par Frédérique GRANET-LAMBRECHTS,
Professeur à
l’Université de Strasbourg,
Directrice du
Centre de Droit Privé Fondamental (EA 1351)
et responsable
du Master en droit de la famille
Plusieurs événements ont
marqué plus particulièrement l’année 2007 et les premiers mois de l’année 2008
en ce qui concerne l’enfant, qu’il s’agisse de la filiation, de l’autorité
parentale, de la parentalité ou encore de la protection de l’enfance.
On signalera en commençant par l’année
2007 une tentative de ratification de l’ordonnance du 4 juillet 2005 -sans
modification sur le fond- par la loi du 5 mars 2007 relative à la protection
juridique des majeurs ; toutefois, introduite par voie de cavalier, la
disposition a été invalidée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du
1er mars 2007 (Cons. Const., déc. n° 2007-552 DC, 1er
mars 2007 : voir A. Astaix, Protection juridique des majeurs : le
Conseil constitutionnel censure les cavaliers législatifs, D. 2007, p. 645). Le
Sénat a de nouveau débattu du projet de loi de ratification en janvier et l’a
adopté (projet de loi n° 49 ; voir le rapport n° 145 de H. de Richemont),
mais en votant plusieurs amendements de nature à affecter le sens et la
cohérence de la réforme. Il était annoncé que la question viendrait à l’ordre
du jour de l’Assemblée Nationale le 26 mars, ce qui n’a pas été le cas. Si les
députés votaient le projet ainsi amendé dans des termes identiques, un certain
nombre de règles seraient modifiées, ce qui susciterait du même coup des
problèmes délicats d’application dans le temps.
Par ailleurs et concernant
le droit positif de la filiation, de nombreux arrêts importants méritent d’être
signalés, certains d’entre eux ayant fait l’objet d’une large médiatisation.
L’année 2007 a encore été
marquée par la réforme de la protection de l’enfance réalisée par une loi du 5
mars qui, entre autres innovations, élève au rang de droit pour tout mineur
doué de discernement celui d’être entendu sur sa demande dans toutes les
procédures le concernant, ou encore l’institution en faveur d’un enfant d’une
dispense d’exécution de l’obligation alimentaire à l’égard de ses parents
lorsqu’il a été dans les douze premières années de sa vie retiré de son milieu
familial par une décision judiciaire pendant une durée cumulée de trente-six
mois au moins.
De façon plus générale et dans
la continuité du passé, on soulignera un renforcement des dispositions tendant
à la protection de l’enfance et des droits de l’enfant avec notamment d’une
part un élargissement des compétences de la Défenseure des enfants dont les
missions et les réalisations sont progressivement mieux connues et valorisées, et
d’autre part la publication de la Convention européenne sur l’exercice des
droits des enfants par le décret n° 2008-36 du 10 janvier 2008 (JO 12 janv.).
I- La filiation par le sang
La triste question du décès
périnatal et de son de appréhension par le droit confrontée à la difficulté
pour les couples concernés de réaliser le travail de deuil tout en devant
surmonter un sentiment d’incompréhension de la part des autorités publiques
vient d’être au cœur de trois décisions rendues le 6 février 2008 par la Cour
de cassation (arrêts n° 06-16.498, n° 06-16.499 et n° 06-16.500). Elle casse fermement
des arrêts de la Cour de Nîmes qui n’avaient fait que suivre la lettre de la
circulaire interministérielle n° 2001-576 du 30 novembre 2001 pour refuser à
des couples l’établissement d’un acte d’enfant sans vie avec inscription des
prénoms choisis pour des fœtus pesant respectivement 400 grammes et 286 grammes
après 21 semaines d’aménorrhée, et 155 grammes après 18 semaines d’aménorrhée. En
effet, cette circulaire qui se réfère aux seuils préconisés par l’OMS ne
prévoit l’établissement d’un acte d’enfant sans vie qu’à partir du seuil de 22
semaines d’aménorrhée ou de 500 grammes de poids et en-dessous, elle exclut
tout enregistrement à l’état civil et donc toute désignation de l’enfant espéré.
