La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

 

par Ludiane VOLPI

A.L.E.R. à l’Université Robert Schuman (Strasbourg III),

Moniteur à la Faculté de Droit, de Sciences Politiques et de Gestion de Strasbourg.

 

« L’égalité des armes dans cette procédure, c’est le pot de fer contre le pot de terre »,

« Un procureur tout puissant, un avocat suppliant et un juge contrôleur »,

L'article 137 de la loi PERBEN II insère dans le Code de procédure pénale dix articles (art. 495-7 à 495-16 et art. 520-1 pour l’appel) qui instituent une nouvelle procédure de jugement des délits, dénommée « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité », plus communément appelé « plaider-coupable ». Le plaider-coupable permet au Procureur de la République de proposer une peine à une personne qui reconnaît avoir commis un délit. En cas d'accord, cette peine est homologuée par le président du Tribunal de grande instance.

Cette  nouvelle procédure s'apparente en réalité à la « composition pénale » créée par la loi du 23 juin 1999 et prévue aujourd’hui à l’article 41-2 du Code de procédure pénale. La similitude avec la composition pénale est frappante : la personne doit reconnaître le délit, le procureur propose la peine et celle-ci est ensuite homologuée par le président du Tribunal de grande instance. Ce n’est donc pas la révolution annoncée par certains. Cependant, à la différence de la composition pénale qui ne permettait pas de prononcer des peines d’emprisonnement, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité permet au Procureur de proposer une peine privative de liberté.

Son objectif essentiel est le même que celui de la loi du 23 juin 1999 pour la procédure de composition pénale ou de la loi du 9 septembre 2002 pour l'ordonnance pénale : alléger les audiences correctionnelles aujourd'hui dramatiquement engorgées, surtout en comparution immédiate. Cet objectif est-il réellement atteint grâce à cette procédure ? Cette procédure du plaider-coupable peut apparaître dangereuse. Elle officialise une prééminence du procureur sur les magistrats du siège. Le Procureur va, en effet, poursuivre, proposer et fixer une peine et en fixer les modalités d’exécution : atteinte au principe de la séparation des autorités de poursuite et de jugement.

C’était un des griefs soulevés à l’encontre de cette procédure lors de la saisine du conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 2 mars 2004, la procédure du plaider-coupable a fait l’objet d’une réserve d’interprétation  et d’une censure. C’est donc aux vues de la décision du Conseil constitutionnel, et des différents griefs soulevés à l’encontre de cette procédure qu’il faut l’étudier. Nous étudierons cette procédure chronologiquement de la proposition du Procureur à l’homologation par le Président du Tribunal de grande instance.

 

I.                    La proposition du Procureur.

 

A.     Champ d’application

Aux Etats-Unis, la reconnaissance de culpabilité ou « plea-bargaining » est devenue un élément essentiel de la procédure pénale, plus de 90 % des condamnations pénales résultent de cette procédure. Toutes les infractions, du meurtre au simple vol peuvent faire l’objet de cette procédure.

Le législateur français a lui doublement limité cette procédure du plaider-coupable

-          Quant aux personnes concernées : cette procédure n’est applicable qu’aux personnes majeures convoquées à cette fin par le Procureur ou déférées devant le Procureur en application des dispositions concernant la convocation par procès verbal ou la comparution immédiate. Ces personnes doivent avoir reconnu les faits qui leur sont reprochés (art. 495-7 et 495-16). Le prévenu qui a fait l’objet d’une citation directe ou d’une convocation par procès-verbal peut indiquer par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au Procureur qu’il désire être soumis à cette procédure. Les personnes renvoyées devant le tribunal correctionnel par le juge d’instruction ne peuvent pas faire l’objet de cette procédure.

 

-          Quant aux infractions concernées : cette procédure n’est applicable qu’aux délits dont la peine d’emprisonnement est inférieure à 5 ans. Seront donc concernées des infractions telles que le vol à l’étalage, les conduites en état d’ivresse mais également l’abus de bien social… Le législateur a cependant prévu quatre exceptions. Cette procédure n’est pas applicable en matière de délits de presse, de délits homicides involontaires, de délits politiques ou de délits dont la procédure est prévue par un texte particulier (art. 495-16).

Lorsque ces conditions sont respectées, le Procureur peut recourir d’office à cette procédure ou à la demande de l’intéressé ou de son avocat : symétrie quant à l’initiative de la procédure. Cependant, l’initiative reste l’entier monopole du Parquet puisque c’est le Procureur qui décidera finalement s’il fait droit ou non à la demande de l’intéressé.

B.     La proposition

Une fois que l’intéressé est devant le Procureur :

-         Le nom de la procédure l’annonce clairement, l’intéressé va devoir reconnaître sa culpabilité. La première condition requise est donc l’aveu émanant du prévenu de la commission des faits qui lui sont reprochés.

