ce qui oblige systématiquement le juge à analyser la nature du lien qui unit le litige à l’Etat dont la juridiction a été saisie pour conclure s’il est ou non caractérisé.
2. L’existence d’un lien caractérisé entre le
litige et l’Etat dont la juridiction a été saisie
Le juge étranger ne peut être compétent que s’il existe un lien caractérisé entre le litige et l’Etat dont relève sa juridiction. L’appréciation de ce lien caractérisé se fait au cas par cas. Pourtant, la Cour de cassation a paru institué une sorte de hiérarchie entre les différents rattachements qui peuvent exister.
Dans un arrêt du 17 février 2004, déjà étudié précédemment, la Cour de cassation a estimé que la nationalité algérienne commune des deux époux ne suffisait pas à rattacher le litige de manière caractérisée à l’Algérie dès lors qu’ils étaient tous deux domiciliés sur le territoire français. Par cet arrêt, elle instituait une hiérarchie entre le domicile commun en France et la nationalité étrangère commune, préférant dénier compétence au juge étranger dès lors que le lien avec le territoire français était suffisamment fort. L’arrêt n’était pas pour autant contraire à la Convention franco-algérienne étant donné que cette dernière se contente de prévoir que la compétence du juge étranger s’apprécie selon les règles de compétence indirecte en vigueur dans l’Etat requis (article 1er a)). Cette position était cependant critiquable car il n’y avait rien de choquant à ce qu’un juge algérien se prononce sur le divorce de deux époux de nationalité algérienne. C’est pourquoi, la Cour de cassation est revenue sur sa jurisprudence récemment dans un arrêt du 10 mai 2006, précédemment cité. Faits : Les deux époux étaient de nationalité algérienne et étaient domiciliés en France. La juridiction algérienne avait rendu un jugement de divorce, en réalité de répudiation, que le mari invoquait en France pour faire échec à la demande de séparation de corps intentée par l’épouse devant les juridictions françaises. La Cour de cassation approuve la Cour d’appel de Grenoble d’avoir considéré que les juridictions algériennes étaient compétentes pour statuer sur le divorce des deux époux, estimant que l’action en divorce engagée par le mari en Algérie présentait un lien caractérisé avec la juridiction algérienne du fait de la nationalité algérienne commune.
Cet arrêt a été confirmé par un arrêt du 20 septembre 2006 dans une affaire tout à fait similaire[31].
Désormais, la Cour de cassation est revenue à une appréciation du lien caractérisé au cas par cas sans aucune hiérarchie entre les différents chefs de compétence. Le juge étranger de la nationalité commune ou du domicile commun serait à ce titre parfaitement compétent pour statuer sur un divorce, l’exigence du lien caractérisé entre le litige et le juge étranger étant parfaitement remplie dans ces hypothèses.
Ce que confirme la règle de compétence indirecte posée par l’article 11 de la Convention franco-marocaine que le juge français requis utilise pour apprécier la compétence du juge marocain lorsqu’un jugement de divorce ou de répudiation marocain est invoqué devant lui. Cet article prévoit que la dissolution du mariage peut être prononcée par les juridictions de celui des deux Etats sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun ou avaient leur dernier domicile commun, mais aussi par les juridictions de l’Etat dont les époux ont tous les deux la nationalité, quel que soit le domicile des époux au moment de l’introduction de l’instance en divorce. Pour un ex : Cass. Civ. 1ère, 14 mars 2006[32] : une femme marocaine était mariée à un Français. Ils étaient domiciliés en France. Le mari avait répudié sa femme au Maroc. La femme intente devant les juridictions françaises une action en contribution aux charges du mariage. Pour faire échec à cette demande, le mari invoque de manière incidente le jugement de répudiation obtenu au Maroc. Le TGI et la Cour d’appel de Paris avait refusé effet en France au jugement de répudiation marocain estimant que le juge marocain n’était pas compétent pour statuer sur la dissolution du lien matrimonial de ces deux époux car ce n’était ni le juge de la nationalité commune, ni le juge du domicile commun. La Cour de cassation rejette le pourvoi du mari et approuve les juges du fond.