La Première chambre civile décide qu’ « en statuant ainsi, alors que
l’article 79-1, alinéa 2, du code civil ne subordonne l’établissement d’un acte
d’enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse, la cour
d’appel, qui a ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoit pas, l’a
violé ». Mais il ne faudrait pas se méprendre sur la portée de ces arrêts,
comme cela ressort de son communiqué où il est précisé qu’elle a simplement
voulu « indiquer que l’article 79-1 du Code civil ne subordonnant
l’établissement d’un acte d’enfant sans vie à la suite d’un accouchement
pouvait être inscrit sur les registres de décès de l’état civil, quel que soit
son niveau de développement » et inviter le législateur à se prononcer sur
la définition de l’enfant sans vie. Pour l’heure et très concrètement, le
couple peut prénommer l’enfant attendu et faire inscrire une mention
administrative dans le livret de famille. Mais aujourd’hui comme hier, il ne peut
pas lui transmettre un nom de famille puisqu’ aucun lien de filiation ne peut
être établi et il n’y a pas d’acquisition de la personnalité juridique. Le « corps »
peut être remis au couple qui peut prévoir les obsèques en application du
décret n° 2006-965 du 1er août 2006. On peut enfin signaler qu’en
matière de prestations sociales, le décret n° 2008-32 du 9 janv. 2008 complété
par un arrêté de la même date (JO 11 janv., p. 623 et 630) a ouvert à compter
de son entrée en vigueur le droit au congé de paternité indemnisé en cas de
naissance sans vie à condition de fournir une copie de l’acte d’enfant sans vie
et un certificat médical d’accouchement d’un enfant né mort et viable sans
plus exiger corrélativement l’établissement de la filiation paternelle (art.
mod. D.331-4 et D.613-10, C. séc. Soc.).
S’agissant maintenant des
enfants nés vivants et viables pour lesquels seulement se posent les questions
de droit de la filiation, il s’agit de faire le point sur la jurisprudence et
sur les perspectives de modification de l’ordonnance du 4 juillet 2005 telles
qu’elles se dégagent du vote du projet de loi de ratification par le Sénat.
A-
La filiation maternelle
La
règle générale de l’établissement de la filiation maternelle par l’acte de
naissance lorsqu’il désigne la mère s’est aussitôt imposée dans l’esprit de la
communauté des juristes et des praticiens de l’état civil tant son bien-fondé
était évident et il n’y aurait rien à dire de particulier sur ce point si le
Sénat n’avait pas entendu modifier une disposition périphérique, à savoir le
nouvel article 326 qui a remplacé l’ancien article 341-1 et qui tire de
l’accouchement sous X une fin de non-recevoir à une action de l’enfant en
recherche de sa filiation maternelle. Le Sénat a voté l’abrogation de cette
disposition (projet de loi n° 49, art. 1er, II, 7°). En pratique,
cette fin de non-recevoir n’a vocation qu’à une incidence minime et la
jurisprudence n’a d’ailleurs jamais révélé d’application concrète depuis la loi
du 8 janvier 1993, soit durant quinze années, car il serait extrêmement difficile
pour l’enfant, par hypothèse non adopté plénièrement, de percer le secret de
l’identité de la femme qui lui a donné naissance sous X pour l’assigner en
recherche. Il est vrai que l’on a pu discuter de la conformité de l’ancien
article 341-1 à la Convention européenne des droits de l’homme du fait de
l’absence de fin de non-recevoir symétrique dans une action en recherche de
paternité ; en d’autres termes, parce qu’il n’y a pas de paternité sous X.
Mais depuis, le législateur a créé par une loi du 22 janvier 2002 le Conseil
National d’accès aux origines personnelles et aménagé un processus par lequel
une femme accouchant sous X est invitée à laisser sous pli confidentiel
conservé par le CNAOP des indications identifiantes ou non sur l’origine de
l’enfant, afin qu’au cas où ce dernier demanderait un jour à en prendre
connaissance, il puisse y accéder, voire connaître l’identité de sa mère de
naissance dans l’hypothèse où elle y consentirait (à défaut, le dossier de
pupille de l’Etat de l’enfant lui serait communiqué sur sa demande, mais après
occultation le cas échéant de toute indication identifiante relative à la mère
de naissance, de sorte qu’aucune atteinte ne pourrait être réputée portée à la
vie privée de l’intéressée : voir en ce sens C. E., réf., 25 oct. 2007,
Juris-Data n° 072551). La Cour Européenne n’a pas condamné la France dans l’arrêt
Odièvre (CEDH, 13 fév. 2003, JCP 2003, G II, 10049, note F. Sudre et A.
