Les 30 ans du CECOS
Alsace : « Gamètes, projet parental et filiation »
Journées d’étude des 8 et 9
octobre 2008
L’anonymat
des dons : le regard du juriste
par
Frédérique GRANET-LAMBRECHTS, Professeur à l’Université de Strasbourg,
Directrice
du Centre de Droit Privé fondamental (EA 1351),
Responsable
du Master 2 en droit de la famille
Le droit tend à réguler la vie sociale et
les rapports sociaux. L’anonymat y a une vocation résiduelle. A partir de la
distinction fondamentale en droit entre les personnes et les choses, les
situations sont qualifiées, classées en catégories auxquelles correspond un
régime juridique.
En ce qui concerne les personnes, dans la
vie juridique et sociale, chacune d’elles doit être identifiée et nommée, en
principe en fonction de sa filiation légale. Le droit des personnes et de la
famille français ménage néanmoins une place à l’anonymat et au secret qui
constituent deux notions distinctes, précisons-le. L’anonymat n’engendre pas
nécessairement un secret perpétuel et le secret ne repose pas nécessairement
sur un anonymat d’origine ou entier. L’évolution récente a consisté d’une part
à réduire la sphère acceptable du secret et à composer avec le droit à la
connaissance des origines, d’autre part à bâtir une sphère nouvelle d’anonymat
absolu dans les lois de bioéthique de 1994.
La part du secret a certes
régressé : c’est ainsi par exemple que des parents ne peuvent plus
abandonner leur tout jeune enfant avec demande du secret de leur identité. La
plupart des enfants abandonnés peu après leur naissance bénéficient d’une
adoption, mais ils peuvent souhaiter connaître leur filiation primitive
lorsqu’elle fut établie avant le jugement d’adoption. La culture du secret a
profondément reculé dans l’adoption et il est aujourd’hui vivement conseillé
aux adoptants d’informer l’enfant dans son plus jeune âge sur le fait qu’il a
été adopté.
L’anonymat enveloppe par définition
l’accouchement sous X qui demeure permis et aménagé par la loi : il tend à
protéger la santé et la sécurité du nouveau-né et de la femme qui lui donne
naissance et qui se trouve le plus souvent en situation de grande détresse.
Pourtant si l’anonymat est de nature à procurer à cette femme une garantie de
secret perpétuel, une loi du 22 janvier
Le droit de connaître ses origines, qui
au demeurant n’inclut pas un droit à l’établissement de la filiation, est
aujourd’hui reconnu : c’est un acquis récent.
A l’inverse, une politique de l’anonymat
intégrant un secret très strictement protégé est voulue par la loi en cas de
don de gamètes ou d’accueil d’embryon.
L’anonymat est la règle et c’est une
règle quasi-absolue dans les lois de bioéthique depuis leur entrée en vigueur
en 1994 pour les dons d’organes, de tissus ou de cellules et c’est aux dons de
gamètes que cette solution est applicable avec la plus grande fermeté, qu’il
s’agisse d’un don de sperme ou d’un don d’ovocyte. Elle est inscrite dans le
Code de la santé publique et dans le Code civil, son respect étant en outre sanctionné
par le Code pénal.
Pourquoi
le législateur a-t-il posé ce principe absolu d’anonymat des dons de
gamètes ? Comme pour les dons d’organes, il s’agit tout à la fois outre
des considérations de santé publique, de protéger la dignité de la personne dont
la loi considère qu’elle ne fait qu’un avec son corps ; il s’agit
d’empêcher qu’un individu démuni en arrive à vendre des éléments de son corps,
d’empêcher les trafics criminels d’éléments du corps humain et en ce qui
concerne spécifiquement l’assistance médicale à la procréation, il s’agit
encore d’en contrôler l’accès et la mise en œuvre à travers la notion de projet
parental et sur fond de polémique récurrente à propos d’un droit à l’enfant
revendiqué par les uns, contesté par les autres. Il n’y a d’ailleurs pas de
consensus en Europe sur la notion de projet parental et sur les bénéficiaires
potentiels des techniques médicales de procréation assistée.
