Le renforcement de la collégialité
par
Magalie Nord-Wagner
Maître de conférences à
l’Université Robert-Schuman de Strasbourg
Chaque fois que des difficultés concernant l’instruction préparatoire surgissent, les mêmes questions se posent. Faut-il supprimer le juge d’instruction ? Faut-il diminuer ses pouvoirs, fonctionner sur le mode de la collégialité ? Si l’instruction concerne aujourd’hui moins de 5 % des affaires pénales, certes les plus graves, elle concentre toujours les passions réformatrices. Après l’affaire d’Outreau et la mise en accusation des méthodes du juge Burgaud, le problème de l’étendue des pouvoirs du juge d’instruction s’est à nouveau posé.
Afin d’y remédier, la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans cette affaire a proposé d’adjoindre systématiquement à l’homme ou à la femme les plus puissants de France des collègues afin de tempérer leur jugement et contrôler leur action. La loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale a suivi en partie ce souhait en faisant de la nécessité de rompre la solitude du juge le maître mot de la réforme. La collégialité de l’instruction est remise au goût du jour. Toutefois, devant le problème matériel de recrutement que posait la mise en œuvre immédiate de ce système, le processus doit se dérouler en deux temps. L’objectif est d’arriver à compter du 1er janvier 2010, à ce qu’un collège de trois magistrats constitué d’au moins un magistrat du 1er grade exerçant les fonctions de juge coordinateur prenne les décisions les plus graves concernant l’instruction. En attendant cette date et de manière transitoire, le législateur a renforcé les possibilités de co-saisines. Il a également mis en place des pôles d’instruction.
Intéressons nous donc successivement à chacune de ces réformes en commençant par les pôles de l’instruction puis la co-saisine pour enfin terminer par le retour de la collégialité.
I) Les pôles de l’instruction
Même si la règle d’un juge d’instruction par tribunal de grande instance est pour l’instant maintenue, le législateur cherche à rationaliser et concentrer les moyens de la justice en créant des pôles de l’instruction. Il tente en cela de généraliser l’expérience des pôles spécialisés tels ceux existant en matière de terrorisme ou encore en matière de pollution maritime,…
Qu’en est-il de la composition et des compétences de ces pôles ? C’est ce que nous verrons dans un premier temps. Dans quelles conditions peuvent-ils être saisis ? C’est ce que nous verrons dans un second temps.
A)
Voyons tout d’abord leur composition et leurs compétences
C’est le nouvel
article 52-1 du Code de procédure pénale qui institue des pôles de
l'instruction dans certains tribunaux de grande instance. Ces pôles
pourront être créés par décret, prévus au plus tard pour le 1er mars
2008, dans les tribunaux de grande instance comportant au moins deux juges
d’instruction. En principe un premier décret est prévu pour septembre prochain.
Ils regrouperont tous
les juges d'instruction de ce tribunal.
Les juges d'instruction réunis au sein du pôle seront compétents dans deux hypothèses :
- Ils seront seuls compétents pour connaître des informations en matière criminelle.
- Ils seront également seuls compétents pour connaître des informations donnant lieu à une co-saisine (affaires correctionnelles graves ou complexes) que nous verrons plus tard.
L’étendue de ces compétences pose néanmoins un problème. Qu’en sera-t-il en effet de l’intérêt d’être juge d’instruction dans un tribunal sans pôle de l’instruction ?
La question de la compétence territoriale de ces pôles se pose également. Elle pourra excéder celle de plusieurs tribunaux de grande instance et sera déterminée par décret. Néanmoins lors des débats parlementaires le garde des sceaux avait indiqué que « presque tous les départements auraient un pôle de l'instruction, exception faite des plus petits, et les plus grands en auraient plusieurs ».
Une fois mis en place comment saisir ces pôles de l’instruction ?
B) La saisine des pôles d’instruction
Prenons un exemple : un meurtre a lieu dans le ressort d’un parquet où il y a un pôle de l’instruction pas de problème, le procureur de la République du pôle saisit celui-ci. Mais que se passe-t-il lorsqu’un crime a lieu dans le ressort d’une juridiction où il n’y a pas de pôle de l’instruction ?