-         Le Procureur va ensuite proposer à l’intéressé d’exécuter une ou plusieurs des peines principales ou complémentaires encourues (art. 495-8). La nature et le quantum de la ou les peines vont être déterminés conformément aux dispositions de l’article 132-24 du Code pénal.

*Si le procureur propose une peine d’emprisonnement. Sa durée ne peut être supérieure à 1 an, ni excéder la moitié de la peine d’emprisonnement encourue. L’emprisonnement proposé peut être soit ferme, soit assorti en tout ou partie du sursis.

*S’il s’agit d’une peine d’amende, son montant ne peut être supérieur à celui de l’amende encourue.

Garanties des droits de la défense :  l’intéressé au moment de son aveu et sa proposition de peine n’est pas seul face au magistrat du parquet, il est assisté par son avocat. La présence de l’avocat est obligatoire. La personne ne peut renoncer à son droit d’être assistée d’un avocat (l’avocat n’est pas obligatoire dans le cadre de la composition pénale). L’avocat pourra librement communiquer avec son client hors la présence du Procureur et pourra consulter immédiatement le dossier de la procédure.

 

Ø      La décision

La proposition formulée, l’intéressé et son avocat peuvent s’entretenir à l’écart du Procureur afin d’arrêter la décision quant à l’acceptation ou au refus de la proposition faite. Cette prise de position peut intervenir immédiatement. Mais l’intéressé est également avisé par le Procureur qu’il dispose d’un  délai de réflexion de 10 jours pour faire connaître sa décision.

Si la personne décide de bénéficier de ce délai de réflexion de 10 jours, le procureur de la République peut présenter l’intéressé devant le JLD pour que celui-ci ordonne son placement sous contrôle judiciaire. Ce n’est qu’à titre exceptionnel et seulement si l’une des peines proposée est au minimum de 2 mois d’emprisonnement ferme avec mise à exécution immédiate que le JLD pourra prononcer  le placement en détention provisoire jusqu’à sa nouvelle comparution devant le procureur qui doit avoir lieu dans un délai compris entre 10 et 20 jours après la JLD. A défaut, il est mis fin au contrôle judiciaire ou à la détention provisoire.

Si immédiatement ou à l’issue du délai de 10 jours, la personne refuse. Le procureur de la République saisit le tribunal correctionnel selon l’une des procédures classiques prévues à l’article 388 du C.P.P. ou requiert l’ouverture d’une information : un véritable procès peut avoir lieu. A noter que le procès verbal de la procédure qui a été dressé reste secret ( article 495-14). La juridiction d’instruction comme de jugement ne peuvent en avoir ni directement ni indirectement connaissance. Ni le Ministère public, ni les parties ne peuvent faire état des déclarations faites ou des documents remis au cours de la procédure. Cette règle de confidentialité tend à éviter que les déclarations faites par l’intéressé ne puissent lui nuire devant la juridiction de jugement : confidentialité.

 

Remarque : durant toute cette phase de proposition de peine du ministère public, la victime est mise à l’écart de la victime durant cette phase de proposition. Cette mise à l’écart peut apparaître pour certains dangereuse, cependant on voit mal quel rôle la victime aurait à jouer durant cette phase de proposition de peine, elle n’est pas directement intéressée.

 

A l’issue de cette phase de proposition, il apparaît que le Parquet est le seul maître à bord de cette procédure, ce qui fait craindre à certains des dérives.  Cependant, n’oublions pas que le Procureur est un magistrat défenseur naturel des libertés tout comme les juges et que lorsque la personne accepte la peine proposée, le président du Tribunal de grande instance est l’ultime décideur.

 

II.                Le rôle du président du TGI.

Une peine aura beau avoir été proposée par le procureur, l’intéressé aura beau l’avoir acceptée, rien ne sera encore jugé. Seule a valeur de jugement l’ordonnance d’homologation, dûment motivée, prise par le président du TGI. Contrairement à l’injonction pénale censurée par le conseil constitutionnel en 1995, car ne faisant pas intervenir le juge du siège, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité débouche sur un véritable jugement rendu par un magistrat du siège. Le principe de la séparation des autorités de poursuite et de jugement est donc respecté.

Le rôle du président du TGI est donc  primordial. Il l’est d’autant plus depuis la décision du conseil constitutionnel qui a émis sur ce point une réserve d’interprétation.

Ø      Lorsque l’auteur des faits accepte immédiatement ou accepte à l’issue du délai de réflexion de 10 jours la proposition du Procureur, il est aussitôt présenté devant le président du TGI ou le juge homologué par lui, afin qu’il homologue ou non la ou les peines proposées.

Le président ne se contentera pas d’enregistrer le résultat d’une proposition qui s’est déroulée sans lui, il va apprécier souverainement s’il y a lieu ou non d’homologuer. Dans sa réserve d’interprétation, le conseil constitutionnel a invité le président à exercer, lors de la séance d’homologation, la plénitude de son pouvoir d’appréciation.

Il n’est lié ni par la proposition du Procureur, ni par l’acceptation de l’auteur.