Gouttenoire), considérant que les intérêts en présence ne peuvent être tous
satisfaits et que la législation française réalise dans ce contexte un juste
équilibre, même si la question précise de la conformité de la fin de
non-recevoir à la Convention ne fut pas tranchée, pas plus que dans le récent arrêt
du 10 janvier 2008 où la France n’est pas non plus condamnée (CEDH, 10 janv.
2008, affaire Kearns/France, req. n° 35991-04, AJ Famille 2008, p.78, obs. F.
Chénédé). On peut enfin signaler que l’argument d’une prétendue discrimination préjudiciable
aux hommes a été écarté par la Cour de Bordeaux dans un arrêt du 29 janv. 2008
(Juris-Data n° 355095). Bien sûr, dans l’hypothèse où l’Assemblée nationale
voterait dans les mêmes termes l’amendement envisagé, il ne serait guère
envisageable d’en faire une application rétroactive car dans le cas contraire,
là où la jurisprudence antérieure n’a jamais révélé de difficultés, il pourrait
en surgir de sérieuses.
A
propos de la conformité du droit français à la Convention européenne des droits
de l’homme, la Cour de Strasbourg s’est aussi récemment prononcée sur les
dispositions relatives à l’information donnée à une femme qui accouche sous X et
à la durée du délai de rétractation pendant lequel elle peut reconnaître
l’enfant. La France n’a pas été condamnée (affaire Kearns/France, préc.). On se
souvient que la Cour de Douai ayant ordonné la restitution d’un enfant à une
jeune femme irlandaise venue en France accoucher sous X, la Cour de cassation
avait cassé sans renvoi (Cass. civ. I, 6 avr. 2004, D. 2005, pan. p. 1749, obs.
F. Granet-Lambrechts). La requête portée par cette femme devant la Cour
européenne a été écartée.
B-
La filiation paternelle
Hormis la discussion sur
l’admission en droit français des reconnaissances maritales, c’est évidemment
le contentieux de l’établissement mais plus encore de la contestation de la
filiation paternelle qui demeure quantitativement important tant que l’on aura
pas évacué les affaires pendantes ou donnant lieu à l’exercice de voies de
recours (appel ou pourvoi) à la date de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du
4 juillet 2005, soit le 1er juillet 2006. Les premières décisions
rendues en application de la réforme sont certes rendues, mais sans surprise,
la question centrale restant celle de la preuve de la paternité ou de la
non-paternité dans le contexte d’une jurisprudence bien établie à propos du
droit à l’expertise biologique. Pourtant, la Cour de cassation précise peu à
peu sa solution, comme on va le voir. En revanche, c’est l’avenir qui permettra
d’évaluer la portée pratique du net rétrécissement des délais des actions en
contestation.
1°)
La perspective des reconnaissances
maritales
Lorsque son épouse a
déclaré la naissance de l’enfant sans indiquer son nom en qualité de père, le
mari peut-il faire tout simplement une reconnaissance devant n’importe quel
officier de l’état civil plutôt que de prendre un avocat en vue d’intenter une
action en rétablissement des effets de la présomption pater is est ? C’est bien une réponse positive que la circulaire
du 30 juin 2006 a proposée et que le Sénat retient à son tour par voie
d’amendement à l’article 315 (projet de loi n° 49, art. 1er, II, 5°,
b).
2°)
L’établissement de la filiation paternelle par la possession d’état
La possession d’état est un
mode d’établissement de la filiation selon l’alternative suivante : soit
elle est constatée par un acte de notoriété délivré par le juge d’instance,
soit elle est constatée par le TGI à l’issue d’une action en constatation.
Si la Cour de cassation
rappelle à chaque occasion les juges du fond au nécessaire respect de la règle
d’ordre public selon laquelle le Parquet doit avoir communication des causes
relatives à la filiation (art. 425 NCPC), ce qui inclut les actions aux fins
d’établissement ou de contestation et l’action à fins de subsides, elle a
précisé qu’en revanche cette disposition n’est pas applicable à une demande
d’acte de notoriété faite au juge des tutelles sur le fondement de l’ancien
article 311-3 aux fins de constater la possession d’état (Cass. civ. 1ère,
4 juil. 2007, Juris-Data n° 039913) et cette solution conserve sa valeur pour
la mise en oeuvre du nouvel article 317.
