De quelques règles relatives aux infractions sexuelles contre les mineurs

 

par Sébastien J.F. HAUGER

A.L.E.R. à l’Université Robert Schuman (Strasbourg III),

Moniteur à la Faculté de Droit, de Sciences Politiques et de Gestion de Strasbourg.

 

 

Pourquoi avoir choisi de parler des infractions sexuelles dans le cadre de cette mise au point sur la loi Perben II ?

Plusieurs réponses sont envisageables…

Par vice, par obsession, sont en train de penser certains d’entre vous… peut-être !?

Mais aussi et plus sérieusement parce qu’un constat s’impose : en 1984, une affaire criminelle sur quatre était une affaire de mœurs, en 2001, c’est une affaire sur deux. De plus, il semblerait que la récidive en matière d’infraction sexuelle est commune.

Aussi, à ces statistiques ajoutez des français revendiquant davantage de sécurité, saupoudrez le tout d’un soupçon de pouvoirs publics animés d’idées parfois sécuritaires et vous obtenez le chapitre V de la loi Perben II relatives à la prévention et la répression des infractions sexuelles qu’il conviendra d’analyser sous deux angles que nous pourrions résumer ainsi mieux prévenir (I) pour mieux réprimer (II).

Malgré ses quelques mots d’introduction désinvoltes, je vais à présent vous prier de bien vouloir excuser l’aspect essentiellement descriptif de cet exposé, qui tâchera néanmoins de susciter quelques réflexions ou de renvoyer certains aspects à votre méditation.

 

 

I – De nouvelles mesures assurant une meilleure prévention

 

Les nouvelles dispositions de la loi Perben II relatives à la prévention et la répression des infractions sexuelles, créent et régissent essentiellement le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles. Le nouvel article 706-53-1 du Code de procédure pénale définit ce fichier et précise ces buts de la sorte : « Le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles constitue une application automatisée d'informations nominatives tenue par le service du casier judiciaire sous l'autorité du ministre de la justice et le contrôle d'un magistrat. Afin de prévenir le renouvellement des infractions mentionnées à l'article 706-47 et de faciliter l'identification de leurs auteurs ce traitement reçoit, conserve et communique aux personnes habilitées les informations prévues à l'article 706-53-2 (…) ».

Ses buts ainsi définis, nous examinerons successivement les personnes devant figurer dans ce fichier (A) et le fonctionnement de cette nouvelle institution (B). Nous ne nous éterniserons ni sur les « personnes habilitées », peu nombreuses, ni sur la procédure d’accès, détaillée au nouvel article 706-53-7 du Code de procédure pénale.

 

A / Les personnes devant figurer dans ce fichier

 

Le nouvel article 706-53-2 du Code de procédure pénale issu de cette loi Perben II dispose que son inscrites l’identité et les adresses successives des domiciles et résidences de personnes ayant fait l’objet d’une procédure en relation avec les infractions prévues au nouvel article 706-47 du Code de procédure pénale. Les infractions visées sont le « meurtre ou [l'] assassinat d'un mineur précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie ou pour les infractions d'agression ou d'atteintes sexuelles ou de recours à la prostitution d'un mineur – prévues aux articles 222-23 à 222-31, 225-12-1 et 227-22 à 227-27 du Code pénal. » Précisons ici que l’intitulé dudit fichier est imprécis au regard de ce qu’il entend prévenir réellement, puisque ne sont finalement visées que des infractions sexuelles commises à l’encontre de mineurs. Examinons alors à présent plus précisément les personnes visées.

 

1 – les condamnés

 

Toute individu majeur ou mineur condamné pour l’une des infractions visées à l’article 706-47 du Code de procédure pénale, y compris lorsque la condamnation émanera de certaines juridictions étrangères, ou toute personne ayant fait l’objet d’une composition pénale pour l’une de ces infractions figurera d’office dans le registre. De même, les personnes relaxées, acquittées ou ayant bénéficié d’un non-lieu sur le fondement de l’abolition du discernement consécutive à un trouble psychique ou neuropsychique figureront également dans ce fichier.