Du moment que le litige se rattache de manière caractérisée à l’Etat dont la juridiction a été saisie, le juge étranger est compétent, encore faut-il, pour que le divorce étranger soit reconnu en France, que la juridiction étrangère n’ait pas été saisie frauduleusement.
3. L’absence de toute fraude dans le choix de
la juridiction étrangère
Le juge français ne recherchera le possible caractère frauduleux du choix de la juridiction étrangère que s’il conclut que le juge étranger était bien compétent pour statuer sur la demande en divorce intentée devant la juridiction étrangère en raison d’un lien caractérisé entre le litige et cette dernière.
Mais, dès lors que le juge français conclut à la compétence du juge étranger, le juge français doit rechercher si le choix de la juridiction étrangère qui a prononcé le divorce n’était pas frauduleux. Il s’agit donc d’une obligation pour lui. En témoigne un récent arrêt de la Cour de cassation du 17 janvier 2006[33] dans lequel la Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas avoir recherché « si le choix de la juridiction n’avait pas été fait, de manière frauduleuse, pour échapper aux conséquences d’un jugement français ». Les deux époux possédaient dans cette affaire la nationalité algérienne et étaient domiciliés en France. Le mari ayant quitté le domicile conjugal, la femme avait intenté devant la juridiction française une action en contribution aux charges du mariage. Le mari avait, peu après, saisi la juridiction algérienne afin de répudier sa femme. Il invoquait ensuite le jugement de répudiation obtenu en Algérie devant les juridictions françaises pour faire échec à la procédure intentée par sa femme. Il y a fraude au jugement car la juridiction étrangère a été saisie postérieurement à la juridiction française.
A partir du moment où la fraude est prouvée, ce qui est le plus difficile à faire, la décision de divorce ne sera pas reconnue en France car la compétence du juge étranger, a priori incontestable en raison du lien caractérisé existant entre le litige et l’Etat dont la juridiction a été saisie, est entachée de fraude.
Ex. de fraude au jugement : Cass. Civ. 1ère, 28 mars 2006[34] : comme avant les deux époux sont de nationalité algérienne mais domiciliés en France. La femme intente une procédure en divorce en France. Elle avait déposé, en France, sa requête en divorce le 27 mai 1997 et assigné son époux le 25 novembre 1997. Le mari avait saisi la juridiction algérienne afin de répudier son épouse le 30 novembre 1997. La Cour de cassation relève que « la chronologie des procédures démontrait que M. K. avait délibérément choisi la juridiction algérienne postérieurement à la procédure engagée en France par Mme B. pour échapper aux conséquences financières du divorce prononcé en France » ce qui démontrait que le choix de la juridiction algérienne avait été frauduleux de sorte que cette juridiction ne pouvait pas être considérée comme internationalement compétente.
En revanche si le juge étranger était bien compétent pour rendre le jugement de divorce dont un époux demande la reconnaissance en France et que la saisine de la juridiction étrangère n’était pas frauduleuse, le jugement étranger ne peut pas être attaqué sur cette condition. Ainsi, le fait pour le mari de retourner dans son pays d’origine pour y dissoudre son mariage selon sa loi nationale, alors qu’aucune procédure n’a débuté en France, n’est pas constitutif en soi d’une fraude[35]. Les avocats peuvent toujours se baser sur la condition de conformité à l’ordre public international français pour espérer faire échec à la reconnaissance du jugement de divorce étranger en France.
B.
La conformité à l’ordre public international français
Le juge français contrôle systématiquement la conformité de la décision étrangère de divorce à l’ordre public international français, même si, une convention bilatérale en matière de reconnaissance et d’exécution doit s’appliquer et qu’elle ne réserve pas la conformité de la décision à l’ordre public de l’Etat requis de manière expresse. Par ex, la Convention franco-algérienne prévoit expressément la conformité à l’ordre public dans son article 1er d). La Convention franco-marocaine édicte le respect de cette condition dans son article 13.