En
ce qui concerne la computation du délai décennal institué par le nouvel article
330 pour l’action en constatation devant le TGI, le Sénat a voté un amendement précisant
qu’en cas de décès du parent prétendu, la prescription courrait à compter de la
date de celui-ci et a inscrit la même solution à l’alinéa 3 de l’article 317 et
dans l’alinéa 1er in fine de
l’article 333 (projet de loi n° 49, art. 1er, II, 8° ; art. 1er,
II, 6° et 9°, b).
3°)
Les actions en contestation et les conflits de paternités
Signalons pour commencer un
arrêt important rendu au visa de l’article 2223 du Code civil et par
lequel la Cour de cassation a décidé à propos de l’action en contestation de la
paternité du mari fondée sur l’ancien article 322 a contrario que « les juges ne peuvent relever d’office le moyen
tiré de la prescription ; que cette règle s’applique lors même que la
prescription est d’ordre public » (Cass. civ. I, 6 mars 2007), ce qui
marque un net contraste entre délai préfix à peine de forclusion et délai de
prescription. La solution est transposable aux délais de prescription prévus
par l’ordonnance de 2005. Pourtant, l’impossibilité pour le tribunal de relever
d’office la fin de non-recevoir tirée de l’accomplissement de la prescription
heurte l’indisponibilité de la filiation en tolérant des accords tacites et
soulève la question de savoir quelles incidences tirer de l’absence de défense
par l’une des parties ou du défaut de comparaître, alors que parmi les
objectifs de la réforme figurait la volonté de sécuriser le lien de filiation.
L’ordonnance du 4 juillet 2005 ne connaît plus guère de délais de forclusion
sous réserve du délai visé à l’alinéa 2 de l’article 333 qui a d’ailleurs
été complété par le Sénat pour préciser que la forclusion ne concernerait pas
une action en contestation exercée par le ministère public afin de ne pas
limiter la lutte contre les fraudes (projet de loi n° 49, préc., art. 1er,
II, 9°, b).
Sur la durée des délais de
prescription, la filiation établie par la possession d’état constatée par acte
de notoriété peut être contestée dans les cinq ans de la délivrance de l’acte
(art. 335 actuel, C. civ.). Un amendement voté au Sénat tend à soumettre
l’action au délai décennal du droit commun institué par l’article 321, par
harmonisation avec le délai de la tierce opposition contre un jugement rendu en
vertu de l’article 330 dans une demande en constatation de la possession d’état
(projet de loi n° 49 préc., art. 1er, II, 10°).
A propos des conflits de
paternités, dans la perspective de redorer le blason du mariage, si c’est possible,
et corrélativement de la présomption pater
is est, il est envisagé d’insérer dans le Code civil un article 336-1
tendant à trancher le conflit de filiations provoqué par l’inscription d’une
filiation paternelle à l’égard du mari dans l’acte de naissance sur les
indications du déclarant (le mari lui-même ou son épouse s’ils sont
réconciliés) lorsqu’une reconnaissance paternelle prénatale avait déjà été faite
(projet de loi n° 49, art. 1er, II, 11°). Dans cette situation,
l’officier de l’état civil serait tenu d’en aviser sans délai le procureur de
la République qui saisirait la juridiction compétente aux fins de résoudre le
conflit.
4°)
Les arrêts importants relatifs à l’expertise biologique
En
matière de filiation, l’expertise biologique est de droit sauf motif légitime
de ne pas y procéder. La solution vaut pour toutes les actions relatives à la
filiation à l’exception de l’action en constatation de la possession d’état et
elle est étendue à l’action à fins de subsides (voir encore Cass. civ. I, 12
déc. 2007, Juris-Data n° 041931) sans que le défendeur puisse se retrancher
derrière l’allégation d’une prétendue responsabilité de la mère quant à la
naissance de l’enfant sous le prétexte qu’elle s’est abstenue de toute méthode
contraceptive (Cass. civ. II, 12 juil. 2007, Juris-Data n° 040220).