Si nous pouvons aisément comprendre que ceux-là figurent dans un tel fichier, la compréhension est moindre lorsqu’il s’agit de ces autres catégories de personnes astreintes à y figurer…

 

2 – les présumés innocents (ou « équivalents »)

 

En effet, paraîtra obligatoirement dans le fichier l’identité d’une personnes condamnée pour des faits relevant de l’article 706-47 du Code de procédure pénale dès le prononcé de la décision de première instance, celle-ci n’étant pas définitive. L’inscription sera effectuée au mépris du caractère suspensif d’un recours éventuel, voire au mépris de la présomption d’innocence en cas d’exercice effectif du recours. De plus, toujours au mépris de la présomption d’innocence, le juge d’instruction pourra ordonner l’inscription d’une personne mise en examen et sous contrôle judiciaire dans le cadre d’une affaire visée à ce même article 706-47. Les mesures du contrôle judiciaire ne suffisaient-elles pas ?

 

Nous noterons que le nouvel article 706-53-4 in fine dispose toutefois que : « Les mentions (…) sont retirées du fichier en cas de décision définitive de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement. Celles prévues au 5° sont également retirées en cas de cessation ou de mainlevée du contrôle judiciaire. »

 

Sans doute par parallélisme des formes, le législateur attentant à la présomption d’innocence a également porté gravement atteinte au pardon. Ainsi, le même article 706-53-4 dispose que : « L'amnistie ou la réhabilitation ainsi que les règles propres à l'effacement des condamnations figurant au casier judiciaire n'entraînent pas l'effacement de ces informations. » Le législateur du 9 mars 2004 semble avoir instauré une nouvelle forme d’amnistie : l’amnistie allégée, sorte de pardon surveillé. Quant à la réhabilitation, y attenter de la sorte consiste purement et simplement à priver l’institution d’effet et ipso facto d’intérêt.

 

De plus, outre l’aspect dissuasif du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles, l’inscription dans ce fichier emporte des obligations pour chaque « figurant ». Examinons maintenant le fonctionnement de ce fichier.

 

B / Le fonctionnement du fichier

 

Chaque individu inscrit dans le fichier est soumis à des obligations (1) desquelles on ne peut s’affranchir sans encourir des poursuites délictuelles (2). Par ailleurs, sortir du cercle des inscrits demande beaucoup de patience (3). Quant à sa gestion matérielle par les autorités, il convient de préciser que les inscriptions et interrogations s’effectueront via un système de télécommunication sécurisé…

 

1 – les obligations des inscrits

 

L’article 706-53-5 du Code de procédure pénale issu de cette loi du 9 mars 2004 impose à toute personne dont l’identité est enregistrée dans le fichier de justifier de son adresse une fois par an auprès des autorités compétentes, cette formalité pouvant être accomplie par lettre recommandée avec avis de réception. Toutefois, en cas de condamnation pour un crime ou pour un délit puni de dix d’emprisonnement, l’obligation est semestrielle et impose à l’individu de se déplacer en personne auprès des services de police ou de gendarmerie compétents.

 

Par ailleurs, et quelque soit l’infraction ayant motivée l’inscription dans ce fichier, tout figurant est tenu de signaler tout changement d’adresse sous quinzaine…

 

2 – des mesures en cas de non-respect

 

S’autosuffisant, l’article 706-53-8 in fine dispose quant à lui que : « S'il apparaît que la personne ne se trouve plus à l'adresse indiquée, le procureur de la République la fait inscrire au fichier des personnes recherchées. »

Précisons alors que le non respect des obligations prévues à l’article 706-53-5 est constitutif d’un délit puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 Euro d’amende.

 

3 – les temps d’inscription

 

Tout d’abord, il convient de préciser que le décès de la personne emporte effacement de toute information la concernant dans le fichier.

 

Ensuite, l’effacement des données d’un individu est de droit, un délai de trente ans écoulé en cas d’infraction criminelle ou délictuelle punie de dix ans d’emprisonnement ou de vingt ans dans les autres cas. Le point de départ de ces délais est fixé du moment où la décision ayant entraîné l’inscription a cessé de produire tout effet ; en cas de condamnation assortie d’une sanction, le délai court à compter de la peine entièrement exécutée. Autant dire que cela constituera une obligation à vie dans maintes hypothèses.