Anonymat
rime avec gratuité : l’un a vocation à garantir l’autre. Au-delà, il
convient de reconnaître que l’anonymat des dons de gamètes porte également la
marque de la tradition française classique du secret issue de l’adoption
plénière. Pour justifier l’anonymat des dons de sperme ou d’ovocyte, on invoque
encore classiquement la crainte de dissuader les donneurs et donc de tarir les
dons et celle de troubler le couple parental bénéficiaire ainsi que l’enfant
ainsi conçu.
Face
à cet ensemble de considérations, jusqu’où l’anonymat du donneur produit-il des
implications dans les règles de droit et est-ce une conception partagée en
Europe à notre époque où un débat est engagé sur l’existence d’un droit à la
connaissance des origines comme élément de la vie privée et donc comme droit
fondamental de tout homme, mais où son périmètre est discuté ? C’est ce
large questionnement que je vous propose d’aborder et qui pourra constituer la
base des discussions ultérieures.
D’un point de vue sanitaire tout
d’abord, la nécessité thérapeutique a conduit le législateur à permettre aux
médecins, mais à eux seuls, d’accéder à des informations relatives au donneur
et au receveur. Il faut toutefois souligner que ce sont des informations
limitées : elles sont non identifiantes et de nature exclusivement
médicale (art. 16-
Quelle peut être alors la filiation
légale d’un enfant conçu grâce à un don de gamètes ? Alors que la
filiation par le sang est très largement fondée sur la vérité biologique qu’il
est aisé de prouver par voie d’expertise ADN en cas de contentieux, la loi
occulte le don de gamètes pour une large part en ce qui concerne
l’établissement de la filiation et renvoie au droit commun : la filiation
maternelle est établie par la désignation de la femme accouchée dans l’acte de
naissance, comme en droit commun, que la mère soit ou non mariée et sans
considération pour un don d’ovocyte le cas échéant. C’est l’accouchement qui
fait la mère légale chaque fois qu’elle est désignée dans l’acte de naissance,
ce qui n’est pas obligatoire en droit français.
En
ce qui concerne l’établissement de la filiation paternelle, il convient de
distinguer comme en droit commun selon que le couple parental bénéficiaire du
don est marié ou non. Quand le couple bénéficiaire est marié, il est en
principe fait application de la présomption de paternité et le mari est
légalement présumé le père, sans considération pour le fait que l’enfant a été
conçu grâce à un don de sperme ; le consentement du mari à la mise en
œuvre d’une assistance médicale à la procréation avec donneur emporte la
présomption légale de sa paternité. Au contraire, quand le couple parental
bénéficiaire n’est pas marié et vit en concubinage, le consentement donné à
l’assistance médicale ne suffit pas à l’établissement d’un lien de filiation
paternelle à l’égard du concubin de la mère : il faut une reconnaissance
expresse de sa part ou qu’il confère à l’enfant la possession d’état
(c'est-à-dire, en schématisant, qu’il se
comporte à l’égard de l’enfant en qualité de père) et que celle-ci soit
constatée par le juge puis ce lien de filiation inscrit en marge de l’acte de
naissance. A défaut, la mère pourrait assigner son partenaire, ou plus
vraisemblablement son ex-partenaire dans un tel contexte, en responsabilité
pour obtenir réparation du préjudice qu’il lui a causé ainsi qu’à l’enfant.
Elle pourrait aussi obtenir un jugement déclaratif de paternité rendu sur la
seule base du consentement donné par lui à la conception de l’enfant grâce à un
don de sperme. Mais la mère est libre d’agir ou non et donc de laisser l’enfant
sans père légal, toute perspective orientée vers le donneur étant
rigoureusement exclue par la loi : aucun lien de filiation envers le
donneur, ni aucune action en responsabilité dirigée contre lui ne sont tolérés
par la loi (art. 311-
Quant à la contestation de sa
filiation lorsqu’elle est établie, des règles spécifiques lui sont applicables puisque
par dérogation au droit commun, « le consentement donné à une procréation
assistée interdit toute action en contestation de filiation… à moins qu’il ne
soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement
assistée ou que le consentement a été privé d’effet » (art. 311-20, al.