Parmi les arrêts les plus
récents, on peut signaler à propos d’une action en recherche de paternité un arrêt
rendu par l’Assemblée plénière pour une raison procédurale, un second pourvoi
ayant été formé avant la décision sur le premier et dans la perspective de le
régulariser ; les deux pourvois sont jugés irrecevables (Cass. ass.
plén., 23 nov. 2007, Juris-Data n° 041612). Cet arrêt solennel a aussi été
l’occasion de rappeler que sauf motif légitime de ne pas y procéder,
l’expertise biologique est de droit même sans adminicule, y compris dans des
affaires engagées avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 4 juillet 2005.
A propos de la compétence
matérielle pour ordonner une expertise sanguine, la Cour de cassation a jugé irrecevable
le pourvoi formé contre l’arrêt confirmatif d’une ordonnance du juge de la mise
en état qui avait ordonné un telle mesure d’instruction. Le pourvoi arguait de
la compétence exclusive du TGI saisi sur le fond de l’action en recherche. La
Cour rappelle que l’arrêt ordonnant la mesure d’expertise n’est qu’un arrêt
avant dire droit et qui ne tranche pas une partie du principal, de sorte qu’il
n’est pas susceptible d’un appel immédiat : « l’expertise étant de
droit en matière de filiation, sauf motif légitime pour ne pas y procéder, le
juge de la mise en état a statué dans les limites de son pouvoir d’ordonner une
mesure d’instruction », qui n’était d’ailleurs pas fondée sur l’article
16-11 du Code civil contrairement aux termes du moyen car il ne s’agissait pas
d’une mesure d’identification par les empreintes génétiques (Cass. civ. I,
28 nov. 2007, Juris-Data n° 2007-041616). Il est vrai que les différences de
régime juridique des expertises sanguines et des analyses de l’ADN génèrent une
inutile complexité et autant de source de confusion sans véritable raison
d’être et que le législateur pourrait faire œuvre utile en mettant de l’ordre
sur cette question (voir d’ailleurs le rapport préc. n° 145, p. 50 de H. de
Richemont).
L’article 16-11 soumet à un régime spécifique
les expertises aux fins d’identification par les empreintes génétiques dans le
cadre d’une action relative à l’établissement ou à la contestation d’un lien de
filiation ou à une demande de subsides : la mesure doit être
« ordonnée par le juge saisi » de l’action et sa mise en œuvre
exige que les intéressés consentent aux prélèvements à effectuer ; elle
devient impossible après le décès de l’un d’eux sauf si le défunt y avait
consenti de son vivant. Ainsi, dans une affaire où devant les juridictions
tchèques, une femme avait engagé au nom de son enfant adultérin une action en
recherche contre le prétendu père défunt, la Cour de cassation a rejeté le
pourvoi formé par l’épouse survivante et l’enfant né du mariage qui invoquaient
la violation de l’article 16-11 et du principe contradictoire pour critiquer un
arrêt confirmatif d’une ordonnance sur requête du président du TGI qui avait
autorisé, aux fins d’analyse médico-légale en République tchèque, la
communication d’échantillons sanguins du défunt recueillis et conservés en
France lors d’une intervention chirurgicale. La Cour décide que « c’est à
bon droit et sans dénaturer l’ordonnance sur requête dont la rétractation était
sollicitée, que l’arrêt retient que la mesure se borne, alors qu’une action en
recherche de filiation naturelle est en cours à l’étranger, à autoriser la
communication d’éléments déjà prélevés et indispensables à une expertise
médico-légale, ne constitue pas une mesure d’identification d’une personne par
ses empreintes génétiques, soumise à l’article 16-11 du Code civil… [et]
qu’ayant relevé que l’ordonnance sur requête initiale, à laquelle étaient
joints divers documents, respectait les exigences de l’article 495 NCPC »
dans le contexte de « l’acuité du contentieux » et de
« l’importance des conséquences financières », l’arrêt critiqué avait
pu « déduire que la préservation du matériel biologique justifiait
l’absence de contradiction » (Cass. civ. I, 4 juin 2007, AJ Famille 2007,
p. 354, obs. F. Chénédé).
Pourtant, sur l’avenir des solutions
actuelles en droit français, il faut garder prudence et ne pas perdre de vue la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui a condamné la Suisse au motif d’une
violation de l’article 8 de la convention pour n’avoir pas ménagé un juste
équilibre entre d’une part les intérêts concurrents du requérant à connaître sa
filiation et d’autre part le droit au respect du corps du défunt et des tiers à
l’intangibilité du cadavre de celui-ci ainsi que la nécessaire protection de la
sécurité juridique (CEDH, 13 juil. 2006, arrêt Jäggi/Suisse, requête n°
58757/00). Il est néanmoins prématuré d’en tirer la conclusion qu’une
modification de la loi française s’imposerait en ce qu’elle interdit une
expertise génétique post mortem sauf
consentement exprimé de son vivant par la personne.
