Le mandat d’arrêt européen

 

par Magalie WAGNER

Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherches à l’Université Robert Schuman de Strasbourg

 

 

La loi du 9 mars 2004 relative à l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité traite également de la coopération judiciaire internationale. Elle est venue codifier les règles de droit commun relatives à l’entraide judiciaire et à l’extradition [1]. Elle intègre aussi en droit français, un instrument à l’usage exclusif des membres de l’Union européenne, le mandat d’arrêt européen.

 

L’établissement d’un droit de l’extradition suppose la conciliation d’intérêts contradictoires.

D’une part, la criminalité n’a pas de frontières et il est nécessaire pour chaque Etat de pouvoir demander la remise d’un individu qui a commis des faits répréhensibles sur son territoire et qui se trouve désormais sur le sol d’un autre Etat.

D’autre part, les Etats cherchent à préserver jalousement toute parcelle de leur souveraineté. Chacun d’entre eux dispose en effet d’une compétence exclusive pour déterminer les faits contraires à son ordre public ainsi que les règles permettant d’en punir les auteurs [2].

La recherche d’un équilibre entre ces deux exigences a conduit à l’adoption de textes multiples aux règles souvent complexes.

Il en a résulté des blocages et des situations parfois inextricables. L’exemple de Rachid Ramda est révélateur. Cette personne soupçonnée d’avoir participé aux attentats parisiens d’août 1995 a été arrêtée en Angleterre en novembre 1995. La France attend toujours son extradition !

 

Or ce cas se passe au sein même de l’Union européenne. S’il est vrai que l’existence d’une Union économique est un succès, nous sommes encore bien loin d’un espace de liberté, de sécurité et de justice [3].

 

L’Union européenne a pris conscience des lacunes du système et a inscrit dans ses objectifs, lors du Conseil de Tampere des 15 – 16 octobre 1999, la création d’un mandat d’arrêt européen. Les attentats du 11 septembre ont provoqué l’accélération du processus et le 13 juin 2002 a été adoptée une décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres, à charge pour chacun d’entre eux d’adapter sa législation avant le 1er janvier 2004. C’est ce qu’a fait la France par la loi du 9 mars 2004  [4].

Le mandat d’arrêt européen peut être défini comme une « décision judiciaire émise par un Etat membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre Etat membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté » [5]. Cette procédure vient remplacer les instruments antérieurs entre les Etats membres de l’Union européenne, notamment la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 et la Convention d’application des accords de Schengen du 19 juin 1990.

 

Le maître mot de ce nouveau système est l’existence d’une relation de confiance entre les Etats qui pousse à une reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires [6].

Les innovations apportées par le mandat d’arrêt européen touchent, d’une part, le champ d’application de cette matière qui se trouve élargi ( I ), d’autre part, la procédure qui se trouve entièrement judiciarisée ( II ).

 

 

I. Un champ d’application élargi.

 

Pour que le mandat d’arrêt soit appliqué, il faut que la peine prévue pour l’infraction soit d’au moins un an d’emprisonnement ou, si la peine ou la mesure de sûreté a déjà été prononcée, qu’elle soit supérieure à quatre mois [7]. L’infraction et la peine encourue sont à apprécier au regard de la législation de l’Etat d’émission.

 

En droit commun, tel qu’il continue à être pratiqué avec les Etats hors Union européenne, la nature de certaines infractions, la personnalité de l’auteur de l’infraction, ou encore l’absence d’incrimination identique dans l’Etat requis peuvent entraîner le refus de l’extradition.

Les règles du mandat d’arrêt européen viennent assouplir ces principes. Ainsi, la qualité de national, le caractère politique de l’infraction, ne sont plus des motifs valables de refus. Par ailleurs, la règle de la double incrimination a été aménagée.

 

1) Dans de nombreux pays, le principe est que l’Etat peut refuser d’extrader ses propres ressortissants [8]. En effet, en tant que souverain, celui-ci considère qu’il dispose d’une compétence particulière pour juger ses nationaux. Cette règle poursuit également un objectif de protection des ressortissants, la confiance dans la qualité des juridictions étrangères étant parfois sujette à caution. Elle est en grande partie abandonnée dans le cas du mandat d’arrêt européen [9]. L’idée de l’existence d’une citoyenneté européenne [10], de même que le principe selon lequel le droit des autres Etats de l’Union respecte les droits fondamentaux justifient cet abandon. Toutefois la nationalité d’un individu peut encore influencer cette procédure puisque le nouvel article 695-24 du code de procédure pénale prévoit que la personne recherchée peut exécuter la peine ou la mesure de sûreté privative de liberté prononcée à son encontre en France, si elle est de nationalité française.

