L’extension
des droits du mis en examen
par
Sophie Corioland
Allocataire de recherche-moniteur
à l’Université Robert-Schuman de Strasbourg
Plusieurs dispositions de la loi du 5 mars 2007 relative à l’équilibre de la procédure pénale visent à renforcer les droits des parties au cours de la procédure, comme il vient de vous l’être exposé ; certaines méritent cependant notre attention dans la mesure où elles ont pour but précisément, d’«améliorer » la place du mis en examen, en renforçant les droits de la défense.
Ces dernières mesures sont, est-il encore besoin de le préciser, directement issues des différents rapports diligentés suite au désastre de l’affaire d’Outreau.
Pour les exposer le plus clairement que possible, le plus simple est de procéder selon la chronologie de la procédure.
Tout d’abord, le renforcement du principe du contradictoire lors de l’interrogatoire mené par le juge d’instruction :
De manière similaire aux dispositions relatives à la garde à vue exposées précédemment, il est prévu par la loi du 5 mars 2007, que tous les interrogatoires du mis en examen feraient l’objet d’un enregistrement audiovisuel, y compris donc celui de première comparution au terme duquel la mise en examen peut être notifiée, de même que les confrontations[1].
Les mêmes limites que celles énoncées en matière de garde à vue ont cependant été prévues, puisque ce dispositif ne sera applicable qu’à la matière criminelle, à l’exclusion de tout délit y compris dans les hypothèses d’affaires complexes.
De plus, on retrouve les mêmes dérogations à l’obligation d’enregistrement que précédemment :
- Lorsque le nombre de personnes devant être interrogées simultanément (en matière d’instruction, ce pourrait désormais être le cas aux vues des nouvelles dispositions envisageant la cosaisine puis les pôles d’instruction), il appartiendra au juge d’instruction de choisir le ou les interrogatoires qui feront l’objet d’un enregistrement, au regard des nécessités de l’investigation. (art. 116-1 al.5 du CPP) Cette dernière notion demeure assez floue, et ne nous apporte pas de solutions claires pour distinguer les affaires qui devront faire l’objet d’un enregistrement de celles qui ne le devront pas…
- Si l’affaire en cause vise une infraction énoncée par l’article 706-73 du CPP (relatif à la criminalité organisée), une infraction portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation (titre 1 du livre IV du NCP) ou encore un acte de terrorisme (titre 2 du livre IV du NCP), l’enregistrement audiovisuel n’est pas obligatoire. Il peut cependant y être procédé si le juge l’estime utile. (art. 116-1 al 7 CPP)
- Enfin, est maintenue comme motif légitime à une absence d’enregistrement, l’impossibilité technique d’y procéder. La nature de cette impossibilité devra toutefois être précisée dans le procès verbal d’interrogatoire. (art. 116-1 al 6 du CPP).
L’enregistrement ainsi effectué ne pourra, là encore -c’est à dire, comme en matière de garde à vue-, être consulté qu’en cas de contestation du contenu du procès verbal d’interrogatoire, sur décision du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement, à la demande d’une des parties ou du Ministère public[2].
La destruction de l’enregistrement est prévue dans le délai d’un mois, à l’expiration d’un délai de cinq ans suivant l’extinction de l’action publique selon l’article 116-1 al. 5 du Code de procédure pénale.
La mise en place d’un tel dispositif appelle un certain nombre de remarques :
Tout d’abord, et cette remarque s’applique à également à la garde à vue, il est permis de se demander pourquoi seule la matière criminelle est concernée par de telles dispositions. N’y a t-il pas en matière délictuelle des affaires dont la complexité ou même la sanction encourue, justifieraient pareil traitement ?
En outre, si le législateur restreint le champ d’application de ce texte à la matière criminelle, il prend également soin d’exclure un certain nombre d’infractions particulièrement graves et passibles de sanctions extrêmement lourdes. Est-ce à dire comme à pu le souligner un commentateur que « le législateur estime que plus l’accusation portée est grave, moins les garanties doivent être étendues.(…). » Autrement dit : « plus le patient est malade, moins il mérite de soins »[3] ?
Dans le même ordre d’idée, on peut aussi regretter que cette mesure ne concerne pas les auditions de témoins alors pourtant que ces derniers jouent un rôle important dans la procédure en mettant en cause la personne poursuivie[4] et que ces dernières auditions aboutissent parfois à des mises en examen tardives[5].