Le respect des exigences de l’ordre public international français recouvre deux hypothèses en réalité :
- le respect des exigences de l’ordre public procédural (1)
- le respect des exigences de l’ordre public substantiel (2)
1. Le respect des exigences de l’ordre public
procédural
C’est l’arrêt Bachir du 4 octobre 1967 qui a intégré l’ordre public procédural dans la condition de conformité de la décision étrangère à l’ordre public du for, en exigeant que le contrôle de la régularité de la procédure suivie à l’étranger se fasse exclusivement par rapport « à l’ordre public international français et au respect des droits de la défense ».
Il s’agit de confronter la procédure concrète qui a été menée à l’étranger aux exigences de l’ordre public français, non d’apprécier la conformité abstraite des lois étrangères de procédure avec l’ordre public. A ce titre l’article 6 de la CEDH qui est aujourd’hui intégrée dans la conception française de l’ordre public international français doit être respecté dans toute sa rigueur. Les droits fondamentaux de la défense ne doivent pas être bafoués, notamment le respect du principe du contradictoire, le droit à un procès équitable, droit d’accès effectif à un tribunal… Sur le plan procédural, il incombe donc au juge français de vérifier que la procédure suivie à l’étranger a été loyale et qu’elle a permis à l’époux défendeur d’être informé de l’existence du procès, d’y comparaître, de faire valoir ses prétentions et ses moyens de défense.
D’application générale, ce principe du respect des exigences de l’ordre public procédural s’oppose notamment à la reconnaissance en France d’une décision étrangère de divorce dès lors que l’épouse n’a pas été légalement citée ou représentée à la procédure ou déclarée défaillante selon la loi de l’Etat où la décision a été rendue[36]. Cette condition est d’ailleurs expressément formulée par l’article 1er b) de la Convention franco-algérienne.
Ex. : Cass. Civ. 1ère, 7 juin 2006, préc. note 35 : violation du principe du contradictoire car l’épouse n’a pas été appelée à la procédure.
Si le jugement de divorce étranger ou de répudiation a respecté les exigences de l’ordre public procédural, la seule chance d’obtenir la non-reconnaissance de la décision en France repose sur la contrariété de celle-ci à l’ordre public substantiel.
2. Le respect des exigences de l’ordre public
substantiel
S’agissant du respect de l’ordre public substantiel au stade de l’efficacité en France des jugements étrangers de divorce, la traditionnelle diptyque entre l’effet plein de l’ordre public et l’effet atténué de l’ordre public, selon que le lieu de naissance du rapport juridique se trouve en France ou à l’étranger, a laissé la place à un nouvel ordre public dont les exigences varient selon les liens qu’entretient la situation litigieuse avec le territoire français. Cet ordre public, combinant le principe de proximité avec les conceptions fondamentales de l’ordre public international français porte le nom d’ordre public de proximité. Il est aujourd’hui utilisé par la Cour de cassation pour conditionner l’accueil des jugements étrangers de divorce en France, et plus particulièrement des répudiations musulmanes prononcées notamment au Maroc ou en Algérie qui sont régulièrement soumises à l’examen de la Cour de cassation.
L’ordre public de proximité fait varier les exigences de l’ordre public en fonction de la proximité que présente le litige avec le territoire français. Plus les liens avec le territoire français sont forts, plus l’ordre public se fait exigeant quant à la reconnaissance en France d’un jugement de répudiation. En revanche, si les liens qu’entretient le litige avec le territoire français sont ténus, les exigences de l’ordre public sont moindres et la répudiation pourra produire effet en France.