Le Procureur de la juridiction sans pôle peut alors
soit :
- ouvrir lui-même directement une information devant
la juridiction du pôle territorialement compétente.
- soit se dessaisir au profit du procureur du pôle
qui ne serait pas lié par la qualification ou le choix de son collègue.
D’après le nouvel article 80 II du code de procédure
pénale, le procureur du pôle pourrait ouvrir de sa propre initiative l’information.
Pour certains praticiens cette solution semble difficilement imaginable en
pratique notamment en matière délictuelle, ne serait-ce que pour maintenir des
relations cordiales entre parquets.
Enfin si l’information a été ouverte devant une juridiction sans pôle de l'instruction et qu'il apparaît que les faits reprochés sous une qualification correctionnelle constituent en réalité un crime, le juge d'instruction devra se dessaisir au profit d'un juge du pôle de l'instruction compétent désigné par le président du tribunal de grande instance dans lequel se trouve ce pôle.
Les membres du pôle ne sont pas tenus par la
qualification donnée aux faits par le procureur initialement saisis. Ainsi, le
procureur du pôle peut renvoyer le dossier à son collègue s’il estime que le
dossier n’est pas de son ressort.
Pendant que ces problèmes de compétence se posent,
qu’en est-il de la personne soupçonnée d’avoir commis l’infraction si celle-ci
est incarcérée ?
Deux hypothèses peuvent se présenter :
- Si le procureur de la République d’un tribunal de grande instance dans lequel il existe un pôle de l'instruction constate que l'ouverture d'une information ne relève pas de sa compétence, la personne placée en détention provisoire dans cette affaire, devra comparaître devant le procureur de la République près le tribunal de grande instance territorialement compétent au plus tard le troisième jour ouvrable suivant. A défaut, elle serait mise en liberté (III de l'article 80) ;
- Si le procureur de la République d’un tribunal de grande instance dans lequel il n’existe pas de pôle de l'instruction estime que l'ouverture d'une information relève du pôle, la personne placée en détention provisoire dans cette affaire, devra comparaître devant le juge d'instruction du pôle de l'instruction au plus tard le troisième jour suivant ou à défaut être mise d'office en liberté.
Le procureur de la République du pôle dispose d’une compétence territoriale identique à celle du pôle de l'instruction. Il pourra à cet effet diriger et contrôler les enquêtes de police judiciaire et suivre seul le déroulement des informations jusqu'à leur règlement.
Mais attention la juridiction de jugement restera toujours celle qui était initialement territorialement compétente selon les règles en vigueur aujourd'hui.
L’institution de ces pôles de l’instruction est liée au renforcement de la co-saisine dans un premier temps et trouvera sa pleine mesure avec la généralisation de la collégialité.
Par conséquent nous allons maintenant nous intéresser à
II) La co-saisine
(art 83 et suivants)
La loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale améliore le système de la co-saisine. Ces règles s’appliqueront en principe au plus tard au 1er mars 2008.
Ce système existe déjà en cas d’affaire grave ou complexe sous certaines conditions et notamment sous réserve de l’accord du juge d’instruction concerné, ce qui limite de beaucoup son emploi.
Désormais l'article 83-1 du code de procédure pénale prévoit en cas de crime ou délit graves ou complexes que, dès l'ouverture de l'information, le président du tribunal de grande instance dans lequel il existe un pôle de l’instruction peut (et pour le moment cela reste une faculté) désigner d'office ou sur réquisition du procureur de la République un ou plusieurs juges d'instruction pour être adjoints au magistrat chargé de l'information.
Dans les mêmes conditions, lorsque l'information est déjà engagée, la co-saisine peut être décidée soit avec l'accord du juge d'instruction initialement chargé de la procédure, soit sans son accord. C’est sur ce plan que les règles sont le plus fondamentalement modifiées.