Si la victime de l’infraction est identifiée, elle est informée sans délai et par tout moyen. Elle est invitée à comparaître en même temps que l’auteur des faits devant le président du TGI, afin de pouvoir se constituer partie civile. Si elle n’a pas pu comparaître, elle peut citer l’auteur des faits devant le tribunal correctionnel qui ne statuera alors que sur les seuls intérêts civils.

 

Il doit ainsi :

-         entendre l’auteur et son avocat en audience publique (censure du conseil constitutionnel – avant : en chambre du conseil),

-         vérifier la réalité des faits et leur qualification juridique (si l’infraction n’est pas constituée juridiquement, le président n’homologuera pas),

-         l’auteur doit, en présence de son avocat et devant le président réitérer son aveu de culpabilité et son accord quant à la proposition du Procureur. Le président devra s’assurer de la sincérité et la réalité de cet aveu de culpabilité.

-         vérifier que les peines sont justifiées au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de l’auteur. S’il estime la peine trop sévère = pas d’homologation ; s’il estime que la nature des faits, la personnalité de l’auteur, l’intérêt de la victime justifient un procès public et contradictoire = pas d’homologation ; déclaration de la victime ?

 

Pas de pouvoir de modification du président.

Face à un contentieux de masse, le président du TGI ne risque t-il pas de devenir une chambre d’enregistrement  et de ne plus exercer ce contrôle véritable ?

 

·        S’il décide d’homologuer la peine, il doit le faire par ordonnance motivée en considération de toutes ces constations( article 495-11).

Le président va également statuer sur la demande de la victime, même dans le cas où la partie civile n’aurait pas paru à l’audience, mais a fait sa demande d’indemnisation au cours de l’enquête.

L’ordonnance est immédiatement exécutoire et a les effets d’un jugement de condamnation. En cas d’emprisonnement ferme, la personne est soit incarcérée directement en maison d’arrêt, soit convoqué devant le juge de l’application des peines, à qui l’ordonnance est transmise.

Si l’auteur des faits estime, après réflexion, avoir accepté une peine trop sévère ou s’il revient sur sa reconnaissance de culpabilité, il dispose d’un délai de 10 jours pour faire appel, comme il en aurait le droit s’il avait été condamné par le tribunal correctionnel selon la procédure habituelle. L’appel sera porté devant la chambre des appels correctionnels qui va évoquer l’affaire et statuer sur le fond sans pouvoir aggraver  la peine homologuée sauf en cas d’appel du Ministère public. L’auteur des faits va donc bénéficier d’un véritable procès devant la chambre des appels correctionnels.

La partie peut également faire appel de l’ordonnance mais sur les seuls intérêts civils.

·        Si le juge refuse d’homologuer la sanction ou si la personne refuse la ou les peines proposées, le procureur de la République saisit le tribunal correctionnel selon l’une des procédures classiques prévues à l’article 388 du C.P.P. ou requiert l’ouverture d’une information : un véritable A noter que le procès verbal de la procédure qui a été dressé reste secret (art. 495-14). La juridiction d’instruction comme de jugement ne peuvent en avoir ni directement ni indirectement connaissance. Ni le Ministère public, ni les parties ne peuvent faire état des déclarations faites ou des documents remis au cours de la procédure. Cette règle de confidentialité tend à éviter que les déclarations faites par l’intéressé ne puissent lui nuire devant la juridiction de jugement. : confidentialité.

 

Conclusion :

Un des principes directeurs de cette procédure réside dans son exigence de célérité et de simplification. Ces principes directeurs semblent être atteints au moins dans une hypothèse :

La personne sort de la GAV, est conduite devant le magistrat du parquet presque immédiatement, elle accepte immédiatement la proposition, est présentée aussitôt devant le président du tribunal qui doit statuer le jour même par ordonnance motivée !! certains auteurs parlent dans ce cas de « super TGV »

Cependant la situation est nettement complexifiée si la personne demande à bénéficier du délai de réflexion de 10 jours, elle pourra (sous certaines conditions) être placée en D.P. qui pourra durer jusqu’à 20 jours, elle sera ensuite convoquée une nouvelle fois par le procureur et si elle n’accepte pas, la procédure normale de jugement des délits se mettra en place, après avoir perdu une vingtaine de jours et énormément de paperasses !!!

La loi PERBEN II a également agrandi le champ d’application des infractions concernant la composition pénale, elle peut être appliquée à tout délit dont la peine d’emprisonnement est inférieure à 5 ans. 2 institutions seraient donc applicables à tout délit passible d’un emprisonnement de 5 ans. On peut s’interroger sur les critères du choix du procureur quant à telle ou telle procédure. Ce choix ne va t-il pas s’orienter automatiquement sur la procédure la plus répressive, les magistrats du Parquet préféreront sans doute si les faits sont graves, le plaider-coupable à la composition pénale. Celle-ci pourrait donc dans l’avenir stagner malgré l’extension de son domaine d’application ?

 

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