S’agissant des répudiations, quand bien même elles résulteraient d’une procédure loyale et contradictoire, leur reconnaissance en France est refusée au nom du principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage reconnu par l’art. 5 du protocole du 22 novembre 1984, n° 7 additionnel à la CEDH qui est intégré aujourd’hui, comme les autres droits fondamentaux reconnus par la CEDH, parmi les exigences de l’ordre public international français, dès lors que la proximité entre le litige et le territoire français est suffisamment établie. La Cour de cassation a été claire sur ce point : elle déclare en effet dans un des arrêts du 17 février 2004 que la répudiation « était contraire au principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage reconnu par l’article 5 du protocole du 22 novembre 1984, n° 7, additionnel à la CEDH, que la France s’est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction, et donc à l’ordre public international […], dès lors que, comme en l’espèce, les deux époux étaient domiciliés sur le territoire français »[37]. Et le principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage par répudiation est toujours transgressé car la répudiation est un acte inégalitaire en soi puisqu’elle est abandonnée à la discrétion du mari qui en a l’initiative exclusive. Le juge n’est en fait qu’une simple « chambre d’enregistrement » qui doit prononcer la répudiation dès lors qu’elle est demandée par le mari, même en appel. Il est totalement indifférent à cet égard que le juge étranger ait accordé à la femme une compensation financière réelle et sérieuse. Initiée par 5 arrêts du 17 février 2004[38], cette solution nouvelle a le mérite de la clarté et de la logique. Elle a été réitérée récemment par un arrêt du 20 septembre 2006[39] selon lequel la décision d’une juridiction étrangère constatant une répudiation unilatérale du mari sans donner effet à l’opposition de la femme et en privant l’autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d’aménager les conséquences financières de cette rupture est contraire à l’article 5 du protocole du 22 novembre 1984, n° 7 additionnel à la CEDH dès lors que les parties sont domiciliées en France. La Cour de cassation fait donc prévaloir, au moyen de l’ordre public de proximité, la CEDH sur toute convention bilatérale qui lui serait contraire.
Refuser effet en France à une répudiation lorsque la situation litigieuse présente un lien avec le territoire français est raisonnable en raison de la CEDH que la France s’est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction. Les liens qui unissent le litige au territoire français ont pour conséquence de rattacher ce litige à la sphère européenne des droits de l’homme, ce qui justifie l’utilisation par la Cour de cassation du visa de l’article 5 du protocole du 22 novembre 2004, n° 7 additionnel à la CEDH.
En revanche, dès lors que les liens qu’entretient le litige avec le territoire français sont ténus, la répudiation a été prononcée devant une autorité étrangère qui n’avait pas à respecter la CEDH, ce qui justifie la mise à l’écart des exigences de l’ordre public français, et autorise la reconnaissance de la décision étrangère de répudiation en France afin de respecter les droits acquis par les parties sans fraude en un lieu où l’ordre public français ne pouvait pas déployer ses effets et donc s’y opposer.
La confirmation de la jurisprudence de la Cour de cassation du 17 février 2004 se trouve amplifiée par un arrêt de la CourEDH du 8 novembre 2005[40]. En l’espèce, la requérante, ressortissante algérienne, avait été répudiée « conformément à la volonté exclusive du mari » par un jugement rendu le 16 mai 1994 par une juridiction algérienne. Cette décision obtint exequatur en France, devant le TGI de Valenciennes, au motif que « le caractère unilatéral et les effets liés à cette répudiation se trouvent atténués et tempérés dès lors qu’ont été respectés un certain nombre de garanties pécuniaires et droits au profit de la femme ». Cette décision d’exequatur fut confirmée en appel et en cassation. C’est à l’issu de l’épuisement des voies de recours internes que l’épouse répudiée se tourna vers la CourEDH le 18 décembre 2001.
Bien que constituant un arrêt de radiation, radiation demandée par la requérante elle-même, cette décision permet à la Cour strasbourgeoise « de noter l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation française […] et notamment les arrêts rendus le 17 février 2004 qui sont manifestement d’une grande importance ».
La CourEDH approuve donc la Cour de cassation française de respecter les principes affirmés par la CEDH sur toutes conventions bilatérales éventuellement contraires, tout en faisant varier les exigences de l’ordre public français auquel ces principes sont intégrés en fonction de la proximité que la situation litigieuse entretient avec le territoire français. Cela conduit à se demander quels points d’ancrage la répudiation doit présenter avec le territoire français pour qu’elle donne prise à l’exception d’ordre public international.