Enfin, on peut rappeler que
la Cour de cassation juge infondée l’allégation de l’inviolabilité du corps
humain (Cass. civ. I, 14 nov. 2007, Juris-Data n° 041427). Elle avait déjà
relevé qu’une analyse de l’ADN peut être réalisée sur un prélèvement salivaire
par exemple et donc en dehors de toute atteinte corporelle.
En matière de preuve dans
les actions en contestation qui sont un domaine privilégié pour les expertises
biologiques, un motif de ne pas ordonner la mesure d’instruction peut être tiré
de l’existence d’un ensemble de preuves convaincantes de la paternité. A ainsi
été rejeté le pourvoi formé par un enfant, après le décès de son père, dans une
action en contestation d’un acte de notoriété dressé au profit d’un cohéritier
sur la base de divers témoignages et des déclarations du défunt lui-même
confortés par de nombreuses lettres et photographies prises lors de fêtes
familiales (Cass. civ. I, 19 sept. 2007, Juris-Data n° 040373). Peu importe le
défaut de reconnaissance paternelle lorsqu’une possession d’état paisible,
continue et non équivoque a été constatée et est inscrite dans l’acte de
naissance.
Pour
refuser d’ordonner une expertise sans pour autant méconnaître l’article 8 de la
Convention européenne des droits de l’homme, les juges du fond peuvent encore
tirer un motif légitime de l’irrecevabilité d’une action en contestation d’un
lien de filiation parce qu’il est établi par un titre et par la possession
d’état conforme (voir Cass. civ. I, 20 fév. 2007, Juris-Data n° 037574).
Semble plus délicate à
apprécier la valeur d’un motif résultant à mots couverts de l’intérêt de
l’enfant en tant que considération supérieure et tiré du risque de conséquences
psychologiques graves d’une mesure d’expertise si elle était ordonnée sur un
jeune de quinze ans reconnu dès sa naissance par un homme qui l’a ensuite
toujours élevé auprès de son épouse, alors qu’après s’en être désintéressée
jusqu’alors, la mère conteste subitement cette paternité pour reprendre l’enfant
(voir TGI Lyon, 5 juil. 2007, D. 2007, jur. p. 3052, note A. Gouttenoire).
En dernier lieu, dans une
action engagée par le grand-père paternel, et finalement jugée abusive, en
contestation de la reconnaissance d’un enfant faite par son fils et alors que
l’administrateur ad hoc du mineur
s’oppose à une exhumation du cadavre, il n’y a pas lieu non plus d’ordonner un
examen comparé des sangs, le père ayant toujours clairement montré sa volonté
d’assumer sa paternité et son attachement à l’enfant (Cass. civ. I, 25 avril
2007, Juris-Data n° 038503 ; AJF 2007, p. 273, obs. F. Chénédé).
Pour
finir, on signalera rapidement que l’action à fins de subsides n’était pas
incluse dans la portée de la réforme opérée par l’ordonnance du 4 juillet 2005
et que le Sénat a voté un amendement tendant à aligner le délai de cette action
(art. 342) sur celui de l’action en recherche (art. 328 : projet de loi n°
49, art. 1er, 2, 12°).