 

2) Ensuite, il est admis en droit international comme en droit interne que les infractions politiques ne peuvent donner lieu à extradition. En droit français, il s’agit même d’un principe reconnu par les lois de la République [11]. La décision-cadre n’en fait plus mention et la Constitution française a dû être adaptée sur ce point  [12].

 

3) Enfin, le principe de la double incrimination est aménagé. En effet, les règles de droit commun de l’extradition prévoient la possibilité de refuser l’extradition si l’infraction en cause n’est pas prévue par l’Etat requis. Mais même dans le cas du mandat d’arrêt européen, la loi française met en avant le principe de double incrimination tout en y portant de très nombreuses exceptions [13].

 

Deux situations sont ainsi envisageables :

 

- Premier cas : si l’infraction appartient à la liste prévue à l’article 695-23 du code de procédure pénale et si elle est punie d’au moins trois ans d’emprisonnement, les Etats ne peuvent effectuer de contrôle de la double incrimination.

La liste des infractions permettant de supprimer la règle de la double incrimination recouvre trente-deux infractions particulièrement graves allant du viol ou de l’homicide volontaire, à l’escroquerie, en passant par le terrorisme ou le trafic illicite de matières nucléaires et radioactives. Ces infractions ont été choisies car elles sont des domaines prioritaires de l’harmonisation sur le plan de l’Union européenne. L’adoption de cette liste a suscité aussi de nombreux débats entre Etats. Le gouvernement de italien s’est battu bec et ongles pour que la corruption et le blanchiment d’argent n’y figure pas. Finalement il n’a pas eu gain de cause.

 

Ce système présente cependant des inconvénients. Le caractère limitatif de cette liste entraîne la possibilité d’omettre certaines infractions. Son adaptation, le rajout d’un ou plusieurs cas d’ouverture supposera une procédure lourde.

 

- Second cas : l’infraction figure dans cette liste mais est punie de moins de trois ans d’emprisonnement, ou encore elle ne figure pas sur cette liste. Dans ces conditions, l’Etat d’exécution peut examiner si les faits sont également incriminés chez lui.

 

Mais si le domaine du mandat d’arrêt européen est plus étendu que celui de la procédure d’extradition de droit commun, cette réforme marque également une autre avancée : la judiciarisation de la procédure.

 

 

II. La judiciarisation de la procédure.

 

Traditionnellement, l’extradition fait l’objet d’une procédure complexe comprenant tout à la fois l’intervention des autorités politiques et judiciaires. Ainsi, dans la procédure de droit commun, si la France est l’Etat requis, la requête est transmise au Ministre des affaires étrangères qui vérifie la régularité de la demande. Il en informe son collègue du Ministère de la Justice qui lui même envoie la demande au Procureur général compétent, ce dernier saisissant le Procureur de la République concerné [14].

 

L’autorité politique joue également un rôle dans l’autorisation de l’extradition. En principe, la Chambre de l’instruction donne un avis favorable ou défavorable à l’extradition. L’avis défavorable est impératif. Mais en cas d’avis favorable, le gouvernement peut toujours refuser l’extradition pour des motifs d’opportunité politique ou diplomatique [15]. La décision d’extradition revêt la forme d’un décret signé par le Premier Ministre.

 

Pour les Etats de l’Union européenne, le mandat d’arrêt européen vient mettre fin à cette vision politique et rigide de l’extradition.

Elle n’est plus aujourd’hui qu’une procédure judiciaire. Les Etats reconnaissent mutuellement les décisions prises dans chacun des Etats membres. Cette confiance réciproque permet de simplifier et d’accélérer les procédures et donc de supprimer l’échelon politique. Il est en effet posé a priori que les systèmes pénaux des pays de l’Union européenne respectent la démocratie et l’Etat de droit. Une clause de sauvegarde permet toujours de suspendre cette procédure « en cas de violation grave et répétée par un Etat membre des droits fondamentaux » [16].