La proximité requise peut résulter de la nationalité française commune des deux époux, voire de la seule nationalité française de la femme. En ce sens : Cass. Civ. 1ère, 10 mai 2006, préc. note 37 : « la décision d'une juridiction étrangère constatant une répudiation unilatérale du mari sans donner d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme et privant l'autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de cette rupture du lien matrimonial, est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage, que la France s'est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction, et donc à l'ordre public international, spécialement lorsque les deux époux sont de nationalité française ».
La plupart du temps, elle résulte du domicile des deux époux sur le territoire français, voire pourquoi pas du seul fait que la femme soit domiciliée en France. En ce sens : Cass. Civ. 1ère, 17 février 2004[41] : la décision constatant une répudiation unilatérale du mari est contraire au principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage « dès lors que, comme en l’espèce, la femme, sinon même les deux époux, étaient domiciliés sur le territoire français ». Aucune condition de durée n’est imposée, pourvu qu’il s’agisse d’un domicile actuel, comme le précise un arrêt du 20 septembre 2006 (préc. note 39) où il apparaît que la femme de nationalité algérienne n’avait vécu que trois mois en France auprès de son époux avant de repartir dans son pays d’origine où elle fut répudiée, puis de se réinstaller en France. Dans cette espèce, à la différence de la Cour de cassation, les juges du fond avaient estimé le lien avec la France trop distendu, alors pourtant que le mari était français, élément de connexion supplémentaire avec notre territoire.
Il a même été jugé que le fait que les époux résident tous les deux sur le territoire français est suffisant pour déclencher le jeu de l’exception d’ordre public international. En ce sens : Cass. Civ. 1ère, 14 mars 2006[42] : qu'est contraire à l'article 5 du protocole du 22 novembre 1984 n° VII additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et, dès lors que les parties résident toutes deux en France, à l'ordre public international, la décision d'une juridiction étrangère constatant la répudiation unilatérale par le mari sans qu'il soit établi que la partie défenderesse ait été légalement citée, représentée ou déclarée défaillante.
Certains auteurs estiment même que la reconnaissance du jugement de répudiation doit être refusée lorsque les époux ou la femme étaient au moment de la répudiation domiciliés, non pas sur le territoire français, mais sur le territoire d’un autre Etat partie à la CEDH[43] afin de faire respecter les droits fondamentaux qu’elle édicte, et notamment l’égalité des époux lors de la dissolution du mariage, dans tous les Etats où la CEDH s’applique.
Enfin, il convient de réserver une situation exceptionnelle, celle où la femme a librement consenti à la répudiation, a comparu volontairement devant l’autorité étrangère et a consenti aux conditions de la répudiation. Dans ce cas, il est possible d’assimiler la répudiation, certes unilatérale en la forme, en substance à un divorce par consentement mutuel, divorce qui n’est pas contraire à la conception française de l’ordre public.
La même conclusion s’impose lorsque la reconnaissance de la décision étrangère de répudiation en France est sollicitée par la femme car le jugement étranger se métamorphose alors en divorce par consentement mutuel. En ce sens : Aix-en-Provence, 8 juin 2004, Juris-Data n° 2004-248370 où une femme comorienne demandait la reconnaissance de la répudiation prononcée contre elle à l’étranger. La CA approuve. La solution est classique.
Merci de votre attention.
* * *
[1] Cass. Civ. , 21 juin 1948, Patiño, RC 1949. 557, note Francescakis.
[2] Cass. Civ. , 19 octobre 1959, Pelassa, RC 1960. 215, note Y. L. ; D. 1960. 37, note G. Holleaux.
[3] Cass. Civ. 1ère,
19 novembre 1985, Soc. Cognacs and Brandies from France, GA, n° 68.
[4] Cass. Civ. 1ère, 28 mars 2006, JCP 2006, éd. G, II, 10133 ; AJ Fam. 2006. 247.
[5] V. D. n° 92-179, 25 février 1992 : JO 27 février 1992.
[6] D. n° 73-492, 15 mai 1973 : JO 24 mai 1973, RC 1973. 570.