A-
L’agrément en vue d’une adoption
A propos d’un agrément en vue d’une adoption demandé par une femme homosexuelle mais à laquelle un refus fut opposé, on signalera le revirement opéré par la Cour Européenne qui a condamné la France dans son arrêt E.B./ France rendu le 22 janvier 2008 (req. n° 43546/02 : voir obs. F. Chénédé, AJ Famille 2008, p. 76), alors que dans l’affaire Fretté/France (CEDH, 26 fév. 2002, requête n° 36515/97), elle n’avait pas prononcé de condamnation mais à une très faible majorité (4 voix contre 3). Dans l’affaire E.B., une française âgée de 45 ans, enseignante dans une école maternelle et vivant en couple homosexuel depuis 1990, avait demandé la délivrance d’un agrément en vue d’adopter un enfant, ce qui lui fut refusé au motif qu’un enfant serait privé de « repères identificatoires » en l’absence de référent paternel et que la compagne de la requérante avait une attitude ambigüe par rapport à la procédure d’adoption envisagée dans la mesure où elle n’entendait pas s’investir dans l’accueil d’un enfant. Suite à la décision du Conseil d’Etat du 5 juin 2002 qui marquait l’épuisement des voies de recours internes, l’intéressée forma une requête devant la Cour européenne sur le fondement d’une prétendue violation par la France des articles 8 et 14 de la convention du fait d’une discrimination résultant de l’orientation sexuelle de la requérante. La Cour décide que « les autorités internes ont, pour rejeter la demande d'agrément en vue d'adopter présentée par la requérante, opéré une distinction dictée par des considérations tenant à son orientation sexuelle, distinction qu'on ne saurait tolérer d'après la Convention (voir l'arrêt Salgueiro da Silva Mouta, précité, § 36)… En conséquence… la Cour estime que la décision litigieuse est incompatible avec les dispositions de l'article 14 combiné avec l'article 8. Partant, il y a eu violation de l'article 14 de la Convention, combiné avec l'article 8 ».
On peut néanmoins se demander si dorénavant, un refus d’agrément ne pourrait pas tout simplement être motivé par l’intérêt supérieur de l’enfant en visant l’article 3 de la Convention de New York et en étoffant ce fondement textuel par diverses circonstances spécifiques.
En vue de la révision des lois de
bioéthique annoncée en 2009, le Parlement a engagé une réflexion sur la
gestation pour autrui après un arrêt rendu par la Cour de Paris le 25 octobre
2007 ; il mérite d’être confronté à un arrêt de la Cour de Rennes qui avait
annulé la transcription dans les registres français des actes de naissance
américains de jumelles conçues avec les gamètes des deux membres d’un couple de
concubins français et remises à eux par une mère porteuse conformément à une
convention de gestation pour autrui conclue. En exécution d’un jugement rendu
selon le droit californien, ces actes désignaient la concubine pour mère en
dépit du défaut d’accouchement et les reconnaissances faites par elle furent
annulées, tandis que les reconnaissances de paternité souscrites par son
concubin étaient réputées valables, les juridictions françaises exploitant la
divisibilité de la filiation naturelle en faveur des deux enfants (CA
Rennes, 4 juil. 2002, confirmant TGI Nantes, 1er fév. 2001, D. 2002,
somm. p. 2902, obs. F. Granet-Lambrechts ; Dr. Fam. 2002, comm. n° 142,
note P. Murat). La voie plus feutrée de l’acte de notoriété n’a pas rencontré
de succès non plus puisqu’a été jugé bien fondé le refus de porter en marge du
registre des naissances un acte de notoriété constatant la possession d’état à
l’égard des époux d’un enfant né d’une mère porteuse américaine au motif que la
violation des dispositions d’ordre public de l’article 16-7 viciait la
possession d’état, de sorte qu’elle ne pouvait produire ses effets en tant que
mode d’établissement de la filiation (TGI Lille, 22 mars 2007, D. 2007, jur. p.
1251, note X. Labbée ; Dr. Fam. 2007, comm. n° 122, note P. Murat ;
RTD civ. 2007, p. 556, obs. J. Hauser).
Or la Cour de Paris a donné satisfaction
à des époux français qui avaient, eux aussi, passé une convention de mère
porteuse avec une Américaine ayant accepté cette fois de concevoir, puis de
porter un enfant à leur remettre à la naissance. Des jumelles furent conçues
avec les gamètes du mari et de la mère porteuse. Visant l’intérêt supérieur des
enfants, la cour a jugé que la transcription dans les registres français des
actes de naissance américains mentionnant les époux en qualité de père et
mère était valable (CA Paris, 25 oct. 2007, AJ Famille 2007, p. 478, obs.
F. Chénédé). Cet arrêt est cependant frappé d’un pourvoi formé par le Parquet. S’il
devait être rejeté, de nombreuses questions s’en trouveraient posées et
notamment comment trancher dans le cas où la mère porteuse ne veut pas remettre
l’enfant au couple commanditaire ou quand le couple commanditaire ne veut plus
de l’enfant, ou lorsque l’enfant est atteint d’une malformation due à un
incident lors de l’accouchement ou même accident imputable à un manque
d’hygiène de vie de la mère porteuse ?