Ainsi, le mandat d’arrêt européen peut être adressé directement à l’autorité judiciaire d’exécution, ou encore par tout autre moyen comme par exemple INTERPOL [17].

 

Par ailleurs, l’exécution du mandat d’arrêt européen est obligatoire hormis certains cas de refus limitativement énumérés [18].

 

Si la France est l’Etat « requis », c’est le Procureur général qui est compétent pour recevoir et exécuter le mandat d’arrêt européen. La personne est arrêtée et conduite devant lui dans les quarante-huit heures [19]. Il l’avertit de la situation, l’interroge sur son identité et la fait incarcérer à moins qu’il n’existe assez de garanties pour la laisser libre [20].

La Chambre de l’instruction est immédiatement saisie de l’affaire et la personne arrêtée est traduite devant elle dans les cinq jours de la présentation au Procureur [21]. Si la personne est d’accord pour être remise, la Chambre rend son arrêt dans les sept jours [22]. Sinon elle aura vingt jours pour statuer [23]. Sa décision est susceptible d’un pourvoi en cassation.

Une fois la décision prise, la personne doit être remise à l’Etat demandeur dans les dix jours (en cas de difficulté vingt jours). Si ce délai n’est pas respecté la personne sera libérée.

La personne ainsi mise en cause bénéficie de droits. Elle doit ainsi être informée immédiatement de la procédure menée à son encontre, dans une langue qu’elle comprend, lors de son arrestation. Elle a droit à un avocat, à un interprète [24]. Il est enfin possible qu’au cours de la procédure elle soit remise en liberté [25].

 

 

Conclusion :

Le mandat d’arrêt européen constitue un progrès vers une unification réelle des différentes législations européennes. Il permet de faire coexister leurs disparités en cherchant à éviter les blocages. Son intérêt se mesure déjà en pratique puisque après les attentats du 21 mars l’Espagne a lancé sept mandats d’arrêt européen. Il s’agit donc d’un pas en avant mais la route semble encore longue pour arriver à une réelle harmonisation des systèmes pénaux européens.

 

 

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[1] Art. 694 et s. c. proc. pén.

[2] J. PRADEL et G. COARSTENS, Droit pénal européen, Dalloz, 2ème édition, 2002, n°96, p. 118 ; M. MASSE, « L’extradition des nationaux », Rev. sc. crim.1994, p. 802.

[3] Objectif fixé par le Traité d’Amsterdam signé le 2 oct. 1997.

[4] JOCE L 190 18 juill. 2002, p. 1.

[5] Art. 695-11 c. proc. pén.

[6] L. BENOIT, « Le mandat d’arrêt européen », Revue du marché commun de l’Union Européenne, fév. 2003, p. 106.

[7] Art. 695-12 c. proc. pén.

[8] A. HUET et R. KOERING – JOULIN, Droit pénal international, PUF, 2ème édition, 2001, n°240, p. 344.

[9] L’article 7-1 de la Convention du 27 septembre 1996, relative à l’extradition entre les Etats membres de l’Union européenne, prévoyait déjà une telle solution. Toutefois, elle n’est jamais entrée en vigueur.

[10] L. BENOIT, « Le mandat d’arrêt européen », préc.

[11] Avis n°357344, B. GENEVOIS, Les grands avis du Conseil d’Etat , Dalloz, 2ème édition, 2002, n°34.

[12] Loi constitutionnelle n° 2003 – 267 relative au mandat d’arrêt européen du 25 mars 2003, JO 26 mars 2003, p. 5344.

[13] Art. 695-23 c. proc. pén.

[14] Art. 696-9 c. proc. pén.

[15] Art. 696-2 c. proc pén. : « Le gouvernement français peut remettre… »

[16] Considérant n°10, Décision cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres (2002/584/JAI).

[17] Art. 695-15 c. proc. pén.

[18] Art. 695-18, 695-22, 695-23, 695-24, 695-25 c. proc. pén.

[19] Art. 695-27 c. proc. pén.

[20] Art. 695-28 c. proc. pén.

[21] Art. 695-29 c. proc. pén.

[22] Art. 695-3 al. 3 c. proc. pén.

[23] Art. 695 al. 4 c. proc. pén.

[24] Art. 695-27 c. proc. pén.

[25] Art. 695-34 c. proc. pén.