[7] La Convention franco-yougoslave du 18 mai 1971 reste applicable entre la France et la Bosnie-Herzégovine suite à un échange de lettres relatif à la succession des traités bilatéraux conclus entre la France et la République socialiste fédérative de Yougoslavie signées le 3 décembre 2003 et entrées en vigueur le 4 décembre 2003. V. D. n° 2004-96, 26 janvier 2004 : JO 31 janvier 2004, p. 2225.
[8] Accords passés respectivement avec ces deux Etats les 9 et 12 octobre 1995 et le 14 décembre 1995, décrets des 7 et 8 août 1996 : JO 13 et 20 août 1996, RC 1996. 800.
[9] Paris, 5 avril 2005, 1ère esp. , Dr. Fam. février 2006, comm. , n° 40, p. 34 ; Grenoble, 11 janvier 2005, inédit ; Grenoble, 2 novembre 2004, Juris-Data n° 2004-256970 ; Toulouse, 28 juin 2004, Juris-Data n° 2004-257062.
[10] Cass. Civ. 1ère, 28 mars 2006, AJ Famille juin 2006, p. 247.
[11] JO 31 octobre 2004.
[12] Cass. Civ. 1ère, 13 janvier 1981, RC 1981. 331.
[13] Cass. Civ. , 13 juin 1978, RC 1978. 722, note Audit ; JDI 1979. 414, obs. Kahn.
[14] Pour un exemple, v. Dijon, 25 mars 2004, Juris-Data n° 2004-239759 ; Dr. Fam. avril 2005, comm. , n° 93, p. 34.
[15] La Convention franco-yougoslave du 18 mai 1971 reste applicable entre la France et la Bosnie-Herzégovine suite à un échange de lettres relatif à la succession des traités bilatéraux conclus entre la France et la République socialiste fédérative de Yougoslavie signées le 3 décembre 2003 et entrées en vigueur le 4 décembre 2003. V. D. n° 2004-96, 26 janvier 2004 : JO 31 janvier 2004, p. 2225.
[16] Livre vert
sur la loi applicable et la compétence en matière de divorce présenté par la
Commission le 14 mars 2005 (COM (2005) 82 final). Sur lequel, cf. H. Fulchiron,
« Vers la communautarisation des
règles de conflit de lois en matière de divorce ? (à propos du livre vert
de la Commission sur le droit applicable et la compétence en matière de divorce) »,
AJ Fam. 2005. 390.
[17] Cass. Civ. 1ère, 26 mai 1999, Mutuelles du Mans, GA, n° 77, à propos de droits disponibles et Cass. Civ. 1ère, 26 mai 1999, A. B. , GA, n° 78 à propos de droits indisponibles.
[18] Cass. Civ. 1ère, 7 juin 2006, AJ Fam. 2006. 376.
[19] Cass. Civ. 1ère, 20 juin 2006, AJ Fam. 2006. 376.
[20] V. en ce sens, Cass. Civ. 1ère, 21 novembre 2006, n° 05-22.002, à paraître au bulletin, à propos d’une action en recherche de paternité naturelle soumise à la loi biélorusse.
[21] Cass. Civ. 1ère, 6 décembre 2005, Dr. Fam. février 2006, comm. , n° 41, 3e espèce, p. 36.
[22] Paris, 2 décembre 2004, Droit et Patrimoine avril 2005. 105. Dans le même sens, Paris, 26 mai 2005, 3e esp. , Dr. Fam. février 2006, comm. , n° 40, p. 35.
[23] Cass. Civ. 1ère, 8 novembre 1977, JDI 1978. 587, note D. Alexandre.
[24] Paris, 19 mai 2005, 2e esp. , Dr. Fam. février 2006, comm. , n° 40, p. 34.
[25] Cass. Civ. 1ère, 7 janvier 1964, Munzer, GA, n° 41, qui a posé cinq conditions en réalité, mais l’arrêt Bachir (Cass. Civ. 1ère, 4 octobre 1967, Bachir, GA, n° 45) a intégré la condition relative à la régularité de la procédure suivie à l’étranger dans la condition relative à la conformité à l’ordre public international français en créant un volet ordre public procédural qui joue toujours dans son effet plein.