Deux situations sont alors possibles :
- 1ère hypothèse : la co-saisine intervient à l'initiative du juge d'instruction ou avec son accord
Dans ce
cas, que l'information soit ouverte auprès d'un tribunal de grande instance
doté ou non d'un pôle de l'instruction, la co-saisine sera décidée par
le président du tribunal où se trouve ce pôle, soit à la demande du juge chargé
de l'information, soit si ce juge donne son accord. La co-saisine peut être
décidée d'office ou sur réquisition du parquet ou sur requête des parties. Afin
que le droit ainsi ouvert aux parties ne conduise pas à mettre en cause
continuellement la compétence du juge d'instruction. Les parties ne
peuvent pas renouveler leur demande avant six mois.
Le président devra « statuer » dans un délai d'un mois à compter de la réception de la demande. Celle-ci lorsqu’elle émane des parties devra être déposée dans les formes prévues par l'avant-dernier alinéa de l'article 81 du code de procédure pénale (en particulier, déclaration au greffier et demande constatée, datée et signée par celui-ci).
Attention si l'information a été initialement ouverte auprès d'un tribunal de grande instance qui ne dispose pas de pôle de l'instruction, la co-saisine interviendra après que le juge d'instruction initialement saisi se soit dessaisi au profit d'un juge d'instruction du pôle.
- 2onde Hypothèse :
le juge d'instruction initialement saisi n'a pas donné son accord
Si l'information a été ouverte dans un tribunal de grande instance doté d'un pôle de l'instruction, la co-saisine peut être ordonnée par le président de la chambre de l'instruction agissant d'office, à la demande du président du tribunal de grande instance, sur réquisition du ministère public ou, enfin, à la demande d'une partie dans les formes prévues par l'avant-dernier alinéa de l'article 81 du code de procédure pénale (en particulier, déclaration au greffier et demande constatée, datée et signée par celui-ci). Le président de la chambre de l'instruction devra statuer dans un délai d'un mois à compter de la réception de la demande ;
Si l'information n'a pas été ouverte dans un tribunal de grande instance doté d'un pôle de l'instruction, si le juge initialement saisi refuse de se dessaisir, la co-saisine sera décidée par la chambre de l'instruction saisie par son président. La chambre de l'instruction ne pourra décider la co-saisine que si celle-ci est « indispensable à la manifestation de la vérité et à la bonne administration de la justice ». Elle rendra sa décision dans un délai d’un mois et, le cas échéant désignera elle-même les juges d'instruction du pôle chargés de poursuivre la procédure.
Toutes les décisions prises en matière de co-saisine entrent dans la catégorie des mesures d'administration judiciaire non susceptibles de recours. La co-saisine ne saurait en effet ouvrir la voie à quelconque droit pour les parties de choisir leur juge.
Le juge
d'instruction chargé initialement de l'information, lorsqu’il s’agit d’un juge
du pôle bien entendu, coordonne le déroulement de celle-ci et a seul
qualité pour saisir le juge des libertés et de la détention,
ordonner une mise en liberté d'office et rendre l'ordonnance
de règlement et l'avis de fin d'information. Cet avis
et l'ordonnance de règlement peuvent être cosignés par le ou les juges
d'instruction co-saisis. Le but de cette cosignature est d’encourager
une véritable concertation entre les juges co-saisis. En
effet, l’une des critiques faites au système ancien de la co-saisine est que le
juge co-saisi se contentait généralement de suivre de loin la procédure en
laissant au juge d’instruction nommé l’entière maîtrise du dossier. Le système
de la cosignature devrait impliquer plus chacun des membres de la collégialité.
Si l’un de ceux-ci refuse de signer, l’article 83-2 du code de procédure pénale
prévoit la possibilité pour les parties
de faire appel de ces ordonnances.
L’amélioration des règles de la co-saisine constitue un premier pas vers la collégialité mais avec plus de souplesse et uniquement pour les affaires graves ou complexes. Sa réussite dépend non seulement de la volonté des magistrats instructeurs de travailler en équipe mais aussi des moyens qui leur seront donnés. Pour que le système soit viable, il faudra affecter soixante magistrats supplémentaires à sa réalisation.