III- L’autorité parentale et les
revendications de parentalité partagée
La
parenté, qui résulte de l’établissement légal de la filiation, doit être
clairement distinguée de la notion de parentalité. Dans les couples de même
sexe, à défaut de possibilité d’une parenté partagée par voie d’adoption de
l’enfant du partenaire, la parentalité commune vise la situation d’un enfant qui
a pour parent légal l’un des deux membres du couple seulement, le second étant
admis à partager les prérogatives d’autorité parentale sur décision de la
juridiction compétente faisant droit à une demande de délégation de l’autorité
parentale.
A-
L’exercice de l’autorité parentale
Dans le cadre du principe général d’un
exercice conjoint de l’autorité parentale y compris par des parents séparés,
une résidence alternée peut être organisée pour l’enfant par convention
homologuée par le JAF (art. 373-2-7, C. civ.) ou même par décision
autoritaire du JAF qui peut
alors prévoir une période d’essai sans toutefois y être tenu (art. 373-2-9.- Voir en ce sens Cass. civ. 1ère , 14 fév.
2006, RTD civ. 2006, p. 300, obs. J. Hauser ; Dr. Fam. 2006, comm. n° 158,
note P. Murat).
En outre,
la Cour de cassation a pu préciser qu’une résidence alternée n’implique pas un
partage égalitaire du temps passé auprès de chacun des père et mère, puisque son
aménagement est adapté aux circonstances dans l’intérêt du mineur précisément
(en ce sens Cass. 1ère civ., 25 avril 2007, Dr. Fam. 2007, comm. n° 143, note
P. Murat).
Par
ailleurs, elle rappelle régulièrement qu’il incombe à celui des père et mère
qui réclame la suppression de sa contribution à l’entretien de son enfant
majeur de démontrer l’existence de circonstances propres à y mettre fin (en ce
sens Cass. civ. I, 28 nov. 2007, Juris-Data n° 041645) et qu’ « en cas de
séparation des parents, la contribution à l’éducation et à l’entretien de
l’enfant ne peut être fixée qu’en fonction des ressources des parents et des
besoins de l’enfant » conformément aux articles 371-2 et 373-2-2, sans
prise en considération de l’attitude de l’un des ex-époux depuis le prononcé du
divorce (Cass. civ. I, 19 juin 2007, Juris-Data n° 039671).
B-
Les revendications de parentalité partagée par les couples de même sexe
La
Cour de cassation admet l’homoparentalité par voie de délégation de l’autorité
parentale si c’est l’intérêt de l’enfant, mais elle exclut l’homoparenté
en refusant l’adoption d’un enfant par le partenaire pacsé du parent légal.
Sur
le second point en revanche, la Cour de cassation a rendu deux arrêts très
fermes refusant l’adoption simple d’un enfant sans filiation paternelle par la
compagne « pacsée » de la mère légale (Cass. civ. I, 20 fév. 2007, D.
2007, Actualité jurisprudentielle p. 721, comm. C. Delaporte-Carré ; jur.
p. 1047, note D. Vigneau ; chron. C. cass. 2007, p. 891 et pan. p. 1467,
obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ Famille 2007, p. 182, obs. F. Chénédé). Dans
le deuxième arrêt rendu quelques mois après le précédent, elle a réaffirmé
cette solution en précisant que l’arrêt critiqué « n’a contredit aucune
des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme », en
l’occurrence, les articles 8 et 14, invoqués par le pourvoi (Cass. civ. I, 19
décembre 2007, AJF 2008, p. 75, obs. F. Chénédé ; Dr. Fam. 2008, comm. n°
28, note P. Murat). La solution repose sur le respect de la cohérence des dispositions
légales : « ayant relevé, d’une part, que la mère de l’enfant
perdrait son autorité parentale en cas d’adoption de son enfant alors qu’elle
présente toute aptitude à exercer cette autorité et ne manifeste aucun rejet à
son égard, d’autre part, que l’article 365 du code civil ne prévoit le partage
de l’autorité parentale que dans le cas de l’adoption de l’enfant du conjoint,
et qu’en l’état de la législation française, les conjoints sont des personnes
unies par les liens du mariage, la cour d’appel… a légalement justifié sa
décision ».
Nous
avons ainsi fait le tour des principales décisions rendues.
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