Une question reste également en suspens : le nouveau dispositif prévoit que tous les interrogatoires de la personne mise en examen seront filmés, y compris l’interrogatoire de première comparution… Sur ce dernier point, il est légitime de se demander quel sera le sort de ces interrogatoires lorsqu’à leur issue le magistrat ne décidera pas la mise en examen ? L’enregistrement ainsi effectué aura-t-il vocation à être détruit immédiatement ou pourra-t-il dans les mêmes conditions que les autres, faire l’objet d’une contestation ou même être versé au dossier dans le cas d’une mise en examen postérieure? Aucune réponse n’est donnée par la loi …. Il nous faudra attendre ici les décrets d’application.
Ajoutons encore que la réelle utilité de cette mesure peut être mise en doute dans la mesure où le juge d’instruction est nécessairement assisté d’un greffier lors des interrogatoires, ce dernier étant garant du bon déroulement de la procédure. De plus, la personne mise en examen a droit à l’assistance de son avocat durant les interrogatoires, ce qui constitue une garantie procédurale notable. Cependant, il peut être objecté à cette dernière remarque que parfois en pratique, faute de pouvoir être présent, les interrogatoires du mis en examen se déroulent hors de la présence de l’avocat.
En outre, se pose un réel problème d’équipement des cabinets d’instruction en matériel audiovisuel. Tous les cabinets d’instruction se verront-ils dotés de moyens suffisants pour remplir cette nouvelle obligation ou l’excuse d’impossibilité technique de procéder à l’enregistrement considérée théoriquement comme une exception, deviendra-t-elle peu à peu la règle en la matière ?[6]
Il paraît sur ce point indispensable d’attendre les dotations dont bénéficieront les juridictions pour pouvoir juger d’une application effective de ces nouvelles dispositions législatives.
Notons enfin que l’entrée en vigueur de cette mesure a été fixée au 1er juin 2008. Le nouvel article 116-1 du CPP in fine dispose cependant que jusqu’à cette date, « le juge d’instruction peut d’office, sur réquisitions du Procureur de la République ou à la demande de l’une des parties, décider de procéder à un enregistrement audiovisuel ».
L’enregistrement audiovisuel des interrogatoires devant le juge d’instruction est présenté comme une garantie procédurale supplémentaire visant au renforcement des droits du mis en examen, même s’il a été instauré dans un but a-t-on dit, de strict parallélisme avec les règles applicables en matière d’enquête de police. Ainsi Jean-Olivier Viout justifiait l’utilité de cette mesure en arguant que n’enregistrer que les gardes à vue ferait peser la suspicion sur les seuls officiers de police. Or selon lui, s’il est estimé qu’il faut enregistrer les propos tenus, cette règle doit s’appliquer durant toute la phase préalable au jugement[7].
D’autres dispositions sont cependant encore plus significatives de cette volonté de renforcer les droits de la défense, comme la possibilité de contester la mise en examen.
De la possibilité de contester la mise en examen.
Jusqu’à présent, il n’était possible de demander à la Chambre de l’instruction que l’annulation de la mise en examen et ce dans les 6 mois suivant l’interrogatoire de première comparution. Si la Chambre de l’instruction faisait droit à cette demande, le mis en examen se voyait attribuer le statut de témoin assisté (art. 174-1).
Avec la loi du 5 mars 2007, aux termes du nouvel article 80-1-1 du CPP, le mis en examen se voit reconnaître plus largement la possibilité de demander l’octroi de ce statut de témoin assisté[8]. (précisons immédiatement toutefois que l’ancien dispositif de l’art. 174-1 du CPP est maintenu)…
Cette demande présentée au juge d’instruction ne peut intervenir qu’au bout d’un délai de 6 mois à compter de la mise en examen. Cette même demande pourra également être renouvelée tous les 6 mois en cas d’une précédente tentative infructueuse.
Il est à noter que cette prérogative s’ouvre aussi dans les 10 jours suivant la notification d’une expertise ou un interrogatoire au cours duquel la personne est entendue sur les résultats d’une commission rogatoire ou entendue sur les déclarations de la partie civile, d’un témoin, d’un témoin assisté ou d’une autre personne mise en examen.
En cas de refus de « réviser » la situation du demandeur, le juge d’instruction devra rendre une ordonnance motivée faisant état des indices graves ou concordants justifiant le maintien de la mise en examen (art. 80-1-1 al.6 du CPP)[9]. Le mis en examen pourra alors faire appel de cette ordonnance directement auprès de la Chambre de l’instruction (art. 186 al.1). Les commentateurs voient globalement d’un assez bon œil cette nouvelle disposition incitant les magistrats à motiver davantage les mises en examen[10].