Dernière étape de cette réforme de l’instruction :
III) La création de collège de l’instruction
A compter du 1er janvier 2010, les dispositions relatives à la cosaisine sont censées laisser place à un système plus rigide de recours automatique, pour chaque affaire, même les plus simples à un collège de l’instruction. Selon l’article 83 du code de procédure pénale le président du tribunal ou, en cas d'empêchement, le magistrat qui le remplace, désigne, pour chaque information, une formation collégiale de trois juges d'instruction, dont un magistrat du premier grade exerçant les fonctions de juge coordonnateur.
Ce collège de l'instruction n’exerce que les attributions les plus importantes à savoir : les décisions de mise en examen, d'octroi du statut de témoin assisté à une personne mise en examen, de placement sous contrôle judiciaire, de saisine du juge des libertés et de la détention et de mise en liberté d'office, ainsi que les avis de fin d'information, les ordonnances de règlement et de non-lieu.
Les autres actes relevant de la compétence du juge d'instruction pourront être délégués à l'un des juges d'instruction composant le collège.
Cette réforme s’appuie sur l’idée que la collégialité permettrait d’instituer « en amont de la procédure pénale un travail d’équipe pour faire échec au plus tôt à tout risque d’erreur »[1].
Elle représente une garantie apparente d’impartialité aux yeux du justiciable[2]. En effet, la collégialité permet une discussion, un échange des points de vue, chacun pouvant appréhender la situation de manière différente. Elle a « le mérite de brasser et de neutraliser les préjugés éventuels et parfois inconscients …»[3].
Pour certains cette garantie ne serait qu’apparente puisque là où elle s’exerce actuellement (notamment dans les tribunaux correctionnels pour les affaires les plus graves) les assesseurs forment le plus souvent leur conviction au travers des éléments de l’audience et de ceux fournis par le magistrat chargé plus spécialement d’étudier l’affaire. Le rôle des assesseurs ne serait alors que secondaire, confirmant le plus souvent la décision du président. Une telle crainte pourrait également s’exprimer concernant la collégialité de l’instruction telle que mise en place par la réforme puisque qu’un juge d'instruction seul peut exécuter les actes de l'instruction : interrogatoire, reconstitution, confrontation.
Par ailleurs, la collégialité assurerait l’indépendance des magistrats vis-à-vis de pressions politiques, économiques ou médiatiques ou encore d’une éventuelle vengeance du condamné. D’un autre côté, le système du juge unique peut empêcher une dilution des responsabilités et renforcer le sens de celles-ci. En effet, le magistrat ayant rendu la décision étant connu, il va de son intérêt à ce que celle-ci soit irréprochable et fondée en droit comme en fait.
Elle permet enfin d’intégrer les jeunes magistrats et facilite la transmission des bonnes pratiques professionnelles par les anciens.
La controverse opposant collégialité et juge unique semble pour le moins dépassée étant admis que chacun des deux systèmes est recevable au regard de l’état de droit et qu’il présente tout à la fois des avantages et des inconvénients. L’essentiel reste alors de concilier ces deux systèmes de la manière la plus efficace et la plus respectueuse des droits de l’individu.
Quoiqu’il en soit la mise en place de cette réforme nécessitera une refonte de l’organisation actuelle de l’instruction, un redéploiement des magistrats de l’instruction, accompagné si l’on souhaite qu’elle soit effective de moyens humains conséquents. En effet, si trois juges sont nécessaires pour chaque affaire à instruire, cela signifie à terme une concentration des juges d’instruction au sein de pôles de l’instruction et donc dans les grandes villes. Se pose donc le problème de la refonte de la carte judiciaire avec ses avantages en terme d’efficacité et ses inconvénients quant à une justice de proximité.
Rappelons enfin que le législateur a déjà, par le passé tenté d’imposer la collégialité de l’instruction. Il en fut ainsi de la réforme Badinter de 1985 qui resta lettre morte. Certes la réforme actuelle de la collégialité ne va pas aussi loin, mais aura-t-elle plus d’avenir ? On peut en douter vue la date prévue pour la mise en place effective de cette mesure : le 1er janvier 2010 et surtout vue la durée de vie très brève des lois relatives à la procédure pénale.
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