 

Enfin, et à la demande de l’intéressé, l’effacement peut intervenir à l’issue d’un délai plus bref. La demande devra être adressée au procureur de la République qui disposera de pouvoirs propres d’enquête pour s’assurer de l’opportunité de ce relèvement au regard des buts poursuivis par cette institution. Notons que la décision du procureur est susceptible d’un recours devant le juge des libertés et de la détention.

 

Nous ajouterons à ce stade que l’article 202 de la loi prévoit que les personnes condamnées pour l’une des infractions mentionnées à l’article 706-47 ne pourront pas bénéficier d’une éventuelle dispense d’inscription de leur condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire.

 

A l’instar de la création de ce fichier national, la loi Perben II est venue remanier une autre mesure de prévention qu’est le suivi socio-judiciaire. Toutefois, cette institution constitue plus une sanction qu’une simple mesure préventive, et c’est pourquoi nous l’examinerons au travers des nouvelles mesures assurant une meilleure répression.


II – De nouvelles mesures assurant une meilleure répression

 

Parmi l’arsenal répressif, le législateur du 9 mars 2004 a prévu, pour ce qui concerne les infractions sexuelles du moins, deux séries de mesures pour assurer une répression optimale : certaines peines ou certains régimes de peines ont été durcis (A) tandis que certaines dispositions facilitent les poursuites (B).

 

A / Une aggravation des peines

 

1 – le suivi socio-judiciaire

 

Si le suivi socio-judiciaire est une mesure préventive, qui enjoint au condamné de se soumettre à des mesures de surveillance et d’assistance destinées à prévenir la récidive, il constitue également à mon sens une peine. Nous pouvons alors affirmer que la loi Perben II prévoit une aggravation des sanctions en ce sens que, tant les durées pour lesquelles il peut être prononcé que le quantum des peines d’emprisonnement encourues en cas de non respect des mesures imposées ont été allongées de façon significative. Le suivi socio-judiciaire peut même être dorénavant prononcé sans limitation de durée par une cour d’assises statuant sur un crime puni de la réclusion criminelle à perpétuité. Souhaitons que parallèlement à ces mesures les pouvoirs publics forment et recrutent davantage de professionnels de santé aptes à prendre en charge les délinquants sexuels qui sont certes des criminels et des délinquants mais aussi, pour certains d’entre eux du moins, des malades atteints de troubles psychiatriques.

 

Par ailleurs, le nouvel article 712-19 du Code de procédure pénale dispose que le juge d’application des peines, après avis du procureur de la République, peut ordonner l’incarcération provisoire du condamné qui ne respecterait pas les obligations imposées par le suivi socio-judiciaire… un débat contradictoire doit alors avoir lieu sous quinzaine conformément à l’article 712-6 du Code de procédure pénale. Pourquoi ne pas respecter les garanties octroyées au présumé innocent pour lequel est envisagé un placement en détention provisoire et bénéficiant d’un débat contradictoire avant même l’exécution de la mesure ?

 

2 – l’aménagement des peines encadré, surveillé

 

D’autres dispositions de la loi Perben II viennent limiter le champ d’action du juge de l’application des peines en matière d’infractions sexuelles. Sans même parler des nouvelles dispositions s’appliquant à toute décision visant à faire cesser temporairement ou définitivement l'incarcération d'une personne condamnée à une peine privative de liberté avant la date d'échéance de cette peine qui imposent au J.A.P. de prendre en considération les intérêts de la victime ou de la partie civile au regard des conséquences pour celle-ci de cette décision, il convient de s’intéresser au nouvel article 712-21. Cet article impose à la juridiction d’application des peines qui envisage d’ordonner une mesure d’aménagement de la peine consistant, sous une forme ou sous une autre, à permettre à un condamné pour une infraction visée à l’article 706-47 de sortir relativement librement d’un établissement pénitentiaire d’ordonner une expertise psychiatrique du détenu.