Cette nouvelle mesure a pour objectif de rendre plus fréquent le recours au statut de témoin assisté mis en place par la loi du 30 décembre 1987, généralisé par celle du 15 juin 2000, et peu usité depuis comme le démontrent les statistiques. Son entrée en vigueur a été fixée au 1er juillet 2007.
Une dernière mesure mérite enfin d’être envisagée : il s’agit de la possibilité de demander au juge d’instruction des confrontations séparées, puisque cette dernière vient également au soutien des droits de la défense.
La possibilité de demander des confrontations séparées
Aux termes du nouvel article 120-1 du CPP, il est prévu que « lorsque la personne mise en examen ou le témoin assisté sont mis en cause par plusieurs personnes, ils peuvent demander (…) à être confrontés à chacune d’entre elles. »
L’entrée en vigueur de cette nouvelle disposition a été fixée au 1er juillet prochain.
La mise en place de cette mesure mérite d’être saluée et devrait sans nul doute être accueillie favorablement[11]. De nombreuses critiques sur la pratique des confrontations collectives ont été formulées ces derniers mois au motif d’un certain déséquilibre au détriment des droits de la défense. On imagine en effet assez aisément, la « solitude » du mis en examen face à un « bloc » d’accusation….
Désormais, si le juge peut refuser d’organiser de telles confrontations, son refus ne saurait se justifier du seul fait qu’une confrontation collective est organisée, le cas échéant (comme ce fut le cas dans l’affaire d’Outreau où les demandes de confrontations individuelles ont été systématiquement refusées par le magistrat au motif que des confrontations collectives avaient eu lieu ; décisions par ailleurs toujours confirmées par la chambre de l’instruction[12]).
On pourrait alors regretter que le juge conserve la faculté de refuser une telle requête. Certes, mais on peut alors préciser immédiatement que le risque de traumatisme occasionné à la victime en cas de confrontations individuelles ne doit pas, lui non plus, être occulté[13]… Ceci illustrant une fois encore et, j’en terminerai par là, toute la difficulté de légiférer en procédure pénale pour parvenir à trouver un équilibre, si fragile soit-il, entre les droits de la victime et ceux de la personne poursuivie.
* * *
[1] Nouvel article 116-1 du Code de procédure pénale
[2] Lorsqu’une partie demande la consultation de cet enregistrement, la demande doit être écrite et motivée (art. 82-1 du CPP). Le juge statuera dans les conditions de l’art. 82-1 al. 1 et 2 du CPP cad par ordonnance motivée.
[3] Ph. VOULAND, « le renforcement de l’équilibre de la procédure pénale : en faveur des droits de la défense ? » in Loi du 5 mars 2007 sur l’équilibre de la procédure pénale : premiers commentaires, AJP n°3/2007, dossier spécial p. 119
[4] Voir sur ce point, Rapport du Sénat n°117, p.31 ; J. PRADEL, « les suites législatives de l’affaire dite d’Outreau. A propos de la loi n°2007-291 du 5 mars 2007 », JCP G n°14, I, 138. p.17
[5] H. MATSOPOULOU ? Renforcement du caractère contradictoire, célérité de la procédure pénale et justice des mineurs, commentaire de la loi n°2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, Droit pénal, mai 2007, p.6
[6] Selon le Ministère de la
justice, le coût estimé de cette mesure est de 1,146 millions d’euros pour
l’équipement, puis 62000 euros de dépenses annuelles[6].
Rapport du Sénat n°177, p.31 ; Rapport de Guy Geoffroy pour l’Assemblée
nationale n°3505, p.
[7] Rapport n°3505, précité, p. , et précisément l’audition de M. Jean-Olivier Viout, procureur général près la cour d’appel de Lyon, par la commission d’enquête chargée de rechercher les dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement, p. 1093.
[8] L’octroi d’un tel statut permet ainsi à la personne poursuivie lui permet de jouir d’un certain nombre de droits dont l’assistance d’un avocat, avisé des auditions, ayant accès au dossier …
[9] autrement dit la réunion
des indices énoncés par l’article 80-1 du CPP.
[10] Voir Ch. GUERY, « la loi du 5 mars 2007 et l’instruction préparatoire, in « Loi du 5 mars 2007 sur l’équilibre de la procédure pénale : premiers commentaires », AJP dossier spécial n°3/2007, p.112
[11] J. PRADEL, « les suites législatives de l’affaire dite d’Outreau… », préc. p.18
[12] Rapport Sénat n°177, préc. p.107
[13] Cette question a d’ailleurs été débattue lors des travaux parlementaires, voir sur ce point l’examen article par article de la nouvelle loi dans le rapport Goeffroy de l’Assemblée Nationale, préc.