Le système français s’impose-t-il
comme le seul concevable ou comme le plus sage ? Pour tenter de dégager
quelques pistes de réflexion sur cette question, on commencera par ébaucher
très rapidement les grandes orientations retenues dans les législations en
Europe à propos des dons de gamètes ou d’embryons.
Comme en France, le don de sperme est le
plus souvent expressément permis par la loi, ou tout au moins il est pratiqué
en l’absence de dispositions prohibitives. Tel est le cas par exemple en
Allemagne (loi du 13 décembre 1990), en Belgique (loi du 6 juillet 2007
relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des
embryons surnuméraires et des gamètes), en Croatie, en Espagne (loi n° 35/1988
du 22 novembre 1988 relative aux techniques de procréation médicalement
assistée), en Hongrie, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Pologne, au Royaume-Uni
(loi sur la fécondation et l’embryologie humaine de 1990), en Suède ou en
Norvège.
Le
don de sperme n’est prohibé que dans un nombre réduit d’Etats en Europe,
notamment en Autriche, en Lituanie et en Turquie (règlement n° 24359 relatif à
la procréation assistée).
Les législations européennes sont moins
ouvertes en ce qui concerne le don d’ovocyte qui est une réalité plus récente.
Comme en France, il est actuellement expressément autorisé ou pratiqué par
exemple en Belgique, en Espagne, en Grèce, au Royaume-Uni (loi sur la
fécondation et l’embryologie humaine de 1990), mais il est expressément
interdit en Allemagne (loi du 13 décembre 1990), en Autriche, en Suisse (art.
24, al. 2, let. d de la Constitution fédérale ; loi du 18 décembre 1998,
entrée en vigueur le 1er janvier 2001 sur la procréation
médicalement assistée), en Lituanie, en Croatie et en Turquie (règlement n°
24359 relatif à la procréation assistée).
Enfin, le don d'embryon est permis en France,
en Belgique, en Espagne, au Royaume-Uni (loi sur la fécondation et
l’embryologie humaine de 1990), mais il est prohibé en Allemagne (loi du 13
décembre 1990), en Autriche, en Suisse (art. 24, al. 2, let. d de la
Constitution fédérale ; loi du 18 décembre 1998, entrée en vigueur le 1er
janvier 2001 sur la procréation médicalement assistée) et en Turquie (règlement
n° 24359 relatif à la procréation assistée).
Si l’on confronte le droit français aux
droits étrangers, on peut faire plusieurs observations.
En premier lieu, la rigueur des législations qui
prohibent tout don de gamètes et d’embryon et la notion même de projet parental
appellent quelques remarques.
Sur
le premier point, le droit autrichien prohibe le don de gamètes et l’Autriche
fait l’objet d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme de la
part d’un couple marié qui ne pourrait procréer qu’en bénéficiant d’un don de
sperme. La recevabilité de la requête a été admise sur le fondement d’une
atteinte discriminatoire au droit à la vie privée (violation des articles 8 et
14 combinés de la convention), la décision sur le fond n’étant pas encore
rendue (affaire Haller / Autriche).
Sur
le second point relatif à la notion de projet parental, une importante
différence oppose d’une part la conception dominante, dont la conception
française retenue dans les lois de bioéthique n° 94-653 et n° 94-654 du 29
juillet 1994 révisées par la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 qui n’a cependant
pas apporté de modification sur ce point-là, et d’autre part celle de quelques
Etats, dont la loi belge du 6 juillet 2007 relative à la procréation
médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des
gamètes qui se réfère aussi au projet parental d’un couple, mais retient en
outre celui de « toute personne ayant pris la décision de devenir parent
par le biais d’une procréation médicalement assistée, qu’elle soit effectuée ou
non au départ de ses propres gamètes ou embryons ».