[26] Cass. Civ. 1ère, 20 février 2007, Cornelissen, D. 2007, p. 1115.
[27] Cass. Civ. 1ère, 6 février 1985, Simitch, GA, n° 67.
[28] Cass. Civ. 1ère, 17 février 2004, 5 arrêts, notam. JDI 2004. 867, note Cuniberti dans lequel la Haute cour avait bouleversé les règles établies en matière de compétence indirecte, c’est-à-dire les règles destinées à contrôler, du point de vue de l’ordre juridique français, la compétence du juge étranger. Elle avait semblé indirectement attribuer à l’article 1070 alinéa 1er NCPC le caractère d’une règle de compétence exclusive : pour s’opposer à la reconnaissance de la répudiation algérienne, elle énonçait que la nationalité commune algérienne des époux « ne suffisait pas à rattacher le litige d’une manière caractérisée à l’Algérie », dès lors que les intéressés était l’un et l’autre « domiciliés en France ». La Cour d’appel d’Amiens avait peu de temps après approuvé cette solution : Amiens, 30 juin 2004, Dr. Fam. 2005, comm. , n° 200, obs. M. Farge.
[29] Cass. Civ. 1ère, 10 mai 2006, Dr. Fam. septembre 2006, 2e esp. , comm. , n° 178, p. 34, note M. Farge.
[30] Cass. Civ. 1ère, 23 mai 2006, Prieur, Dr. fam. 2006, comm. , n° 199, note M. Farge ; AJ Fam. septembre 2006. 324, obs. A. Boiché ; JDI 2006. 1377, note C. Chalas.
[31] Cass. Civ. 1ère, 20 septembre 2006, Juris-Data n° 2006-034987 ; RJPF décembre 2006, p. 13.
[32] Cass. Civ. 1ère, 14 mars
2006, Bull. civ. I, n° 151 ; Juris-Data n° 2006-032660.
[33] Cass. Civ. 1ère, 17 janvier 2006, RJPF avril 2006, p. 16.
[34] Cass. Civ. 1ère, 28 mars 2006, Dr. Fam. septembre 2006, comm. , n° 178, p. 34.
[35] Cass. Civ. 1ère, 7 juin 2006, Juris-Data n° 2006-033927.
[36] Cass. Civ. 1ère, 14 mars 2006, Juris-Data n° 2006-032730 ; Cass. Civ. 1ère, 17 février 2004, n° 02-15.766, Juris-Data n° 2004-022372 ; Bull. civ. I, n° 49. V. aussi, à propos d’un jugement de répudiation marocain, Amiens, 16 juin 2004, Juris-Data n° 2004-248735 ; 14 avril 2004, Juris-Data n° 2004-244326 ; Dijon, 25 mars 2004, Juris-Data n° 2004-239759.
[37] Cass. Civ. 1ère, 17 février 2004, Bull. civ. I, n° 47 ; Juris-Data n° 2004-022373. Solution confirmée par Cass. Civ. 1ère, 10 mai 2006, Juris-Data n° 2006-033392.
[38] Cass. Civ. 1ère, 17 février 2004, 5 arrêts, RC 2004. 423, note P. Hammje.
[39] Cass. Civ. 1ère, 20 septembre 2006, Juris-Data n° 2006-034981.
[40] CourEDH, 8
novembre 2005, Gaz. Pal. 25 février 2006, n° 56, p. 16, obs. M. L. Niboyet.
[41] Cass. Civ. 1ère, 17
février 2004, Juris-Data n° 2004-022374 ; Bull. civ. I, n° 48.
[42] Cass. Civ. 1ère, 14 mars
2006, Juris-Data n° 2006-032730 ; RJPF juillet-août 2006, p. 16.
[43] P. Courbe, « L’ordre public de proximité », in Mélanges en l’honneur de P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 227, spéc. n° 17.