 

Cet alourdissement des sanctions ou de leur régime s’accompagne d’une facilitation des poursuites des infractions sexuelles et notamment de celles commises à l’encontre de mineurs.


B / une facilitation des poursuites

 

Notamment pour laisser le temps aux victimes de dénoncer les faits, les délais de prescription de l’action publique sont allongés (1) et la recherche de la vérité est simplifiée par quelques retouches apportées au régime probatoire (2).

 

1 – en matière de prescription

 

a / des délais augmentés

 

Ainsi, en matière de prescription, le dernier alinéa de l’article 7 du Code de procédure pénale dispose dorénavant : « Le délai de prescription de l'action publique des crimes mentionnés à l'article 706-47 et commis contre des mineurs – notons que cette précision est inutile dans la mesure où les infractions prévues à l’article 706-47 ne concernent déjà que des hypothèses où il s’agit de mineurs victimes – est de vingt ans et ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers. » Cette nouvelle mouture de l’article 7 double le délai de cette prescription dérogatoire et permet alors à une victime de quasiment 38 ans de dénoncer encore les faits… toutefois, cette dérogation ne vise dorénavant plus que les infractions visées à l’article 706-47, et non plus tous les crimes commis contre des mineurs.

 

L’article 8 du Code de procédure pénale concernant le délai de prescription de l’action publique en matière de délit, est modifié dans le même sens.

 

Si ces dispositions ont été prises en considérations des intérêts des victimes, il conviendrait que le législateur et le Conseil constitutionnel n’en oublient pas pour autant les droits et garanties des auteurs…

 

b / une application immédiate des nouveaux délais de prescription

 

En effet, parmi ces dispositions, l’article 72 de la loi Perben II poursuit en supprimant un élément essentiel de l’article 112-2 du Code pénal à savoir les mots « sauf quand elles auraient pour résultat d'aggraver la situation de l'intéressé », si bien que l’article 112-2 du Code pénal devient en matière de prescription :

«  Sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur :

4º Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l'action publique et à la prescription des peines. »

Sans remettre en cause les prescriptions acquises à ce jour, le législateur modifie considérablement une disposition générale de l’application de la loi pénale dans le temps qui était souvent présentée comme le pendant procédural de la non-rétroactivité de la loi pénale de fond… mais qui ne bénéficie pas des faveurs de la Constitution puisque le Conseil constitutionnel n’a pas censuré cette mesure.

 

Après les aspects liés à la prescription, examinons les retouches effectuées en matière de preuves des infractions sexuelles.


2 – en matière de preuve

 

C’est en matière d’empreinte génétique et du fonctionnement d’un autre fichier, celui national automatisé des empreintes génétiques que la loi Perben II a permis de faciliter la tâche des enquêteurs afin de pouvoir utiliser en vue de l’analyse d’une empreinte génétique du matériel biologique qui se serait naturellement détaché du corps de l’individu afin de palier à l’impossibilité de recourir à un prélèvement. Ainsi des cheveux ou des poils pourront être utilisés.

 

De même, l’article 706-56 du Code de procédure pénale issu de la loi Perben II prévoit qu’il est possible de pratiquer de manière coercitive un prélèvement pour ficher une personne condamnée pour un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement, et donc en ce passant du consentement de l’intéressé… la difficulté consistera alors à trouver un médecin prêt à obéir à une telle réquisition non conforme à la déontologie médicale.

 

Enfin, et dans sa grande délicatesse le législateur a inséré dans ce chapitre de la loi intitulé « Dispositions concernant la prévention et la répression des infractions sexuelles » et concernant essentiellement les dispositions relatives aux infractions sexuelles commises contre des enfants, un article 50 qui vient modifier l’article 521-1 du Code pénal relatif à la protection des animaux. Aussi, sachez dorénavant que l’infraction sexuelle consistant à faire subir des sévices sexuels à un animal domestique, comme sodomiser sa chèvre est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 Euro d’amende. Sans doute le législateur a-t-il introduit cette disposition afin de protéger des animaux sans défense séquestrés depuis quelques semaines avec des pseudo-célébrités dans une ferme !?

 

 

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