La loi belge vise expressément un couple
ou une femme seule, cette dernière situation étant encore possible aux Pays-Bas[2],
en Grèce (art. 1456, c. civ., loi n° 3089 du 19 décembre 2002 sur l’assistance
médicale à la procréation humaine, entrée en vigueur le 23 décembre 2002) et
depuis le 1er juillet 2005 en Suède. Enfin, en Norvège, le Parlement
vient à son tour d’admettre cette possibilité dans une loi votée le 11 juin
2008 et dont l’entrée en vigueur pourrait intervenir en fin d’année ou en début
d’année 2009 : cette loi donne aux couples lesbiens le droit de bénéficier
d’une insémination artificielle grâce à un don de sperme.
En France aujourd’hui, les débats sur la
procréation assistée se trouvent affectés par les aspirations vivement
exprimées de certains couples de même sexe à la fondation d’une famille grâce à
des procédés variables selon l’identité sexuelle des uns et des autres, l’accès
à une parentalité commune grâce à un exercice partagé de l’autorité parentale
par voie de délégation - à défaut de la possibilité d’une adoption de l’enfant
de l’autre partenaire selon la jurisprudence très ferme et répétée de
En deuxième lieu, sans remettre en cause
la prohibition de tout établissement de la filiation entre l’enfant et le
donneur, on peut poser le problème de savoir si l’on pourrait imaginer que
l’enfant puisse accéder à l’identité du donneur au titre du droit à la
connaissance de ses origines proclamé par l’article 7 de
Sur
ce point encore, les solutions pratiquées à l’étranger, qui s’avèrent
diversifiées, peuvent constituer autant de pistes de réflexion, voire des
sources d’inspiration le cas échéant.
Depuis
1985 en Suède (loi n° 1140 du 20 décembre 1984 sur l’insémination artificielle,
entrée en vigueur le 1er mars 1985), l’enfant peut se faire
communiquer des informations relatives au donneur de sperme telles qu’elles ont
été consignées dans le registre de l’hôpital, mais on a pu regretter les effets
induits par ce système sur le nombre des donneurs qui aurait diminué. Certaines
législations ont pourtant adopté cette orientation et c’est le cas en Finlande
(Loi sur la procréation assistée n° 1237/2006), au Canada, en Nouvelle-Zélande,
en Suisse (où la Constitution fédérale, dans son article 119 lettrine g,
reconnaît à chacun un droit d’accéder aux données relatives à son ascendance)
et en Allemagne, ou encore en Norvège où tout don anonyme de sperme a même été
interdit à l’avenir par une loi entrée en vigueur le 1er janvier
2005 et c’est encore le cas au Royaume-Uni depuis une réforme entrée en vigueur
le 1er avril 2005. Mais comme en France, d’autres lois ne permettent
que l’accès à des données d’ordre médical et non identifiantes : il en est
ainsi par exemple en Grèce, en Italie ou en Espagne.
La
question demeure fortement discutée et une évolution est sans doute en germe.
* * *
[1] Dans leur immense majorité, les enfants nés sous X bénéficient d’une adoption plénière.
[2] Etant précisé qu’aux Pays-Bas comme en Belgique, les époux peuvent être du même sexe et qu’aucune distinction n’est faite au regard de l’adoption conjointe d’un enfant ou de l’adoption par un époux de l’enfant de l’autre lorsque celui-ci n’a pas de second lien de filiation par le sang légalement établi. En Norvège, la loi votée le 11 juin 2008 permet également le mariage et l’adoption conjointe par des époux du même sexe, ainsi que l’accès à la procréation médicalement assistée pour une femme seule ou vivant en couple lesbien. En revanche, en Espagne, si le mariage et l’adoption conjointe ont été admis en faveur des couples homosexuels par une loi du 1er juillet 2005, la procréation médicalement assistée ne leur est pas autorisée et la gestation pour autrui est prohibée.